14 janvier 2024

Feeling Good

 Pardon ! Pardon ! Pardon ! 

Chargée comme une mule d’Oia, elle fendait la foule compacte en ce jour maudit pour la sérénité de grand départ. À côté d’elle sa valise, au bout de chaque bras un enfant, leurs sacs sur son dos et pour couronner le tout le sien de sac à dos gonflé comme un noyé accroché sur son ventre… Pardon ! Pardon ! Pardon ! 

On va le rater c’est sur marmonnait elle. Quai trois, quai trois, voiture douze vous savez un un et un deux… Vite, les enfants, on grimpe et elle tirait sur les bras de ses deux  qui semblaient trouver toute cette excitation très amusante. Ce petit équipage énervé est monté voiture douze pile au coup de sifflet des agents de quai, derrière eux la porte s’est refermée, alors le train s’est mis en route. Entassés dans le minuscule espace engoncée des sacs de voyage il lui a fallu monter à l’étage pour trouver leurs trois places. Une fois les sacs sous les sièges, une fois les enfants assis, une fois les jeux, les livres, les revues, les crayons de couleurs, les tablettes sortis enfin tout ce qu’il faut pour qu’un petit se désennuie et surtout, surtout fiche une paix royale aux autres passagers, elle a pu souffler un peu. Elle a cherché dans son sac à main les billets pour les présenter au contrôleur lors de son passage. Une coulée de sueur a glissé le long de sa colonne vertébrale, elle a enfoui ses deux mains dans son sac et n’a rien trouvé de ce qu’elle cherchait Pire, non seulement  les billets qu’elle avait glissés dans son portefeuille de cuir rouge avaient disparu mais son portefeuille aussi. Et dedans bien entendu un peu d’argent liquide mais également l’éventail de ses cartes : Identité, bleue, vitale, conduire etc

Elle n’a plus rien retrouvé. Elle a fait comme on fait tous dans ce cas là, on cherche à se rappeler le dernier moment où l’objet perdu a été aperçu pour la dernière fois. Elle n’a pas retrouvé cet instant là. Ce pouvait être en sortant de la voiture, dans la gare,  sur le quai juste avant de monter en train, dans le train, ce pouvait être partout. L’affaire était mal engagée. 

Et un stress supplémentaire, un. En avait elle besoin ? Si on lui avait demandé, sur qu’elle aurait répondu non, merci.

Après réflexion, elle souhaitait aller à la rencontre du contrôleur et ne pas attendre qu’il déboule dans le wagon. Mais elle ne pouvait pas laisser ses petits seuls, ils allaient se mettre toute la voiture à dos. Alors fumante de colère rentrée, elle a décidé de l’attendre sagement.

Il n’a pas tardé. Il est arrivé dans la voiture en appelant un nom. Le sien. Où êtes vous criait-il ! Elle qui détestait se faire remarquer c’était réussi. Alors comme à la maternelle, elle a juste levé le doigt. Le gars à casquette s’est approché, il était flanqué d’une petite dame toute en soixantaine blanche, un large sourire illuminant son visage. 

Bonjour Madame, je viens vers vous parce que cette pette dame a retrouvé tous vos papiers et billets par terre sur le quai juste avant de monter. Elle les a ramassés pensant que vous étiez à bord et elle est venue me voir avec. Alors nous venons vous les rendre.

Un large sourire de soulagement lui est tombé du plafond, elle s’est avancée vers la dame et l’a enlacée avec des grappes de merci en bouche.

Vous me sortez d’une belle galère vous savez !

Le contrôleur n’en loupait pas une miette. Et vous savez quoi ? A-t-il dit aux deux femmes. Comme Madame n’a eu de cesse de vous retrouver, je lui offre son billet.

 

Alors dans la voiture, pendant qu’une pluie de confettis multicolores et joyeux dégringolait du plafond, un passager a lancé sur une enceinte wifi Feeling Good par Nina Simone et tous les autres, debout dans les allées, l’ont reprise en choeur en essuyant les premières larmes devant tant de bisounourserie partagée.

