29 septembre 2015

Un si beau salopard.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Le thème: Un beau salopard.

Elle avait tout pour déplaire, cette petite mielleuse : Elle était méchante comme une séduisante mauvaise teigne, menteuse comme une jolie orthodontiste slovène, cupide comme une rassurante banque suisse, de mauvaise foi comme une assemblée bienveillante d’évêques anglicans, râleuse comme une escouade émerveillée de touristes français en goguette, irresponsable comme une horde bonhomme de sénateurs dodus, intransigeante comme une pacifique armée de juges sévères, inhumaine comme un régiment rangé au cordeau de robots sans cortex, vénale comme un réseau pétillant d’économistes savants, rebelle comme un résistant maquis du Vercors escarpé, frondeuse comme une bande de beaux Thierry là, dense comme un corps de ballet, gironde comme un doux arrondi d’estuaire évasé…
Seulement voilà, celle-là, je l’avais dedans la peau. Moi qu’étais doux comme un agneau sortant de l’oeuf…
Quand, par dessus mon épaule, une tasse de thé fumante dans la main, elle a lu le portrait que je venais de dresser d’elle, en s'éloignant du bureau où j'étais attaché,  un sourire à ses lèvres rougies, elle a seulement dit :

Mon bel amour, laisse-moi quand même te dire que tu es un sacré foutu beau salopard…


23 septembre 2015

L'erreur.

Pour les impromptus littéraires. Le thème est: L'erreur est humaine.


Cher Paul, si je prends la plume ce soir c’est, aussi, pour soulager ma conscience. 
Vois-tu, je sais aujourd’hui qu’à ton égard  je me suis trompé et  dans les grandes largeurs qui plus est. Comme je n’aime pas que les choses se délitent parce qu’au fond, elles ne se délitent jamais, au contraire, elles s’amplifient dans la durée et un petit événement finit souvent par devenir une affaire d’état si on ne le parle pas, si on essaie de l’enfouir sous un tapis, si on ne fait pas ce qu’on doit pour tenter de la régler au mieux des intérêts de chaque partie. C’est donc pour cette raison qu’aujourd’hui je viens vers toi et que là sur cette feuille, je te demande de m’excuser. Je n’aurais pas dû me laisser emporter, et prononcer les mots que j’ai prononcés. La colère est souvent, elle est  toujours mauvaise conseillère et une fois encore cela se vérifie. J’aurais dû attendre d’être un peu plus calme, j’aurais du patienter, recouvrer toute ma lucidité avant de m’exprimer. Alors, sans aucun doute, l’irréversible n’aurait pas été atteint. Nous n’en serions pas là. Aujourd’hui, j’y suis enfin arrivé.
Une fois le calme revenu, je reviens donc vers toi pour tenter de réparer mon erreur et te dire ce soir, mes mots bien choisis et pesés, en toute lucidité, absolument apaisé, dans un calme proche d’une zénitude extatique ce qui suit :
J’ai dit, l’autre soir, sous le coup de l’énervement que tu étais un con, je retire ces quatre malheureux mots là. J’ai eu tort. Complètement. Entièrement. Intégralement.
Je sais maintenant, je peux l’écrire, le dire et le signer que tu n’es pas un con.


Mais tu es un  vrai GROS con.



Ma première séance (Fin).

