30 mai 2015

Et compagnie.

Pour les Impromptus de la semaine. Il fallait inventer des ani mots valises et les mettre en situation.


___ Sem, Cham, Japhet, mes petits gars venez par ici que je vous parle. Hier soir, pendant que vous dormiez, j’ai tout bien vérifié et figurez vous que c’est un peu le bazar. Il en manque plein. Je vous rappelle qu’on décolle si je peux dire dans dix jours. Il va falloir vous remuer le popotin si vous voulez qu’on s’en sorte. Il en manque plein. Ne dites pas non, j’ai tout repris à zéro. Il en manque je vous dis. Et pas qu’un peu. Alors vous allez vous y mettre et plus vite que ça !
Les trois frères accoururent. Ils craignaient par dessus tout la colère du père qui n’était pas une légende. Loin s’en faut, les pierres s’en souviennent encore. Une fois près de lui, le vieux repris :
___ Alors, Sem, mon grand, toi, tu t’occupes des vachenilles, des chevalânes, des hironveaux, des poullenilles, des chanaigles et des alligassons. Hé oui, tous ceux là ne sont pas encore montés…
Cham, mon grand tu vas aller me trouver et me rapporter les lézânes, les coqrodiles, les oursupions, les cropères, les ratales et les vileuvres…
Japhet mon beau toi tu vas me dégotter vite fait les coupères, lesphyboas, les boathons, Il en reste six à  ce qu’on sait mais deux suffiront mon bon homme. Cherche aussi pendant que tu y es les mérouquins, les crabevettes les langoustelots et enfin un couple de bulotines. Allez les garçons, je compte sur vous ! Mettez vous en chemin avant la tombée de la nuit.
Comme les trois jeunes hommes lui tournaient le dos, après un temps, le vieillard à la barbe blanchie, tout en la caressant, se mit à vociférer :
___ Qui a osé dire ça ? Lequel de vous trois a dit que j’avais encore bu ? Vous n'avez donc aucune respect de personne? Ne vous dénoncez pas, vous serez punis tous les trois. Ça va vous faire drôle mes gaillards… On n’a pas le temps de régler ça maintenant, on s’en occupera à votre retour mes beaux, mais je vous préviens ça va chauffer pour vos matricules, ma colère sera terrible…
Puis en remontant sur son embarcation d'une démarche comme elle, brinquebalante: 

___ Et je me moque de ce que vous pensez, après moi, des luges !



27 mai 2015

Le monde selon Victor.

Une fois n'est pas coutume, je  vous recommande aujourd'hui de vous prendre une heure de cours d'accent de Marseille, (pour les saveurs et la musique... Je ne sais pas où vous allez trouver ça mais en cherchant...)

Ensuite, saisissez vous d'une heure à rien faire, une heure de vide, une heure à combler. Croyez moi sur parole, vous allez bien la remplir. Servez vous un cinquante et un léger, vous n'êtes pas obligé de le boire, c'est pour que l'odeur d'une enfance marseillaise envahisse l'espace et vous plonge dedans... Installez vous confortablement le cul sur un coussin de plumes pour ne pas vous escagasser les fesses ou vous estramasser le dos et allez lire, toute affaire cessante, Le monde selon Victor si formidablement écrit par Marie Rennard.

Commencez bien par le 1, il y en aura treize en tout...

Et dites moi un peu, lecture faite, à quel étage de l'immeuble du plaisir se situe votre régal... Je mange mon chapeau si vous n'arrivez pas au toit terrasse...


24 mai 2015

Sans toit.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Le texte devait évoquer: il est tout à coup 4 heures du mat et vous êtes sans clé, sans bagnole, sans toit et sous la pluie.  C'est devenu:



Pluie verticale dans la pâleur de l’aube.  Le cœur vide. Mon avenir sans toit. À la rue... Pas reluisante, depuis que  je t’ai perdue, ma clé.


17 mai 2015

Professionnels...