En vrai, si nous étions moins épais, c’est à cet instant que le monde devrait toujours ressembler.

06 janvier 2024

Chambre trois cent treize

Ainsi donc tout, vraiment tout allait s’arrêter là, maintenant ou dans peu de temps un jour ou deux, là maintenant, au plein cœur de ce décembre qui venait à peine de commencer…

Chambre trois cent treize, je ne crois pourtant pas aux signes, surtout s'ils sont trop évidents, perfusé, drainé, sondé, monitoré, ouvert en deux puis refermé, affalé sur ce lit blanc, vêtu d’une chemise en papier bleu qui n’en faisait qu’à son col, souffrant du ventre, du bas ventre, des fesses, alouette, j’y étais. Au pied du. 

J’étais entré la veille par les urgences, j’avais mal depuis deux jours, je pensais à une intoxication alimentaire, un Tartare du vendredi plutôt mal embouché, ou autre chose,  au fin fond du lit de la 313 (chambre treize, troisième étage de la clinique secteur viscéral) et j’allais y rester. J’allais mourir. Bientôt. Alors, ici, j’ai eu peur. Une belle peur bien profonde, dense comme une soupe épaisse, je l’ai vue, cette saleté, rôder à l’étage, puis tourner autour de la porte. Et les tout premiers mots qui me sont venus furent : Oh merde pas maintenant, non pas maintenant, j’ai encore quelques trucs à vivre, c’est trop bête on ne meurt pas pour un tartare à moins de lui en avoir fait une belle. J’apprendrais plus tard que ce n’était pas lui la cause de tout ce cirque, mais pour l’instant il avait toutes les faveurs des pronostics et c’est lui qu’on désignait comme le coupable idéal.

Nous étions jeudi environ, j’avais commencé à avoir mal le samedi matin d’avant, le suspect numéro un avait été avalé le vendredi soir. Toute la journée du samedi, je suis resté à moitié couché en me tordant en deux. Des douleurs par vagues, insistantes de plus en plus fréquentes. Des intestins déréglés comme un marché argentin, des envies de vomir, des allers retours aux toilettes. Bref, le grand inconfort. Avec ça nous étions samedi soir, fin des consultations, ce sera pour lundi maintenant mais ça va s’arranger, ça va passer, je ne vais pas continuer à avoir mal ainsi. Erreur. Le dimanche même ambiance. Je suis allé faire deux courses en voiture chez Leroy, j’aurais mieux fait de pas mais je voulais détourner un peu l’attention de la douleur, parfois ça fonctionne… Pas cette fois, je me suis vite recouché. J’ai appelé le lundi matin. J’ai eu un rendez vous le lundi dans l’après midi. La médecine m’a prescrit une analyse de sang que je suis allé faire de suite. Elle m’a rappelé en fin de soirée. Les analyses ne sont pas bonnes Cricri, il y a beaucoup trop de blanc pour que ce soit honnête, je serais vous j’irais aux urgences. D’ac doc, j’irai demain, à l’aube.

Le lendemain, j’ai avalé vite fait mon café, il avait un goût bizarre et je suis parti en voiture vers l’hosto le plus proche avec une gentille lettre de ma médecine traitante expliquant ma venue. J’y étais vers les neuf heures. Une fois ma lettre remise on m’a déshabillé, puis allongé sur un brancard dans un hall avec d’autres, des tas d’autres entassés, qui se tordaient plus ou moins de douleur. Un vieux qui n’avait plus toute sa tête  nous en faisait entendre de toutes les couleurs. Avec sa grosse voix et son accent, il passait de la supplique à l’insulte avec une dextérité de jongleur coréen. Après l’avoir attaché à son brancard, ils ont fini par le piquer pour l’endormir. Ça a fait un bien fou à tout le monde. Vers dix huit heures on m’a emmené au scanner. Une heure après j’ai vu un type se pencher sur moi. Il m’a juste dit : Bonjour, je suis  chirurgien, je vous opère dans une heure. Du ventre ? J’ai supposé.

