26 octobre 2017

Il t'arrive.

L’automne, c’est par la peau qu’il t'arrive.
Vers la fin d’Octobre, selon l’endroit où l’on vit, il arrive assez souvent qu’on puisse encore manger dehors, même le soir, mais une fois la nuit  tombée, il  faut se couvrir la nuque et les épaules d’une petite laine, d’un châle ou d’un pull car on ressent oh pas depuis très longtemps, un jour ou deux seulement, une fraîcheur assurée qui dégringole des arbres et  pousse à se couvrir ou à ne pas s’éterniser. On ne peut plus siroter en s’attardant aux terrasses, en attendant que les étoiles défilent dans le noir comme au cœur d’Aout. Après la dernière cigarette, le dernier verre, on doit alors bouger car le frais s’avance et gagne. Maintenant, au petit matin, quand les volets sont poussés, il arrive qu’on ne puisse plus distinguer  le fond du jardin tout entier plongé dans une brume dense que, seul, le soleil réapparu dissipera. On la sent même au dedans des maisons cette brume qui vient avec le frais, les murs et les carrelages en rendent compte. En attendant que le thé infuse, te naîtra même une envie de flambée que tu reconnaitras. En attendant, nous aurons à penser au ramonage à faire, au bois à couper, aux bûches à fendre. Veiller à ce que la maison soit prête pour l’hiver.
Désormais les jours sont comptés avant les premiers vrais froids. Ils commencent par raccourcir salement et ça se voit.
L’automne, c’est par les yeux qu’il t’attrape :
Ça commence assez tôt par les feuilles des grands platanes qui se marronnent et chutent, détachées par les vents du soir. Alors, les verts du figuier généreux commencent à jaunir. Dans les bois tout se teinte jour après jour, heure après heure, la nature prend feu. Le vert s’efface, lève le camp, débarrasse le plancher, déguerpit, fondule dans les ors. Puis, dans les vergers, les cerisiers se mettent à flamboyer de rouge comme si leurs feuilles baroudaient d’honneur avant de tomber. Les vignes, assez vite leur emboitent la palette. C’est tout le paysage qui se colore. C’est le temps où l’on monte sur les collines, les buttes, les remparts pour embrasser des yeux, comme ils le méritent les paysages nouveaux. Partout, ça flamme, ça flambe, s’enrubise, la terre devient un trésor étincelant. Au matin les ciels s'enrosissent, au soir les rouges sont mis. L’automne est le temps du feu.
L’automne, c’est par le nez qu’il te vient.
Dans les ruelles encore tièdes, des jardins aux murs toujours chauffés par le soleil du milieu de jour, commencent à monter des odeurs de feux de feuilles. Presque dans chaque parcelle, les broussailles coupées s’enflamment. Au soir, au dessus des maisons des anciens, leurs os déjà transis, quelques cheminées se mettent à fumer. Ça sent la suie chaude et la soupe de courge. L’automne est une saison de fumée. Dans les sous bois, c’est l’humide et l’humus qui dominent et les champignons du chaud d’après la pluie. Ces senteurs de pourriture noble sont annonciatrices de cueillettes et de ramassages, d’après midi de marche et d’assidues fréquentation des forêts. L’automne est une saison de traque.
L’automne, c’est par le palais qu’il te saisit :
Au marché du dimanche, une fois le brouillard dissipé, une fois l’humide vaincu, apparaissent les premières girolles, les premiers sanguins, puis selon l’endroit où tu as la chance d’habiter ce seront les cèpes en premières poêlées. 
Viendra bien vite celui des châtaignes grillées au feu allumé et le soir celui des soupes oranges de potirons. Les coings se cueillent et se mêlent aux filets mignons, les pommes maintenant mûres se mélangent au boudin qui rissole pendant que les confitures finissent de cuire en bloblottant. Figues, mûres, arbouses, les bocaux se remplissent et s’entassent dans les armoires pour y attendre les désirs de sucre du milieu de l’hiver.

L’automne est un temps d'encore. 
Il y fait encore doux le jour, encore clair vers six heures, selon l'endroit, on peut encore se baigner, encore s'allonger sur les bords des rivières, on y déjeune encore dehors avec d'autres, on s'y allonge encore à plusieurs sur les pelouses des parcs, on y lit encore adossé comme des chapitres, aux murs qui chauffent encore. 
Mais l'automne est comme un peu tout ici bas, il passe, il ne s'éternisera pas. Il sera malgré tout un ultime rempart, un dernier souffle, avant la nuit, le froid, le gris, le repli, le silence, la tristesse et l'ennui.
Un rempart inutile, l'hiver viendra.


