28 septembre 2012

Bom débarras.


Le jeune gaillard frisé au menton carré comme ses pieds est sorti un peu avant les autres du vestiaire deux écouteurs gros comme des pamplemousses sur les oreilles. Il a salué tous les gens présents dans le grand salon. A certains de grands sourires, aux dirigeants en cravates des saluts moins exubérants. Il a rejoint le parking, suivi par un employé du club qui lui portait son sac. Il a bippé son gros quatre quatre qui s’est mis à clignoter comme un sapin de Noël et il s’y est engouffré  pendant que le type posait son sac dans le coffre. L’entraînement n’avait pas été très difficile ce jour là, Ils avaient juste préparé le match à domicile du lendemain soir. Ce soir, les joueurs avaient quartier libre. Chacun, du moins pour l’instant, allait rentrer chez soi. Lui, il avait loué une superbe villa, mais ils vivaient tous dans de superbes villas, dans un port de pêche à quelques kilomètres de la grande ville. Il y avait installé ses parents qui l’avaient suivi du Brésil, et puis son oncle et sa femme, un ou deux neveux, deux trois amis fidèles et tout ce petit monde veillait au confort de ce costaud. Lui n’avait qu’à mettre ses crampons aux pieds et les lacer. Tout le reste était réglé par les autres. Ainsi, pour le quotidien, c’était simple, il ne s’occupait d’absolument rien. Jouer au foot, dépenser son argent, et se reposer. Un plan de vie assez succinct, malgré tout… Ce soir là, comme il avait fini tôt, il avait décidé de ressortir boire un verre. Il est passé chez lui, il s’est changé, s’est habillé comme une figure de mode, a mis un peu de temps pour se décider pour la montre (il a mis celle à trente mille ), il s’est aspergé d’eau de toilette a avalé une salade de pâtes. Affalé dans le canapé, il a joué pendant une bonne heure avec son avatar sur un jeu vidéo de football et puis, il a sorti du garage la décapotable dernier modèle qu’on venait de lui livrer dont il n’avait pas aimé la couleur. Il l’avait faite repeindre en noir mat. Comme d’habitude, il était flanqué de ses deux amis qu’il trainait partout. Il a enquillé l’autoroute menant vers la ville universitaire la plus proche et une heure après un voiturier assis dans son engin rapprochait le siège du volant pour aller la garer dans un parc particulier. Ce type de client avait droit à certains égards et comme il était un habitué fervent, le patron de la boite louait quelques boxes juste pour lui et d’autres membres de l’équipe. Bien sûr, on s’est courbé devant lui quand il est entré, évidemment qu’une table et une bouteille l’attendaient et forcément, tous les regards de la salle ont convergé vers lui. Pas tellement parce qu’il était beau garçon, ce qu’il n’était pas, mais surtout parce qu’il était riche à foison.
Et que le fric est un super aimant magique.
Le DJ s’est tout de suite occupé de ses oreilles et a envoyé dans la boîte des musiques que le gars aimait. En vrai sa playlist.  Quelques connaissances sont venues le saluer, ils se sont embrassés, ils se sont serrés les mains, ils se sont pris à bras le corps comme une chouette bande de chouettes extras copains qui s’aimeraient depuis toujours à la vie à la mort que serais-je sans vous mes gentils camarades… Enfin tout ça sentait le faux semblant, le surfait et le fabriqué. Il était là avec ses deux potes et en vérité s’emmerdait un peu.
Au bout d’une heure, une brune qui n’avait ni froid aux yeux ni ailleurs est venue danser devant leur table. Elle gigotait comme un serpent charmeur devant eux trois, mais c’est lui qu’elle tentait d’hypnotiser. Elle n’a pas eu grand mal. Ce garçon était assez porté sur cette façon agréable de passer le temps. L’affaire a été rondement menée, il s’est tourné vers ses deux chaperons, leur a dit de s’appeler un taxi. Lui s’en allait faire une virée avec la belle.
Ils se sont levés, les deux autres, coutumiers du fait, ils n’ont pas protesté. Et le couple est sorti. Heureusement que le voiturier n'a pas trop tardé pour livrer le quatre quatre sinon on les aurait retrouvé vissés l’un dans l’autre sur le trottoir. La suite promettait braise. Ils sont montés en quatrième dans le noir de l’engin et il a démarré sur les bérets de roues.
               