Il faut prévenir chez moi, je suis parti ce matin en pensant revenir dans la journée. Nous allons le faire m’a-t-on dit. Oui faites le parce que sinon, je les connais ils vont s’inquiéter et ils n’auront pas tout à fait tort… La batterie de mon téléphone était à zéro et je n’avais pas de chargeur, j’étais coincé, je ne pouvais pas le faire moi.

Une heure après un anesthésiste jovial me saluait. Eux, je préférais les voir au réveil. Une heure dix plus tard j’étais enfermé dans un sommeil profond. 

Ils en ont profité pour m’ouvrir en deux vaquer à leurs occupations, nettoyer la zone, réparer les fuites, suturer les trous comme ceux d'une vieille chambre à air,  vérifier qu'on ait rien oublié, prélever, refermer, recoudre, perfuser sonder, drainer. L’affaire était entendue, J’avais eu comme le dormeur du val trois trous rouges au colon droit.

Seulement, moi, je m’étais réveillé. Dans un semi brouillard, j'ai vu passer un gars très élégant avec une grosse écharpe colorée et des lunettes rouges: Je suis l'associé du chirurgien qui vous a opéré, alors vous avez bien failli repartir dans une caisse en bois, vous savez, vous avez eu chaud... Sinon tout va bien? Et sans attendre une réponse, cette pointure psychologue a disparu dans un courant d'air glacial...

C’est seulement après sa visite que j’ai pensé que, cette fois, j’allais mourir. Et j'ai eu peur. Une peur dense, animale, fiévreuse, irraisonnable. Une peur qui nous rend différent quand elle nous quitte. Je ne le savais pas encore mais je n'allais plus être le même gars.

Désormais, je faisais partie de l'équipe de ceux qui l'ont vue de près.

12 juin 2023

Tout au long.

 Ils se connaissaient depuis si longtemps que même la belle lurette ne se souvenait plus vraiment comment ils s’étaient rencontrés. Et, dans le groupe actuel il y avait eu aussi,  le temps oblige, des connaissances croisées. Oui, un peu comme dans le vide quand les étoiles qui se reconnaissent se tournent autour et se serrent.  Certains s’étaient connus tout jeunes gens puis, le cercle, avec les années, s’était peu à peu agrandi. En revanche son diamètre avait très peu diminué. Les rares qui s’étaient éloignés ne se le devaient qu’à eux mêmes. 

Eux, ceux qui étaient restés avaient, en plus de la fidélité, le talent  de faire de la place aux nouveaux arrivants, de sortir une chaise ou un verre pour ceux qui les rejoignaient. Ils avaient souvent ce mot simple à la bouche : Bienvenue. 

Les années passant, ils se connaissaient comme s’ils se respiraient et ils acceptaient volontiers les défauts de chacun. Parfois, ils se chambraient un peu mais ça restait bienveillant. C’était une belle qualité. Ils connaissaient tous cette phrase de Hubbard et la trouvait juste: Un ami c'est quelqu'un qui sait tout de toi et qui t'aime quand même.

À cause de cette fidelité, ils essayaient toujours de se retrouver pour quelques jours dans l’année, peu importait où, ce sont les retrouvailles qui comptaient. Si l’envie de se revoir les prenait,  ce n’était pas parce qu’ils devaient, ou parce qu’il fallait ou parce que ça faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas vu ou je ne sais quoi, c’est  simplement parce qu’à l'idée, ils  en éprouvaient du plaisir. Celui d’être ensemble, de se voir et de se parler, de rire et parfois de chanter, de s’asseoir à table et la chose la plus précieuse au monde : Partager du temps. Cette année, ils s’étaient revus mais dans des circonstances telles qu’ils auraient sans doute préféré que ça n’arrive pas. Deux fois presque coup sur coup et pour être des coups c’en était des violents, pour accompagner le définitif départ de deux d’entre eux. Avec le premier qui était parti il y a quelques années maintenant, ils en avaient maintenant perdu trois. Et le chagrin qu’ils en avaient ressenti était à la mesure de leur affection. La douleur de l’absence rend ceux qui ne sont plus là parfois si présents qu’elle est difficile à supporter. Quoiqu’on fasse, où qu’on aille on se heurte à ce mur de l’absence. Et la peine revient. Immanquablement

Malgré ces chagrins répétés, certains avaient eu la volonté de se réunir. Les autres avaient accepté. Avec envie et aussi un peu de crainte.