La semaine a passé comme un TGV dans une plaine. J’ai fait très attention pour éviter la moindre blessure, la moindre élongation, la plus petite contraction musculaire, j’ai soigneusement épargné mes ligaments, mes tendons, mes capsules, mes ménisques, mes aponévroses, mais je ne me suis pas ménagé, heureusement tout s’est bien passé. J’en suis arrivé à une vingtaine de postures à peu près réalisées dans les règles de l’art. Je pouvais les prendre et les tenir en maitrisant ma respiration. J’étais devenu un zoo à moi tout seul. De celle du chien à celle du chameau en passant par celle de  l’aigle ou bien de la mangouste et même de la sauterelle. Je me baladais. Un expert Noé. La prochaine séance, je pourrais sans réserve m’installer juste sous le nez de Gisèle et donc tout à côté de Vimala. Je me suis rendu compte que tout ce travail que j’avais fait je ne l’avais accompli que pour ça. La motivation peut déplacer des collines. J’avais, toute cette semaine également soigné mon alimentation et je ne m’étais nourri que de trucs bons, mais mauvais. J’étais repu de soja complet, de biscuits gluten free, de légumes bios épluchés au laser et d’eau du robinet bouillie. Et donc forcément, tu manges moins. Il est plutôt rare qu’on se resserve en galettes de riz soufflé ou qu’on se gave de lentilles à l’eau. En vrai, j’avais abandonné, je m’étais détaché de tout ce qui était  bon. Vins, bières, alcools, viennoiseries, chocolats, pains croustillants, pâtes à tartiner, confitures, limonades, pizzas, viande rouge, blanche, crue, cuite, charcuteries, bref tout ce qui fait que la vie vaut d’être un peu vécue. Au moins quand on est assis à une table. Je ne m’en portais pas plus mal remarquez, en tous les cas, je me sentais plus léger. Et je l’étais, objectivement. Avec ça nous étions à une heure de la prochaine séance. Je faisais le pied de grue derrière la porte du garage, je voulais arriver un peu en avance pour installer mon coussin près de celui de Vimala sans avoir à jouer des coudes avec Poussin ou une autre. Quand ils ont débarqué, ils sont tous venus m’embrasser chaleureusement comme s’ils avaient été choqués par mon exfiltration de la salle après mon blocage. Ils semblaient contents de me voir et j’ai presque donné une conférence de presse sur mon séjour à l’hôpital, mon attente, mon passage chez l’ostéo hypnotiseur et mon retour à la maison. D’une certaine manière j’étais un peu la vedette de la soirée. Ils étaient ravis de ma forme revenue et de l’absence de séquelles concernant ma colonne. J’étais d’aplomb et ça les faisait sourire.
Vimala est arrivée. Elle était habillée en civil, elle m’a juste murmuré dans l’oreille qu’elle ne ferait pas la séance, elle avait encore, elle, de douleurs dans le bas de l’aine. Elle s'économisait, donc, et venait simplement pour en informer Gisèle. En s’éloignant de moi, elle m’a glissé dans la poche du blouson un morceau de papier plié en quatre. Alors, Gisèle a ouvert la porte. Ah vous êtes là ? M’a-t-elle servi. 
Sur un ton…
J’ai bien compris que ça ne lui faisait pas plus plaisir que ça. Vimala s'est avancée
vers elle, je suis entré et je les ai laissées en tête à tête. Puis la porte s’est refermée mais Vim n’est pas entrée. Aussi, je ne me suis pas installé devant. Je suis resté au fond. Et, coup de bol, la séance a commencé.
Le premier quart d’heure s’est déroulé magnifiquement. Pas une ratée. Je voyais bien que du coin de son œil noir Gisèle regardait souvent ce que j’étais en train de faire. Elle s’essayait à la discrétion mais ça ne marchait pas. Comme elle n’avait rien à se mettre sous la dent, c’est Poussin qui a tout pris. Quand je dis Poussin, je devrais dire Cerise parce que son justaucorps aujourd’hui était burlat. Le pauvre il n’avait rien de bon, dès qu’il bougeait une oreille il y avait droit. À tel point qu’après une énième réflexion,  j’ai nettement vu une larme couler sur sa joue. Gisèle l’a vue aussi et c’est là qu’elle a changé de proie. C’est venu sur moi. On en était à la posture du chat ou Marjariasana, idéale pour le mal de dos et elle a commencé à me dénigrer : Votre main ceci, votre bras cela, votre dos ceci, votre jambe cela et la tête et la tête, et la main… Elle a continué ce petit jeu pendant les trois postures suivantes. Et d’un coup, d’un seul, j’en ai eu assez. Comme si elle avait atteint une zone rouge, un palier, un seuil.
Je me suis levé. Je me suis tourné vers le groupe et je leur ai dit :
J’ai été ravi de faire votre connaissance, je vais être bref pour ne pas vous voler trop de temps mais vous avez vu comme moi ce qui se passe depuis un quart d’heure. D’abord c’est lui qui a reçu et maintenant c’est moi. J’ai besoin d’un minimum de bienveillance et ici, ce n’est plus le cas, aussi Gisèle, je me tire et je vous laisse à votre agressivité, à vos postures et votre rancœur de je ne sais quoi. Je m’en vais.
Pour être tout à fait honnête, dans l'après-midi, j’avais pensé ma sortie. Je m’étais dit si elle m’enquiquine je lui fais ce coup là. Ça ne tenait qu’à elle. 
J’étais tombé sur un article dans un journal à propos du tir à l’arc japonais et ça m’avait plu. Les costumes, les rituels le fait qu’on soit à l’extérieur, et surtout cette phrase en tête de l’article :


