12 janvier 2014

Une si mauvaise compagnie...

Pour être bien certain d’aller jusqu’au bout, il n’avait acheté qu’un billet. L’aller. Pour le retour, il verrait bien le moment venu.
Pour avoir réfléchi à son affaire, il avait réfléchi. Le plus long avait été de dresser l'inventaire de tous ses disques et de ses livres et de les entasser dans des cantines en métal qu'il avait déposées chez l'un chez l'autre en leur demandant d'y veiller.  Il avait pris un congé sans solde, ce dont l’état, son employeur était friand : Un de moins à payer, en ces temps d’économies générales, c’était plutôt bien vu. Il avait confié sa maison à une agence qui louait en colocations meublées à des étudiants étrangers. La région était courue surtout des riches américains et la plupart de leurs enfants trouvaient so cute de venir tartiner de la tapenade sur du pain bio en se gavant de rosés frais. Surtout en été… Pour ce qui est de l’hiver, ils se couvriraient comme des inuits en maudissant le vent qui leur gercerait les lèvres et le reste. Autrement dit, ils feraient comme tout le monde: Ils se pèleraient. Dans sa baraque, on pouvait aisément en mettre quatre et, là où il se préparait à aller, les revenus de quatre loyers lui permettraient de tenir le coup facilement.
Il avait vendu ce qu'il pouvait vendre: bagnole, moto, quelques meubles, il avait fourgué tous ses manteaux, blousons, impers, polaires, chez Emmaüs, il avait vidé sa cave...
Un vol pour Caracas, Simon Bolivar, un bus pour Maiquieta et, de là-bas, il louerait un bateau pour aller naviguer dans l’archipel des Roques au large du Veneze où il se trouverait un bel endroit pour y poser ses fesses le temps qu'il faudra. Il n’aurait pas loin à chercher, Là-bas ça regorge de belles plages comme du foin dans les bottes, comme des courtes vues chez un presbyte. Et là, à lui la belle vie. Simple mais vaguement sauvage et surtout, surtout peinarde. Plus de réveil au beau milieu d’un rêve puisqu’il vivrait DANS le rêve. Plus d’emmerdement, d’obligation, de contrainte autre que manger, boire, sentir, toucher, dormir, regarder, profiter de chaque instant. Vivre quoi.
Ah comme il l’avait bien ficelée, son affaire, comme il l'avait bien menée sa barque!
Quand je serai installé, je vous enverrai mon adresse et vous pourrez venir me voir quand bon vous semblera. Je suis parti pour quelques années, vous aurez le temps de vous décider, de vous organiser, d’économiser vous aussi. J’ai lu sur ces Roques tout ce qu’il y a à lire, vu tout ce qu’il y a à voir et je connais même le film de l’autre  chevelu là, celui aux lunettes magiques, par cœur. C'est  simple, c'est comme si j'y étais déjà allé dans une autre vie... 
Regardez sur la carte, sur Google map, quand vous volerez au-dessus de  l'archipel, je ne serais pas bien loin mes chéris.
Pêcher, siester, griller, buller, m’en fourrer jusque là… Voilà mon programme des prochaines années, mes amours. Pas belle la vie?
Ah comme il le faisait son fiérot, comme il l'endossait bien son costume de Vendredi
Et tous autant que nous étions nous pensions : Le salopard, il l’a bien emballé, son départ, sa désertion, oui... Il t'en avait touché un mot à toi? Pas plus qu'à moi. Il a bien le goût du secret ce salopiot...

Et alors ? Alors... Je rigole... Figure-toi que le jour du départ, il n’est même pas allé jusqu'à l’aéroport! Non? Mais pourquoi ? Qué pasa ? 
On ne sait pas vraiment. Tout ce qu’on a appris, c’est qu’il n’a pas pris le taxi pour Roissy, cet imbécile.
Et on a su pourquoi ? 
On a une petite idée, oui, sans doute... Un éclair de lucidité...
A la perspective de se retrouver seul avec lui même, pendant plusieurs semaines, voire des mois entiers peut-être, même, des années, on pense qu'il a pris peur.