Ils devaient se retrouver, les quatorze, un dimanche soir dans un petit village de la Haute Vallée du Verdon. Ils y étaient venus souvent ensemble. Depuis longtemps. Ils aimaient l’endroit mais ils auraient tout aussi bien pu aller ailleurs. Ils avaient même emmené les très rares qui avaient été vraiment physiquement empêchés.

Le premier soir, après les retrouvailles, les nouvelles données, si certains se voyaient souvent, d’autres ne se se voyaient guère, l’un d’entre eux avait tenu à prendre la parole pour dire quelques mots mais le chagrin qui a déboulé les a enfermés dans sa bouche, c’est un autre qui avait pris le relais. Avec eux, il y en avait toujours un pour le prendre.

Le lendemain un d’entre eux était arrivé pour les rejoindre et passer quelques heures avec eux. Il connaissait la montagne mieux que le fond de sa poche et au cours des balades il leur avait donné des clés pour la comprendre et l’aimer encore davantage. Ils avaient fait deux groupes et s’étaient donné rendez vous pour manger ensemble au plein milieu d’un champ de boutons d’or bordé de framboises sauvages. Un bel endroit pour se passer du baume sur le coeur. Puis ils étaient redescendus pour faire quelques parties de boules. Le prétexte à encore parler, parler et parler. Et si, pour ça, certains étaient  moins doués que d’autres ceux qui étaient à l’aise le faisaient pour quatre.

Le deuxième jour, ils étaient montés au lac. Ici, on disait le lac. Il avait un nom mais les gens d’ici ne le prononçaient pas. Quand on parlait du lac on savait de quel lac il s’agissait. Pourtant le coin n’était pas avare en lacs. Il y en avait un moulon mais celui là on ne l’appelait pas et quand on l’avait vu une fois, on s’en souvenait. Avant d’y arriver ils avaient traversé des champs de marmottes qui les signalaient de leurs sifflets si reconnaissables. Chacun avaient eu des pensées pour les absents mais sans le dire pour ne pas alourdir l’instant.

Le soir un cavaleur de sommets avait apporté des images merveilleuses de ce monde, désormais en danger, qu’il avait prises lors de ses escapades. Un nettoyage au dacryosérum parfait. 

Ensuite, ils ont passé trois jours ensemble à tantôt se mettre de la pommade, cicatrisante tantôt à s’ouvrir un peu la plaie à l’opinel du cœur : le souvenir. Puis est venu le moment de se séparer. Ils se sont bien embrassés en se disant merci, à bientôt, portez vous bien, veillez sur vous, on se voit bientôt…

En vrai, pendant tout ce séjour suspendu, les quatorze n’étaient pas quatorze. 

En vrai, sans trop s’étendre, sans trop en parler entre eux pour ne pas souffler sur les braises vives, pour que le chagrin de les submerge pas trop, en vrai, ils étaient dix sept, voire bien davantage tant il est vrai qu'à partir d'un certain âge on ne sort plus sans ses absents.  

Tout au long des jours qui nous restent.







24 avril 2023

Soir d'été

 Avant de monter là-haut, ils n’y étaient attendus qu’en début de soirée, ils avaient fait un détour par la rivière. Dans le coin, c’était une visite inévitable. Quand on venait ou bien même quand on revenait dans le pays, on se devait de passer lui dire bonjour, lui faire un petit signe, une vague courbette, un égard rendu et parfois davantage si la magie opérait. On jetait un œil, on lui montrait qu’on l’avait regardée et basta. C’était un peu au dessus de la politesse, presque une obligation. Elle opérait souvent, la magie.