Quoiqu’il en soit ce n’était pas, juste avant l’entrée dans le village, le dernier arbre de la longue ligne droite contre lequel la voiture s’est écrasée qui les a tués. Ils étaient plus ou moins morts bien avant. Tous. Les trois.
Ils l’étaient déjà au restaurant. Sans doute au moment du dessert. Ou bien tout de suite après. L’autopsie le dira. On les a vus tituber vaguement en sortant. Bien qu’ils n’aient pas bu que de l’eau, quelqu’un leur en voudrait assez pour avoir pris le risque de les empoisonner? Une hypothèse assez farfelue tout de même. Du moins c'est ce que l'un des deux pensait. Le plus vieux pour tout dire. Que la voiture ait pris feu sous le choc ne l’a en rien fait changer d’idée. Pour l’instant. D’instinct il s’était mis en chasse sur cette piste comme un vieux sioux. Son expérience parlant pour lui. Et il connaissait les gaillards cuits et le restaurant. Mais qui se type là ne connaissait pas? Trente ans d'enquêtes dans la région ça vous pose un bonhomme.
Autour d'eux, une escouade de clones en blanc de la laque aux pieds prenait des photos, ramassait des fragments, relevait des empreintes, faisait des prélèvements dans un silence assourdissant. Ils n'échangeaient pas un mot, pas une grimace, pas un signe. Ils travaillaient comme s'ils étaient devant une scène banale sans aucune charge émotionnelle. Des robots froids.
Au moins, ces trois là n’ont pas souffert plus que nécessaire. Ils n’étaient pas les seuls à avoir reçu. L’arbre lui non plus ne s’en remettrait pas. Le platane avait flambé net. On avait dû voir les flammes à des kilomètres. Du reste on les avait vues du restaurant. Le serveur sorti s’en griller une allait confirmer.  Maintenant, il fumait, le platane.  Ses feuilles encore attachées aux branches. On n’a pas retrouvé grand chose d’eux et le peu qu’on avait récupéré était quand même bien ratatiné, noirci, calciné. Une sculpture contemporaine encore fumante. On devinait des corps recroquevillés. Un peu dégueulasse comme image. Même pas des cendres. Comme des charbons de bois. Puants. Mais la mort est souvent dégueulasse.
Le plus jeune des deux a fait signe d’embarquer ce qui restait. Pour l’instant, ils en avaient vu assez. Les blouses blanches continuaient de s’affairer mais en silence. C’était souvent comme ça. On faisait un peu les malins mais on la fermait quand la mort rôdait dans le coin. Et là, pour avoir cogné, elle avait bien cogné. Tous ceux qui étaient encore sur les lieux se tenaient plus ou moins les narines pour éviter le mélange d’essence, de caoutchouc brûlés, de viande grillée et de caramel cramé. Les desserts ?
Le plus âgé regarda sa montre.

___ Merde il faut que j’y aille, je te laisse finir la routine, je vais me faire engueuler, j’ai promis d’être ce midi en famille. Mon beau-frère inaugure son nouveau barbecue…


11 mai 2015

Réflections.

Pour Les impromptus littéraires. Il devait être question de reflets...

D’ordinaire et depuis belle lurette, j’évitais de croiser son regard.
Après toutes ces années communes, nous en étions arrivés à ce point. Le temps est un abrasif efficace. Le temps est un laminoir. Le temps est un destructeur. Massif.
Il fut un temps où lui jeter un oeil ne me déplaisait pas à ce point. Il fut un temps où, à la différence,  je le scrutais, j’essayais de voir si tout allait bien, s’il n’y avait pas quelque chose à tenter pour améliorer ça, si il avait une chance de plaire ou simplement d’être remarqué dans la journée, disons dans la matinée, enfin dans l’heure qui venait, si je pouvais lui faire un peu confiance, si je pouvais lui accorder un vague petit crédit. Il fut un temps où je l’envisageais comme un ami fidèle, et parfois comme un atout, une carte à jouer, un plus.
Mais ce temps là était fini. Bel et bien fini. Heureusement. Lui et moi n’en étions plus là. Ce n’était pas encore le divorce absolu mais nous arrivions déjà à l’indifférence gênée. Nous nous regardions à peine, vite fait, en passant Et, parfois même, sans nous voir, l’œil vague, flou. La mise au point inutile. Un coup d’œil sur l’ensemble et on laisse ainsi. Désormais, chercher à enjoliver était une vaine tentative. C’est exactement l’inverse qui arrivait. Il ne fallait plus toucher à rien. Le mieux était l’ennemi juré du pas terrible. Non mais regarde moi ça... Quelle décrépitude.
Avant, bien avant il y avait une sorte de lueur un peu vive dans le regard, une intensité douce et maintenant ? Avant, bien avant, on pouvait croiser un sourire légèrement grave. Et maintenant ? Avant, il y a longtemps, on avait quelques chances de rencontrer la moue maline d’un doute certain. Et maintenant ? La bougie s’était éteinte. La vie avait mis un terne à tout ça. Exit la lueur, envolé le sourire, effacée la moue. On y croisait plus que le poids des années vécues et des pertes engrangées. On y apercevait plus que les renoncements et les défaites. On y était confronté qu’au désespoir subtil et à la mélancolie tranquille. Les nuits blanches et les années noires avaient tracé leurs sillons ainsi que les jours sans faim et les mois sans soif.
C’est sans doute pour toutes ces raisons que le matin et toutes les heures des jours j’évitais soigneusement de croiser mon regard dans quelque glace que ce soit. Je ne me reluquais plus en face.
La peur d’avoir froid.