Je l’ai retrouvé le lendemain en bas de chez lui qui tentait de négocier à l’interphone et en anglais de pouvoir au moins dormir sur son canapé pour quelques nuits...
Comme j'éclatais de rire en même temps que mon nez à cause du coup de poing lourd d'orgueil blessé qu'il m'a balancé, ses derniers mots ont été : Tu te vois passer six mois avec moi ? Non ? En se frottant la main rougie par la beigne: Ben moi c’est pareil!
Si tu veux savoir, oui, j’ai eu les jetons d'une si mauvaise compagnie...


17 commentaires:

Véronique a dit…

Hou la ! J'ai eu peur Chriscot... Vous en seriez capable pourtant ! Envie de tout chambouler en ces débuts d'année !
Et puis difficile le face à face avec soi même !

chri a dit…

@ Véronique C'est gentil de m'en croire capable! Moi, je ne sais pas... Il m'en faut pour faire bouger les choses, il m'en faut!

M a dit…

Bon, maintenant que j'ai fini de rire dans l'interphone, moi non plus je ne m'en crois pas capable à ce point là.
Merci du sourire !

chri a dit…

@ M C'est mon plaisir!

Slev a dit…

Et qu'est-ce tu dirais si t'en connaissais qui y seraient dans bientôt et que ce serait le bonheur de faire un bout vague ensemble. Tu sais, des qui l'ont déjà fait quand les petites étaient petites et que maintenant qu'elles sont grandes et qu'ils ont ont mis la maison en vente.....

chri a dit…

@ Slev...

chri a dit…

@ Slev J'en resterais sans voix

Brigitte a dit…

Dire que je n'y ai jamais pensé serait faux mais je suis bien incapable de partir loin sur une ile.J'aime bien un peu de solitude sachant aussi qu'elle ne durera pas !!!
C'est là toute la différence

Laurence a dit…

Et bien ça alors, c'est une drôle d'histoire ! Où êtes-vous (es-tu) allé la chercher ?

chri a dit…

@ Laurence Mais elle est venue du dedans de ma tête!!!

@ Brigitte: Un peu comme tout le monde sans doute!

Tilia a dit…

Tel qu'il me semble commencer à vous connaitre, Chri, je vous soupçonne de l'avoir caressé, ce rêve..
et d'avoir filé une mandale dans la tronche de la réalité, pour lui apprendre !

Meilleur temps chez vous et bon dimanche

chri a dit…

@ Tilia: Ah mais mieux que ça! Je me le caresse tous les jours, ce rêve là Et plus encore les jours de pluie grise. :-)
Cinq ou six mois dans une vie? Qu'est-ce que c'est?

chri a dit…

@ Tilia PS Je vous mets au défi d'aller voir sur gueguele earth Las Roques et de ne pas avoir envie d'y passer six mois... :-)

Nathalie H.D. a dit…

Une histoire qui ne m'a pas du tout semblé farfelue, sauf la fin.

Eh oui Las Roques, bien sûr.
Tous nos copains de bateau qui ont trainé un peu aux Antilles sont allés y passer la saison des cyclones et en ont ramené des récits enchanteurs (nous, nous avions continué sur les Bahamas et Panama).

Bien sûr il y faut un bateau.
Bien sûr on aurait envie.
J'ai des copains qui sont aux San Blas en ce moment avec leur bateau. Ils y sont super bien.

Tentant, bien sûr...

chri a dit…

@ Nathalie Je vois ça comme une plage dans la tête... Quand il fait trop moche ou que ce n'est pas si rigolo qu'on voudrait... Fréquenter cette plage là un moment fait un bien fou...

chri a dit…

@ Nathalie PS San Blas? J'y vais voir!

chri a dit…

@ Nathalie Ah oui, quand même San Blas...
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