Il faut voir ça lui avait-il dit, on se doit d’y passer. Elle avait été d’accord pour le suivre. Tu verras, elle est magnifique mais quand même un peu  froide avait-il ajouté, ne t’attend pas à du confortable. Froide comment ? C’est de l’eau qui remonte d’un gouffre enfoui et qui semble mordre comme un chien fou les mollets et qui va ne plus te les lâcher. Tes jambes, si tu les trempes devraient s’en souvenir. Généralement on se souvient de cette première rencontre, puis si l’on revient régulièrement on s’habitue. Même d’une année sur l’autre comme si le corps gardait la mémoire de la sensation, comme on reprend la conversation là où elle s’était arrêtée avec un ami qu’on ne voit pas très souvent. Ça tombe bien je suis venu m’offrir de jolis souvenirs a-t-elle dit. Une fois sur sa rive, après s’être extasiée comme il fallait devant sa transparence, sa clarté et le doux chant de sa course sur les pierres visibles, elle avait remonté très haut sa jupe longue et elle était descendue par les trois marches  de l’escalier de larges pierres. Comme prévue, ses mollets avaient été largement mordus, saisis, agrippés. Elle avait suffoqué en s’avançant de quelques pas, mais elle  était entrée volontiers dans le froid. Elle avait même fait quelques pas dans la presque glace sans dire un mot, juste en acquiescant : Ah oui elle est bien bien fraiche, tu n’as pas menti. Mais quelle beauté. Je ne te le fais pas dire. Ils étaient ensuite restés de longues minutes à écouter sa mélodie joyeuse et courante. Ses mollets et ses cuisses avaient eu le temps de dérougir, de récupérer leur couleur habituelle. Je ne sens plus mes jambes avait-elle affirmé à plusieurs reprises.  C’est bien comme ça elles ne te sont plus douloureuses. 

Et puis comme le soleil descendait, comme leurs ombres s’allongeaient pour atteindre maintenant le milieu du lit courant, ils avaient remis leurs chaussures, ils s’étaient levés et ils avaient regagné leur véhicule. C’est qu’avant d’arriver là-haut, ils avaient encore une bonne partie du pays à traverser. Ils allaient le faire à la meilleure heure. Le soleil commençait à préparer sa couche, il semblait enflammer de ses rayons les cimes des arbres, dans le creux des vallons le noir s’était déjà presque tapi. Les pierres blanches des villages traversés prenaient des teintes orangées C’était d’une beauté si extraordinaire qu’un Alzheimer vigoureux avait du souci à se faire avant qu’on ne se souvienne plus d’y avoir passé fût-ce une seule soirée. Après le dernier village parcouru, ils avaient encore une belle route, puis un chemin de pierres et de poussière, à faire dans le cœur de colline et plus ils montaient plus ils récupéraient de la lumière. Ils ont fini par garer leur engin presque au sommet sur un vaste parking à peine indiqué.

La bâtisse était un peu en contre bas du chemin et le soleil l’illuminait des mille derniers feux du jour. Ils ont emprunté le chemin qui y menait, et après avoir fait le tour du propriétaire, ils se sont installés à une solide et rustique table de bois sur le devant les vieux murs de pierres.

Il n’y avait pas de carte, juste un menu à prendre ou à laisser. Comme ils étaient venus pour prendre, bien leur en a pris. C’était aussi bon que beau.

Vers le dessert on leur a apporté des plaids de laine chaude. Une fois le soleil couché, il s’était mis à  fraîchir. L’altitude ? On leur avait proposé de rentrer mais ils n’ont pas souhaité bouger. Quelques bougies éclairaient maintenant leur table. Ils étaient bien dehors, d’autant qu’avec l’humidité du soir l’air sentait un joli mariage : chèvres et maquis. Dissimulés par l’obscurité, ils ont fini en léchant les assiettes…

Puis ils sont allés payer et ils sont remontés dans leur engin.

Au-dessus de leurs têtes, assez loin d’eux mais ça paraissait si proche, les étoiles s’étaient mises à scintiller comme de fausses bougies d’anniversaires qui ne s’éteignent jamais. Le noir n’était que scintillements, comme s’il était habité.

La nuit s’annonçait courte mais belle.