Dans le dos.
Oh Nanar, pose un peu ton stylo et viens faire une partie avec nous, va, ça te changera les états d'âme...
Alors, Narcisse se leva, se saisit de sa paire de boules et s'en alla jouer.


05 mai 2015

Un tiens.

Pour les impromptus littéraires de la semaine. Le texte devait comporter cette phrase: Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. M'est venu ça:


Il s’est levé vers les huit heures trente. Il était beaucoup moins pressé qu’avant maintenant qu’il avait perdu son boulot. Ce sentiment de solitude alors qu’il savait qu’il n’était pas le seul. Et de loin. Surtout dans cette partie du centre de la France. Tulles en Corrèze où  l’emploi était depuis quelques années une denrée rare. Un sentiment doublé de celui terrible d’être abandonné. De tous. Ou presque.
Il a écouté les infos sur son poste déglingué acheté chez Emmaüs. Elles étaient comme les autres jours. Mauvaises.
Du temps où il avait une famille, ils vivait dans un petit pavillon d’écart de ville, acheté à crédit. Bien sûr les fins de mois étaient difficiles mais au moins, il y en avait.
Maintenant c’est dur dès la première semaine. Et puis ce foyer. Pardon. Pour le confort et l’intimité, pardon. Ce n’était pas l’endroit idéal. Sale et bruyant. Un endroit pour les pauvres, en fait. Depuis qu'il l'était devenu il avait fini par remarquer qu'ils sont toujours, ou presque, partout ou presque installés dans des endroits sales et bruyants. Cette étrangeté était quasiment universelle.
Ce qui l’énervait le plus, ce qu’il n’arrivait pas à comprendre c’est comment cette situation insupportable,  était, dans tout le pays, si banalement acceptée. Comment tous et chacun s’accommodaient de cette misère latente qui peu à peu gagnait le pays, comment l’ensemble de la société restait  paisible malgré les annonces sans cesse répétées des licenciements, des fermetures d’usine, des plans de restructuration, de ces foules entières mises au chômage, autant dire balancées à la trappe, jetées en pleine mer, sans grand espoir de retrouver un boulot un jour, comment tout le monde se satisfaisait de ça. Comment aucune révolte ne semblait sourdre. Ça oui, le choquait profondément.
Mais aujourd’hui était un jour un peu spécial. Il allait à un entretien d’embauche. Le premier depuis six ans.
Aussi, quand on lui a proposé de porter une pancarte et se balader en ville quatre heures par jours pendant une semaine pour célébrer l’ouverture d’un restau indien en centre ville, entre parenthèses s'il a trouvé quelque peu ironique de devenir homme sandwich pour ne plus avoir faim, il n’a pas hésité bien longtemps. Il n’a pas pensé humiliation, il a juste calculé que cette modeste paie, lui permettrait, ce mois-ci, d’au moins payer son loyer, à peu près, en temps voulu. Et puis, dans sa situation refuse-t-on deux repas au restaurant ? Fût-il indien? Le salaire, (en était-ce un vraiment ? Une aumône?) n’était pas merveilleux, mais en attendant un miracle…
En signant le contrat il a souri en pensant :


Indien vaut mieux que Dieu... Tulles l’aura.



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