                      Quelques semaines avant le début de cette soirée qui, en ville et au-delà a fait un joil ram dam,  un jour comme un autre dans les bureaux cossus et clinquants d’un club de football d’une grande ville du Sud, décidément pas comme les autres mais qui va droit au but, elle: Deux des trois ou quatre dirigeants vraiment importants sont enfoncés dans de grands fauteuils de cuir blanc. Nous sommes à l’heure de l’apéro, deux jaunes sont arrivés sur la table basse de marbre blanc servis par la toute jeune et très belle  fille embauchée la veille dans le désordre bruyant d’une boîte de nuit du centre ville.
___ On a besoin, le club a besoin de cash, il faut qu’on dégraisse, on doit virer un ou deux joueurs mais pas question de dépenser un centime pour des indemnités. Il ne faut pas rompre un seul contrat. Tu penses à quelqu’un ?
___ Oui, il y a bien ce grand con de brésilien qui frappe à côté de la balle et qu’on paye une fortune !
___ Ce gars là si on le vire tu sais ce que ça va nous coûter ? Pour le faire venir on lui a fait un contrat en platine! Un bras vé voilà ce qu’il va nous coûter ce pébron tout mauvais qu'il est et peut-être les deux si jamais il nous fait chanter la samba ! Il faut qu’on le vire, ce crétin mais que ça ne se voie pas. Surtout pas !
___ Tu veux que je t’en débarrasse moi ?
___  Et comment ça, mon Jéso ?
___Ça c’est mon affaire, si tu me le demandes, je le vire le danseur de samba. Et  pour rien ou presque si je me débrouille bien.
___ Toi tu as une idée derrière la tête ?
___ Bien sûr que j’ai une idée, j’ai surtout une jolie nièce qui n’a froid nulle part. Mais ne me demande rien, moins tu en sauras, mieux ce sera pour tous les deux. Laisse-moi seulement un peu de temps …


                          C’est au tout petit matin pâteux que l’amoureuse décoiffante et salement décoiffée est entrée seule dans un commissariat pour porter plainte pour viol contre le footballeur volcanique et rentré chez lui…
Quand elle a prononcé son nom, ça a fait un barouf de tous les diables. Les portables des flics se sont mis à sonner dans tous les coins. Et dans pas mal de rédactions de journaux.
Mais que faisait-il, ce grand escogriffe, la veille d’un match important dans une boite, au lieu de dormir ? Mais que lui a-t-il pris à ce benêt obsédé pour se jeter sur cette pauvre fille ? Mais ces gars là, on devrait les attacher aux poteaux de but! Hum... avec tout le fric qu'il a je n'y crois pas trop à toute cette histoire... 
Devant ce tohu-bohu, le Président du club et un collaborateur se sont rassemblés autour de lui, et lui ont proposé un marché qui le mettrait à l’abri de toute poursuite. Ils lui prenaient un billet d’avion pour lui et son entourage pour le plus tôt possible et se débrouillaient ici de l’affaire nauséabonde. En plus, ils organisaient son transfert dans un autre club s’il voulait revenir jouer dans le pays. Bien sur, ils ne lui versaient aucune indemnité... On te rappelle gentiment qu'il y a rupture du contrat, on es pas l'Abbé Pierre, non plus... En revanche, ils sauraient avoir un geste amical (ce qui voulait dire financier)  et s’occupaient de régler ses affaires et surtout lui assuraient de n’être pas poursuivi. Ils s’arrangeraient, lui ont-ils promis pour que la fille veuille bien retirer sa plainte quand tout cela se serait un peu calmé. Dans le fond, pour les finances du club cette péripétie était un véritable miracle…
Ça a coûté quand même un peu plus cher que prévu, la fille ayant souhaité être dédommagée pour sa prestation. Mais l’argent qu’on lui a versé est, d’une certaine manière, revenu dans les poches du club puisque c’est l’oncle de la gamine qui en a largement profité…


Lu sur Le Point .fr du 28 Septembre 2012:

NON-LIEU dans l’enquête visant le footballeur B.
 - Publié le 28/09/2012 à 12:45
MAR… (Reuters) - L'ex-attaquant de l'O. de M. B. a bénéficié d'un non-lieu dans le cadre d'une affaire de viol présumé pour laquelle il avait été mis en examen en 2011, a-t-on appris vendredi auprès de l'avocat de la plaignante.
Evaeverson Lemos da Silva dit B., 32 ans, avait été mis en examen pour viol le 9 mars 2011. Une femme l'accuse d'avoir abusé d'elle après une soirée arrosée dans une discothèque d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône)...

Ben voyons...

27 septembre 2012

Les peuneus de la galère.