Ils se sont doutés qu'ils feraient comme la chèvre de l’autre là, avec sa mauvaise rencontre, ils ne se laisseraient vaincre par le sommeil qu’une fois les premières lueurs de l’Est apparues.

16 avril 2023

Du milieu du Pacifique Ocean

 Alchimer Journal de bord Extrait.

J+6 Avril 2023


Le soir tombe, un an et quatre mois d'escale, nous partons. Longtemps le halo d'Auckland fera tache dans la nuit.  J'ai aimé cette ville, ses arbres surtout. J'aime ce pays, J’aime ce pays parce que la nature  est encore forte, les rivières y ont des droits, des consciences veillent, malgré les traîtrises et le mépris par endroits. Ce pays parce que nous y avons trouvé le lieu et les personnes pour Alchimer. Ce pays parce qu'il est la possibilité d'un départ autrement, qu'il est une île,  et qu'une île, c'est une route avec la mer au bout.  

Cinq longs bords de près pendant la nuit furent la condition pour pointer l'étrave plein Est le  premier avril à sept heures  à la sortie du golfe Hauraki, face au large et ses deux mille sept cent milles de Pacifique jusqu'à Tahiti.  Trois à quatre semaines de mer. À peu près l'équivalent d'une traversée de l'Atlantique, sur une route moins bien pavée. Les deux 1er jours sont lents ; vents modérés à faibles, comme prévus sur le grib météo. Je m'étais dit qu'une entrée en matière en douceur valait mieux, avant de rejoindre le flux Sud Ouest -assez soutenu, mais favorable- d'une dépression passant dans le sud de la Nouvelle Zélande.  Nous y sommes le troisième jour. Le vent monte, notre vitesse aussi. Notre cap est choisi en fonction d'une nouvelle donnée dans le dernier bulletin : une dépression est en formation dans le nord de la NZ, côté mer de Tasman. Sa trajectoire croiserait notre route d'ici six jours. À confirmer, car ces choses évoluent, ce n'est qu'à trois jours que la prévision devient fiable. Dilemme : - ralentir pour la laisser passer, au risque de fort vents contraires dans son sud ; 

- la contourner plein nord par sa gauche, mais se retrouver près des Kermadec, une chaîne de montagnes sous marine posée à neuf mille mètres de fond et montant ses  sommets à cent vingt mètres de la surface, quarante deux mètres pour le plus haut... une zone où la houle lâche des déferlantes infréquentables par mauvais temps.- calculer et tenter un point de rencontre pour traverser la dépression à l'endroit le plus maniable. Elle n'est pas très creuse, sa vitesse est constante, son environnement est clair ; nos conditions actuelles se maintiendront en piquant un peu vers le sud. On adaptera. C'est jouable. Les fichiers météo ("grib" dans le jargon) confirmeront. Et aussi qu'il faudra approcher des quarantièmes de latitude sud. Ça donnera peu de sommeil, mais quelques belles journées dans une mer dopée de ses vingt cinq / trente nœuds de vent ; à filer sous voilure réduite par monts et vallées, écumantes souvent, grisantes toujours.  Jusqu'à ce fameux matin. 

Une aube un peu pâle, je me mets à la barre pour prendre le pouls du jour. Et là, sur mon tribord, comme au ralenti, il apparait, le géant, le maître-rêve, je le reconnais aussitôt, il a passé tant de temps dans mes sommeils d'apprenti marin, impossible poème mille fois clamé dans le vide des nuages, déployant au vent l'élégance suprême de ses ailes. Pas un battement. Il glisse infiniment, immense, précis, lent presque, tant son vol est coulée permanente. D'une volte soudaine son ventre blanc s'offre aux premières lueurs de l'Est, ses pointes caressent, plume contre écume, le rire vertigineux des vagues. Il vient de si loin, de mers si vastes, de cieux si profonds,  à nouer les fils du temps et de l'espace. Peut-être bien que lui aussi me reconnait, il m'ouvre à l'intense symphonie de ses arabesques, il est archer, le vent son violon, l'océan sa voix. C'est mon cœur et mon âme qu'il joue en silence. 