24 octobre 2017

La mousse, toujours la mousse.

___ Tu ne dis rien ?
___ Parce qu’il faudrait que je dise quelque chose ?
___ Je suppose que tu as des choses à dire, non ?
___ Ecoute, ça part assez mal cette histoire… Tu supposes, tu supposes… mais tu te trompes ! Tu m’annonces de but en blanc, entre le fromage et la mousse que nous c’est fini… Que nous allons nous quitter, enfin que TU vas me quitter… je veux croire que tu n’as pas pris cette décision sur un coup de tête, qu’elle est, comme on dit, mûrement réfléchie, que tu y as un peu pensé avant, que tu as, comme on dit «préparé ton coup», que tu ne changeras pas d’avis… C’est, il me semble, avant tout ça que nous aurions pu parler un peu. Là, j’entends ce que tu viens de me dire, je le reçois comme on reçoit un semi-remorque dans son salon... Hé bien, je n’en n’ai rien à dire. Que veux-tu que je dise du reste ? Que pourrais-je dire d’un peu intelligent ?
___ Je ne sais pas, ce que tu ressens…
___ Tu voudrais donc qu’en plus d'encaisser en pleine face cette si gentille nouvelle, cette si agréable annonce, je t’en dise quelque chose… Tu ne trouves pas que tu m’en demandes un peu trop ?
___ Tu ne ressens rien, alors ? Je le savais. Je m’en doutais. Je te quitte et ça t'est égal, calme plat, rien, le vide... Tu m'épouvantes, tu le sens ça?
___ Tu pousses un peu, là, si je peux me permettre. Tu sais que tu me fais peur parfois ?
Tu as un côté monstrueux qui peut effrayer.  Que je n’ai rien à dire ne signifie pas que je n’en pense rien. Tu as de ces raccourcis… Tu aimerais, sans doute, me voir trépigner, me jeter à tes genoux, qui sait, recevoir une belle paire de gifles, une de celles qu’on sait avoir mérité…  Tu aimerais que je m’emporte, que je hurle, que je proteste, que je t’insulte, que je pleure, si ça se trouve? Ou bien souhaiterais-tu m’en vouloir pour quelque chose et ainsi ne pas me quitter pour rien, comme ça, dans un souffle parce que les choses ont changé, c’est ça que tu désires ? Je suis désolé mon bel amour, tu n’auras droit à aucun de ces plaisirs. Je ne t’offrirai aucun de ces bonheurs. Je ne t'accorderai aucune de ces grâces. Tu vas devoir affronter ça toute seule. Je ne t'aiderai pas. Du reste, j’en ai déjà trop dit.
___ Voilà tu te tais, finalement c’est ce que tu fais le mieux… Depuis toujours. 

Elle me cherchait vraiment querelle et je n’avais rien vu venir. J’étais si éloigné de ça… J'avais passé une bonne partie de l'après-midi à courir dans toute la ville pour trouver les meilleures tablettes... Elle venait de plonger sa petite cuillère dans le brun du ramequin de mousse au chocolat que j’avais préparé. Comme d'habitude, avec amour et un zeste de citron. J'avais cavalé partout pour trouver des gaufres de chez Meert (celles à la vanille de Madagascar). J'en ai dégoté chez un épicier arabe qui avait vécu vingt ans à Lille et qui s'était installé plus au Sud pour se rapprocher de chez lui. Encore à L’Isle mais sur la Sorgue, cette fois... C’était son dessert préféré. Nous avions dîné sur le canapé devant la télé qui était restée éteinte, en attendant le film du soir, un truc en noir et blanc que nous avions vu plusieurs fois, avec cet acteur si beau mais qui battait sa femme, le salaud. Nous avions juste posé un vynil de Weather Report (Black Market, Joe était au plus mal et cela nous attristait) sur la platine, en attendant la bonne heure, la musique envahissait la pièce, elle avait bercé notre jeunesse et le repas. Elle m’avait seulement dit en posant les assiettes sur la table basse : 
___ J’ai un truc à te dire… 
___ Oui, quand tu veux. 
___ Pas maintenant. Après le repas. 
Et puis plus rien. Tandis qu’une pointe d’inquiétude comme un stylet de tortionnaire me pénétrait le cerveau par l'oreille droite, elle a englouti sa mousse avec des hummm et des hummm et une mine de chatte alanguie s’offrant à un doux soleil d’automne. Je la trouvais belle comme un rayon… 
___ Je voulais juste te dire… 
Comme pour retarder un peu l'échéance, repousser un poil ce que j'allais entendre, j'ai tenté un: 
___ Quoi, elle n'est pas bonne? Tu avais l'air de te régaler, pourtant? Là, je me suis mis à transpirer doucettement, j’ai senti les gouttes se former, en haut, sur mon front… J'ai commencé à trembler de la jambe gauche (celle qui tremble toujours en premier en cas de trouble)... 
Mes acouphènes se sont mis à me susurrer Ramona... Mes mains se sont enmoities, je les ai essuyées en douce sur le lin du canapé en me tordant la bouche. Elle a repris: 
___ Je voulais juste te dire... Puis, après un siècle et demi de silence... Elle a fini par lâcher : Je suis bien avec toi. J'aimerais beaucoup que ça dure...