"Quand la flèche frappe le coeur de la cible,  c’est la cible qui est bien placée".

Ça m'avait parlé.
Aussi, j’avais décidé : Si Gisèle me cherche, fini le yoga, j'arrête, j'abandonne, je laisse tomber, je lâche l'éponge, je sais quoi faire, j'ai de la ressource, je ne suis pas démuni, la semaine prochaine, je m’inscris au Kyudo et je vais devenir un Kyudojin de première bourre.
En sortant sans avoir claqué la porte, il ne fallait jamais claquer deux choses en même temps (ou Gisèle ou la porte) j’ai plongé dans ma poche et j’en ai sorti le petit bout de papier. C’était bien un numéro de portable.

Dans la rue, l’air était si incroyablement doux pour un milieu de Septembre qu'il faisait sur les joues comme des caresses soyeuses de tissus légers et le ciel, au-dessus si bleu, comme moi, si calme…


21 septembre 2015

Ma première séance. (Sept).

Oui, comment ? Après tout ce temps ? Voilà au moins deux ans que je n’ai pas entendu le son de ta voix, j’ai dit.
Bonjour a-t-elle poursuivi, agacée.
Oui, bonjour, bien sûr mais, c’est que je suis surpris que ce soit toi qui appelles. Je ne m’attendais pas du tout  à entendre le son de ta voix.
Nous nous étions rencontrés  dans un restaurant végétarien et quinze jours après je l’avais suivie dans un de ces stages d’été où pendant une semaine on allait se refaire la cerise bio et se débarrasser des toxines de l’hiver. C’est ce qui avait causé notre perte en tant qu’association. Ça se passait dans un hameau perdu au cœur de l’Ardèche profonde. Ils avaient baptisé subtilement l'endroit : "Les bidons des sens", très drôle. C'était ravitaillé par des corneilles malades et toute la journée on y buvait des infusions de serpolet en regardant la ligne des montagnes au loin d’un air inspiré. Il y avait deux activités par jour du genre mandala et conscience, cri primal et psychogénéalogie, toilettes sèches et panneaux solaires, vous voyez le genre. Une semaine suffisait amplement même tronquée de deux trois jours. Surtout que le cadre était magnifique et que personne ne faisait l’appel dans les différents ateliers. Si tu voulais t’offrir une semaine de siestes sous les châtaigniers, si le temps le permettait, tu pouvais. Et comme dans ces coins là il fait un temps plutôt clément, tout devenait plus facile. C’était mon cas et personne ne m’emmerdait ce qui, somme toute, était cohérent avec le thème de la semaine. Ne pas s’emmerder la vie. J’avais atterri ici en compagnie de Josiane qui, à dire vrai m’avait vendu le séjour, entre autres avec piscine et chambres individuelles. Parlons-en de la piscine. C’était une simple bâche agricole en plastique noir posée dans un trou et remplie d’eau. On n’avait de l’eau pas plus haut que les genoux. Pour s’y tremper entièrement il fallait s’allonger en chien de fusil ou à plat ventre. Il n’y avait bien entendu aucun système de nettoyage, la bâche était vidée tous les lundis ils arrosaient le potager méga bio avec la flotte utilisée et remplissaient le trou le lundi soir. Roule pour une semaine. Même les moustiques se retenaient d’y pondre. Heureusement qu’à un kilomètre du hameau, en contre bas il y avait une rivière un peu propre et pas mal courante. Il fallait avoir le courage d’y descendre, d’en remonter et n’avoir peur ni des ronces ni des algues, ni des couleuvres d’eau, voilà tout. Nous avions fini par nous engueuler parce qu’un soir, je n’avais pas voulu assister à une conférence dont le thème était : Du nucléaire à la bougie, itinéraire d’un non progrès.