Mon Albatros, le sang de mes traverses, plus jamais je ne marcherai vraiment. 


Je descends dans le carré, Paul, mon équipier se réveille. - Ça y est, Paul ...! 

- Quoi, la dèp  approche ?

- Non, non je l'ai vu, j'ai vu un albatros. 


Bon  c'est fait. Arrivée à Moorea. 
3150 milles  24 jours. 
Route parfois cabossée, mais bateau et bonhomme en forme. Juste quelques bricoles standard et heures de sommeil à rattraper.  
Et p... que c'est bon de l'eau chaude, bleue translucide, avec des poissons dedans !
Restera plus qu'à s'y remettre,  dans le bain.
Et toi ? Le printemps, printanier ?
Embrassade du tropique sud. 

 

A suivre....

Martial Barriel.

21 mars 2023

Neuf cinq six huit

J’étais venu passer quelques jours dans cette banlieue parce qu’on me l’avait demandé. Je n’étais pas en terre inconnue, j’y avais vécu un bon nombre d’années. En vrai, ici, j’étais chez moi. Je savais ce qu’il y avait derrière les immeubles, les maisons, les rues, le quartier. Je  connaissais le coin mieux que le fond de mes poches.

Et puis, être demandé ça ne me déplaisait pas, ça me donnait encore un peu l’illusion de pouvoir servir à quelque chose ou quelqu’un. 

Là où j’en étais de ma vie, il m’arrivait parfois me sentir vaguement inutile et ce n’était pas toujours une sensation agréable mais c’était ainsi, il valait mieux l’apprendre de bonne heure pour être moins surpris le jour où ça vous tombait dessus et ce jour là venait relativement vite. Il se pointait à la vitesse d’un missile de croisière si je voulais être précis. Toute une partie de l’existence on vous payait pour que vous vous leviez le matin à pas d’heure, pour que vous sortiez de chez vous en zombie défait, pour que traversiez une banlieue livide et sale sous une pluie fine et traversante, pour que vous alliez, six heures par jour dans le meilleur des cas, « officier », fonctionner, bref, travailler et puis un beau jour ou un sinistre jour, c’est selon, on vous paie encore, certes un peu moins, mais pour exactement le contraire. C’est à dire que désormais on vous paye pour que vous restiez chez vous. Et surtout faites bien ce que vous voulez. C’était la période qui précède la descente finale, le retour à l’écurie, celle qui est avant l’emménagement en Ehpad, autrement dit avant la grande disparition, juste avant la mise en boite définitive et l’envol pour Sagitarius A, enfin dans ce coin là. 

Pendant ce temps soit disant béni, vous avez la liberté de faire ce que vous voulez de votre vie mais l’énergie ET surtout les moyens en moins. Je n’arrivais pas encore à savoir quelle période j'allais préférer.

Donc, j’étais venu où on m'avait appelé. De ma campagne. Ici, c’était une banlieue huppée, argentée mais pas si chic. Ici, ce n’était pas Versailles, ni la Vallée de Chevreuse. Ici ce n'était pas l'Ouest parisien mais son opposé. Plein Est. C’était une banlieue plutôt clinquante où l’argent possédé se montrait volontiers aux poignets. (Se montrait au poignet, vous l’avez ?). C’était une banlieue de gros quatre quatre noirs mats, de SUV suédois, de berlines allemandes et de marché du dimanche matin le plus cher d’Europe occidentale. On pouvait trouver des bagues en diamants tombées dans les filets de soles. Voyez le genre. J’avais fini de parcourir les allées pour admirer les étalages des poissonniers, des traiteurs libanais où chaque petite barquette de tarama vous coutait un smic ou un avant bras. J’avais juste regardé. Je n’achetais plus ici depuis que je ne travaillais plus. 