Alors, vous comprendrez qu'après ça, je me suis détendu d’un coup, j’ai tout bien nettoyé le saladier, avec tous les doigts, un sourire un peu stupide bretellé au visage, des pépites fondues collées au coin des lèvres et une petite musique joyeuse dans la cervelle…
Elle m’a tendu les mains, appelant un blotissage…  
J’étais dans le creux de ses bras, enfoui dans son odeur, j'avais deux ans et demi, du chocolat sur le nez, j'étais repu. Je tutoyais le bonheur...

Repu ET pour un temps, un temps seulement, vaguement rassuré.

Un genre de bonheur suspendu. Et si c’était ça le bonheur ? Un malheur auquel on échappe.

20 octobre 2017

Et toi?

Bien sûr, il y eut ces douces soirées s’éternisant, aidées par la pâleur roucoulante de vins frais…

Bien sûr, il y eut ces instants de partage sous le silence infini des étoiles tremblantes…

Evidemment, nous nous sommes étonnés de ces chaleurs étouffantes et nos pas plombés nous ont porté, les fins de journée, vers des eaux espiègles, galopantes et fraîches…

Oui, oui, nous avons passé de jolies soirées dans les salles de spectacles de cette ville en fête dont certaines sous un ciel de pépites... Je pense à tous les mirages de ce cirque…
Oui, avec les amis de passage, il y a eu quelques débuts de nuit peu sages, seul, le son éparpillé des bouteilles vides permet encore de s’en souvenir…
Bien sûr, je t'ai aperçue deux ou trois fois, de dos, dans le magma d'une foule assise à une terrasse ou dans le reflet opaque d'une vitrine mais... Malheureusement ce n'était pas toi...
Oui, oui, il nous est arrivé de nous endormir dans le creux accueillant d’un hamac multicolore et surtout doux et parfois même en dehors des heures légales de sieste…
Oui, encore oui, nous avons bu des apéritifs au sortir des petits déjeuners, juste après avoir secoué les nappes et poussé les bols…
Bien sûr, il y eut ces bains interminables dans des piscines nouvelles endimanchées par les ferveurs des capucines...
Bien sûr, nous avons mangé des poissons grillés… plus que de raison … entre boire et mal cuire nous avions choisi…
Oui, toujours oui, nous sommes allés nous asseoir aux couchants, face aux paysages pyromanes en train de se mettre en flammes. Alors que  c’est aussi dans nos yeux et nos âmes qu’il était l’incendie à éteindre…
Oui, nous avons parlé fort autour de certaines donnes de cartes devant l’insolente chance des uns et la terrible déveine des autres, la roublardise maudite des uns, la maladresse insigne des autres…
Oui, nous nous sommes repus de salades estivales dans des bouges de travers à des heures impossibles…
Bien sûr, nous avons croisé le sillage de beaux humains et navigué dans les eaux de belles humaines ce qui nous a même fait dire qu'il suffirait de pas grand chose pour qu'on se sorte enfin de tout ce grand merdier...
Bien sûr, nous nous sommes trempés les pieds, les chevilles et les jambes dans des fraîcheurs courantes entrevues à l’ombre noire des sous-bois de rencontre…
Evidemment, nous avons stupidement pesté contre la stupidité de tous ces autres, d'être là, au même endroit que nous, au moment où nous y venions….
Oui, nous avons passé du temps à l’ombre de grands arbres sur des places animées à parler de tout, et même de rien, enfin juste à nous en dire.

Et que la légèreté, en fin de compte, ça pèse son poids…

Oui, nous avons eu des envies de valises pour des bouts de monde de préférence inconnus mais finalement pourquoi partir ailleurs alors qu’il est si facile d'être aussi mal en restant ici ?