Depuis le temps qu'on aurait dû s'y coller, qu'attendaient-ils pour entamer le virement de bord?
Et nous avions terminé le séjour à bonne distance l’un de l’autre. Nos routes s’étaient séparées et je n’en avais pas souffert. Je n’avais plus eu de ses nouvelles jusqu’à ce coup de fil.
Comment vas tu ? J’avais dit, faussement enjoué.
Ce n’est pas que je n’étais pas content de son appel c’est surtout que je n’en voyais pas la raison.
Je me doute que tu te demandes pourquoi je t’appelle.
Je n’ai jamais rien pu te cacher, j’ai juste pu répondre. Ce qui était vrai. Il arrive dans la vie qu’on croise des gens pour qui on est transparent. Ils lisent, on ne sait où, ce que l’on pense, et parfois, plus fort, ce qu’on va penser.
Au début d’une histoire amoureuse cela peut-être amusant voire enthousiasmant mais après une certaine durée ça devient agaçant, puis furieusement énervant. Et enfin définitivement assommant. Nous avions franchi ce cap depuis belle lurette, elle et moi. À transparaitre, je n’existais plus.
Elle a continué : Je sais que tu t’es mis au yoga par ton blog, figure-toi que je te lis, moi. Ce qui entre nous était une réflexion totalement inutile puisqu’elle n’écrivait pas, elle.
Et je cherche un cours, moi aussi. Alors je me suis dit que le mieux serait de t’appeler. Rassure-toi, j’ai bien compris que nous n’étions pas fait pour vivre ensemble. Il ne suffit pas de s’aimer bien.
Décidément, j’avais eu raison de mettre un terme à cette relation, je me suis dit. Cette fille est  folle, j’ai poursuivi dans ma barbe. Elle me parlait en reprenant des paroles de chanson. Je n’avais pas du tout l’intention de la croiser entre deux postures.
Je lui ai menti que le cours où j’allais ne me convenait pas du tout, que le yoga ne m’allait pas non plus et que d’ailleurs j’allais arrêter parce que je m’étais brisé  le dos à tel point que je sors à peine de l’hôpital et que je n’ai pas l’intention d’y retourner et que si c’est ça qu’elle cherche elle aussi, elle n’a qu’à s’inscrire à ce cours ce que je ne lui conseille pas du tout, même si j’ai été ravi de t’entendre et s’il te plait ne me rappelle plus je crains de ne pas te répondre si je vois que c’est toi qui a composé mon numéro est-ce-que nos routes peuvent désormais se séparer ?
Oh toi tu as rencontré quelqu’un qui t’intéresse là-bas, c’est pour cette raison que tu ne veux pas m’y voir…
Transparent vous dis-je.
Ne t’inquiète pas, je ne vais pas venir déranger dans ta petite vie si c’est comme ça. Puisque notre conversation, et notre relation prennent cette forme je te quitte. Sblang.
Et elle a raccroché. Ouf en voilà une qui tenait à avoir le dernier mot. Je te le laisse j’ai dit en regardant fixement l’appareil.
C’est qu’il me restait quelques postures à voir dans mon programme accéléré. Je me suis demandé si ça se voyait tant que ça que j’avais un faible pour Vimala ?
D’ailleurs en avais-je un, vraiment ? Je sais combien j’étais capable parfois d’être comme tous les autres à se mentir soi-même et ne pas vouloir voir l’évidence qui, pourtant, crevait l’écran.

Voilà deux bonnes questions à laquelle je devrais vite apporter une réponse, je me suis dit en m’attaquant à la posture de l’Angle endormi ou Supta Konasana…


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