Ah merde ! Putain ! Fait chier !
C’est à la lettre près les quelques mots dont il s’est servi cette après midi au moment où il s’apprêtait à monter en voiture pour aller au Fémina voir un film.
En s'asseyant dans son engin, il venait juste de voir que le pneu avant gauche était aussi à plat qu'une crêpe au caoutchouc. Plus de pneu, plus de voiture, plus de séance, plus de film.
Et alors? Rien de grave allez vous dire, il suffit d’enlever le blouson, d’ouvrir un coffre, d’en sortir le nécessaire à changement de pneu et en dix minutes c’est plié, enfin regonflé, il devra juste rouler un brin plus vite dans les longues lignes droites entre ici et là-bas  pour ne pas arriver après le début du film, ce qui était détestable. À cette heure, en pleine journée, il ne devrait pas y avoir foule et pour garer ce sera facile. Hum. Incident mineur, donc.
Queue dalle, oui ! En réopérant sa porte, il s'est rappelé qu'il a une voiture qui n’a pas de roue de secours. N'en pensez rien. C'est comme ça. Tu crèves, tu restes là où tu es. Ou bien tu roules sur la jante et tu la fracasses. Non, il ne l’a oubliée, nulle part, la roue, c’est comme ça sur ce modèle, il n’y a pas de secours. Et après ça, on s'en va vantant les allemandes ! Tant qu’on ne crève pas tout va bien, dès qu’il leur manque un peu d’air, c’est fichu. Dire qu’il n’y a que ça, tout autour de cette enveloppe en caoutchouc, désormais avachie le rend malade !
Ah merde, putain, fait chier ! Voilà ! C’est exactement ça. Les trois. Dans cet ordre.
Hum, hum. Les choses se compliquent légèrement...  Démonter une roue, la porter à réparer avec la moto, revenir avec la roue réparée et la reposer, le tour est joué. Deux heures perdues, une séance de cinéma. Rien de grave.
Enlever le blouson quand même, et tenter de démonter cette roue crevée. Il fallait qu’il change les pneus qui commençaient à être usés ce sera l’occasion. Il démonte, en apporte une, la cassée et commande l’autre qu’il reviendra faire changer au garage avec la voiture réparée. Ça roule, attrape le cric et dévisse les boulons. Han ! Han ! Han !
Rien à faire. Ils n’ont rien voulu savoir. Il a eu beau ahaner comme un mulet têtu rien n’a bougé. Aucun boulon n’a amorcé le moindre petit début de dévissage.
Hum hum hum. Les affaires ne se simplifient guère...
Téléphoner au garage qu’ils viennent chercher la voiture. La facture enfle et gonfle ! Il monte faire appel à Mr safari pour qu’il lui donne un numéro  du garage et il tombe sur Allo pneus qui  vante le changeage (eux disent montage) de pneumatiques à domicile ! Mais c’est juste ce qu’il me faut !  Se dit-il le moral vaguement  re... gonflé. En plus, avec le dépannage en moins, si l'on peut dire, le devis s’amincit. Joie. Très passagère.
Il a besoin de quatre appels surtaxés et d’une franche demi-heure pour pouvoir parler à un être humain. Une humaine, en vrai. Une voix de toute jeune fille qui finit ses phrases avec un hein trainant banlieusard  de toute beauté:
___ Allo pneu j’écoute  heeeiiinnn…
Bref, il finit par s’engueuler avec elle parce qu’il doit D’ABORD commander ses pneus avant d’appeler le monteur à domicile… (Un monteur à domicile... Quel métier! Il croit rêver !) Ils arrivent, elle et lui à passer l'éponge sur leur incompréhension, il lui a quand même fait savoir qu’il avait l’impression désagréable qu’elle le prenait pour un crétin parce qu’il n’avait rien compris à la procédure. Elle a eu beau nier, il a continué d'y croire. C’est assez difficile, mais ils y arrivent. Ils y mettent chacun un peu du leur et font quelques pas l'un vers l'autre. Elle, parce qu’elle sait sans doute qu’elle peut être écoutée, lui, parce qu’il veut voir ses pneus gonflés et récupérer, un jour, sa bagnole. À peine lui a-t-il communiqué son numéro de carte bleue, non sans réticence (on lui aurait arraché les coeur avec les dents, il n'aurait pas moins souffert...) que le délai de dépannage passe d’une journée à une semaine. 
Hum hum hum. Sa colère monte encore d'un cran. Hélas, il n’a encore rien vu.
Il raccroche avec la pimbêche, et s’en va dans sa petite chapelle intérieure prier pour un maintien de la météo en état pour les huit prochains jours puisqu’il va devoir se déplacer en motocyclette (heureusement qu’elle est là, celle là soit dit en passant !). Il devra juste renoncer à aller vers la mer cette fin de semaine comme il en avait envie. Enfin renoncer à trop s’éloigner de chez lui jusqu’à ce qu’il récupère son engin.
Animé par une rougne légitime devant ces entraves, il redescend dans le jardin ranger le cric désormais inutile et il remonte dans son bureau.
C’est là, à cet instant qu’un mail dégringole en tintant dans sa boîte :

Nous avons le plaisir de vous confirmer le traitement de votre commande numéro 2476354 et sommes heureux de vous compter parmi nos clients.
Votre demande d'intervention par notre service de montage de pneus à domicile est bien prise en compte pour le(s) produit(s) suivant(s) :
Information : En raison d'une forte demande, les délais d'intervention de nos stations sont susceptibles d'être décalés de plusieurs jours.
Merci de votre compréhension.


Pas d'quoi!
Entamé par la rage, il se dit qu’il n’a pas prié assez fort. Il y retourne :
Sainte Valve, j'ai bien dit Sainte Valve, je t’en supplie, je ne te demande qu' une météo clémente pour les dix prochains jours où je vais circuler en vélo et de l’air frais... pour mes pneus !


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