Evidemment, durant ces jours, nous avons enfoncé davantage de portes ouvertes que prononcé de phrases impérissables...
Bien sûr, nous nous sommes dit qu’on ne nous y prendrait plus et que les prochaines seraient différentes, qu’il fallait nous croire sur parole… Sur parole de vent...

Evidemment, j’ai souvent pensé à ce que tu pouvais faire à l’instant même où je faisais quelque chose que d’ordinaire il nous arrivait de faire ensemble…

Et toi, si loin, si Nord, toi qui ne me lis plus, qui ne me dis plus, à qui je ne dis plus, que je ne vois plus, toi, que je ne sais presque plus, dont je commence à oublier le son de la voix, qu’en as-tu fait des  longs mois de cette année sans nous, là haut, dans cette contrée de malheur ?

D'un mot ?


08 octobre 2017

Le zéro six du Dalaï.

___Ça a commencé comme ça.  Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'était très clair entre nous. J'ai jamais rien dit sur sa façon de vivre. Je la prenais comme elle était. J'essayais pas de la changer. J'étais pas fou. Pas grand monde y serait arrivé. Pas plus moi qu’un autre. De toutes manières, il valait mieux l'apprendre assez tôt, personne ne change personne. Tout ceux qui n'ont pas cru à cette loi sacrée mangent avec une paille, désormais. Se sont cassés les dents. Personne, jamais ne change personne. 
Elle, je l'aimais, c'est tout....

J’entendais cette litanie depuis deux jours. Elle finissait par me bassiner, elle m'éreintait, elle m'exténuait, elle me courait sur le haricot. Mais c’est, pour l'instant tout ce qui sortait de sa bouche de pourri. La saleté d’ordure, je ne voyais pas d’autre noms pour ce genre de type qui lève la main sur leurs femmes, ne savait que psalmodier ces quelques phrases.  Et, cette enflure, il l’avait, autre que levée, sa putain de main… Tout juste si de temps en temps, ce salopard ne se mettait pas à pleurer comme un saule. Mais sur son sort. Je l’aurais baffé. On l’avait alpagué au plein milieu du boulevard, un marteau sanglant dans une main, quand même. Le légiste en avait compté trente deux. Trente deux. Des coups. De marteau, les coups. Il l’avait démolie. On se demandait encore à quel moment et pourquoi il s’était servi du tournevis. Douze, des coups. La plupart dans le cou. Un cruciforme, mais lui, il l’avait laissé sur place. Près du corps étendu, baignant dans une mare de sang à même le carrelage glacé de la salle de bain. Va savoir ce qui se passe parfois dans leurs têtes de déglingués...
___Prends nous pour des passoires, vas-y mon gars ! Fais-toi plaisir ! Tu sais quand même qu'à ce train là, tu es parti pour trente ans de cabane. Un par coup, en somme. 
Ce virus nous servait des :
___Et j’ai trouvé ma femme dans cet état, quand je suis entré, il n’y avait plus rien à faire, j’ai ramassé le marteau machinalement, j’étais secoué et je venais vous voir quand vous m’êtes tombé sur le dos…
___Le téléphone, dis, pourriture,  c’est  que pour les papes, le téléphone ?
___ J'avais les mains pleines de son sang, j'étais bouleversé.
Un putain de bricoleur, aussi que ce gars là. On a fini par apprendre qu’il avait acheté tout son matériel (dans le lot, il y avait aussi une pince multiple, une coupante et une tenaille mais il ne s’en était pas servi de celles là, heureusement, on en tremblait…),  juste une petite semaine avant le crime chez Mr Brico. Le vendeur qu’on était allé interroger se souvenait bien de lui. Et pas dans des termes très élogieux. Un vrai casse couille avait-il témoigné familièrement. Mauvais genre, mais bien vu... Il a repris: Du solide, il voulait des outils solides, pas de ces trucs chinois qui pètent à la moindre difficulté. Il a laissé tomber la sentence apprise par coeur: un bon outil, c’est la moitié du travail fait… Putain, on lui demandait pas non plus une thèse, à çui là… C’est bon, c’est bon… On va noter tout ça…
Nom de Dieu de nom de Dieu, le monde était devenu un opéra fou et nous étions debout aux premières loges. On y assassinait les petites filles à coups de couteaux après deux verres dans le nez, on s'y déclarait la guerre pour un tuyau de gaz, on y laissait mourir de faim des peuples entiers sous prétexte qu'ils étaient loin, qu'on entendait pas leurs cris d'ici, on y frappait sur les femmes comme on dégomme des chamboule tout à la fête foraine et cette sinistre liste pourrait s'allonger encore de quelques pages sans qu'on arrive à en voir le bout. Pire, on se contentait, la plupart du temps de compter les points. On se le disait souvent ça : Nous sommes sur un paquebot ivre et on ne voit  pas les issues de secours. On avait posé nos fesses dans un train dément dont les freins avaient lâché depuis belle lurette. On ne se demandait plus si on allait s’écraser ou couler corps et biens, mais QUAND ça nous arriverait. Et malgré cette conscience froide là, il nous fallait quand même continuer nos enquêtes sur ces hordes de barbares menteurs comme des arracheurs de dents, contre des voleurs escrocs et pour certains meurtriers sans foi, ni loi, ni honte, ni remord, ni regret, ni sens moral… Nous avions dans la bouche, en permanence  une amertume. Pour nous, Le monde était amer... un torrent de fange folle… Et nous devions le stopper avec les doigts. Nous en  sommes les dernières digues, avec les urgences et les pompiers. Si nous lâchons c’est tout le système qui lâche…
___Ben dis donc t’as pas trop le moral toi, aujourd’hui ! Tu devrais te reposer un jour ou deux, filer à la campagne voir s’envoler les canards sauvages, admirer les reflets bleus sur le  miroir du lac, assister au passage silencieux des nuages sur le dos des champs, entendre le silence étendu des brumes, le chant des mésanges qui nous sauvera de tout, monter sur la colline pour prendre un peu de recul, aller regarder l'ensemble, mais d’en haut… Ça te ferait certainement du bien parce que là tu as mauvaise mine, gars…
__T’occupe de ma mine ! Elle a un rat à débusquer, ma mine !
__ De qui parles-tu ?
__ De la crapule qui a trucidé sa femme à coups de marteau et de tournevis. Il nous fait le coup de la blancheur candide ce saligaud…
__ Et vous avez quoi contre lui ?
___Bien sûr, il était un peu jaloux, comme tout le monde et lui,  il avait de quoi! Apparemment, elle, c’était une fille impossible à foutre en cage, comme un joli courant d’air, un vol de passereaux, un banc de poisson. Tous ceux qui avaient essayé de la grapinner s’en étaient mordus les doigts. Elle les avait planté là, sur le champ. Celui qui allait réussir à l’entraver n’était pas né. Lui, il s’était équipé une petite  semaine avant en outils de bricolage qui ont servi au meurtre.
___ Si on doit arrêter tous les gusses qui passent leur samedi à Casto on a pas fini…
___Ah oui, on l’a arrêté à peine deux heures après la mort présumée, une des deux armes à la main, le marteau, ensanglanté, hébété, hagard… Pas net, quoi !
Depuis, on cherche dans tous les coins, la routine. On cherche surtout à savoir où ils en étaient les deux. Douze ans de mariage, douze piges de vie commune on devrait trouver des traces de quelque chose, non ? Z’ont bien dû s’engueuler un peu avant pour en arriver là, non ? Il n’est pas passé directement du romantisme à l’âge de pierre, le lascar. Ils avaient bien un contentieux, les deux tourtereaux !
___Et il dit quoi, lui ?
___ Lui ? Qu’il l’aimait. A crane fendre! Qu’il n’avait jamais rien fait contre elle, qu’il n’avait jamais protesté contre sa façon de mener sa vie, qu’elle était libre d’elle même, qu’il savait qu’elle était comme une anguille mais qu’il avait été prévenu, qu’il savait à quoi s’en tenir, qu’il l’avait épousée en connaissance de cause et qu’il était juste heureux de l’entendre rentrer le soir, enfin certains soirs, pas tous. Mais qu’il s’en foutait qu’il préférait être avec elle comme ça que sans elle. Qu’il n’aurait jamais levé la main dessus que ça n’était pas dans sa nature, alors un marteau, vous pensez bien, encore moins…  Qu’il donnerait cher pour qu’on attrape le fêlé qui lui a fait ça et qu’il mériterait, celui-là,  d’être en cabane pour le restant de ses jours…

C’est trois jours après les obsèques qu’on a arrêté le vrai meurtrier. Un des amants de la belle qui ne supportait plus de ne pas l’avoir pour lui seul. On ne pense jamais vraiment à la peine des amants parallèles. On l’a chopé défait, qui rôdait rongé de remords près de la tombe fraîchement refermée.
Putain d’amour de merde ! Quand on a la chance de le connaître,  on meurt de peur de le perdre et quand il nous manque, on en crève...
___ Belle épitaphe ! Dis, t’es sur que tu ne veux pas prendre quelques jours ? Pour décompresser?
Je te sens vraiment à cran… Tu veux le 06 du Dalaï ?





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