Et puis, j’ai eu besoin de retirer du liquide à un distribanque. Il me fallait deux trois billets bleus pour boire un café. Dans mon souvenir, la banque était en face de l’autre côté de l’avenue qui mène à la Marne. Je m’y suis rendu. Une fois mon affaire traitée, j’ai ressenti une présence juste derrière moi, je me suis tourné et j’ai aperçu vite fait une silhouette élancée de femme élégante, couverte d’un manteau de laine rouge, carré rouge autour du cou,  terminée en haut par un feutre rouge à larges bords. Le genre de silhouette d’ici en somme. Une presque Geneviève De Fontenay. Elle s’est adressée à moi en me tendant une carte bancaire : "Vous pouvez me sortir des sous s’il vous plait ? Je ne sais pas faire ça, je n’y arrive pas et puis ça m’ennuie." M'a-t-elle dit. J’ai été un peu surpris, elle n’avait pas l’air d'avoir un âge si avancé que ça. Et puis elle a continué sur le ton légèrement autoritaire d'une personne habituée à être obéie ou du moins écoutée : "Sortez moi six cent euros, je ne sais décidément pas me servir de ce truc."

La vache ! Six cent euros pour un marché. Il n’était pas donné mais quand même. J’ai glissé sa carte dans la fente et au moment où je lui disais de ne pas me donner son code, au moment où je l’invitais à le taper sur le pavé, je l’ai entendue crier en détachant bien les chiffres: NEUF CINQ SIX HUIT. 

J'ai esquissé un chut bien trop tardif...

Je les ai entrés dans la machine, tout en lui disant: "Madame vous savez, vous  ne devriez pas faire ça, vous avez de la chance d’être tombé sur moi..."

Là, douze billets de cinquante sont apparus,  et, en vrai, ma sainte honnêteté a légèrement vaciller, il m'est venu de grosses envies de cavalcade opportune... En main, j’avais sa carte, son code, et déjà six cent balles, autant dire un bon début de dimanche…  Une petite accélération, un tour de paté de maison et l'affaire était dans le sac, les carottes cuites, la messe dite et le marché conclu. Avec son allure et ses talons hauts elle n’était pas du genre à courir bien longtemps. Pendant une nano seconde, je me suis vu changer de voiture en payant cash en carte avec une carte que je n’avais pas volée, qu’on m’avait remise en mains propres… Je changeais mon vieil ordi de dix ans, je me payais un Leica M6, un billet de première pour Hiva Oa et deux trois autres trucs. Je me suis dit que pour sortir six cent euros comme ça, elle devait en avoir sous le pied...

Bon Dieu quel dimanche de feu j’allais passer !

Et puis je suis redescendu, une voix derrière elle a dit : Il a raison le monsieur, vous ne devriez pas faire ça. Elle, hautaine, elle a haussé les épaules en balançant : Il a l’air bien honnête et puis quoi, ce n’est que de l’argent…

9 5 6 8… 

Plusieurs jours après, je me demande encore: En lui rendant sa carte et ses billets n'ai-je pas totalement foiré mon dimanche? Je t'en foutrais de l'honnêteté! De la bêtise, oui. 

 "Ce n'est pas l'honnêteté qui met des épinards dans le beurre." Comme disait Balkany.


27 janvier 2023

Pour un peu

Dire que tout ne tient à pas grand chose. 

Pour un peu, j’ai manqué de l’envoyer vers une mort quasi certaine. Pour un peu, on ne le retrouverait que dans quelques jours, recroquevillé sous un rocher, sous un arbre, dans le haut des collines, congelé ou presque, en tous les cas très mal réchauffé, déshydraté, raide de faim ou alors même au printemps prochain qui sait.

J’avais décidé de m’aérer, de prendre l’air, de marcher sur ce chemin que je connaissais bien et que j’aimais emprunter entre Le Beaucet et le hameau de Barbarenque. Une route étroite de la largeur d'un véhicule, bordée de chênes, d’oliviers, de cades, de genièvres et, au ras du sol de pierres et de thym sauvage. À la montée on avait une vue large sur le Ventoux à gauche et des anciennes bories à droite. Très très peu de voitures l’empruntaient, le hameau était surtout habité en été et la route ne lui survivait pas.

À propos de voiture, j’avais laissé la mienne sur le parking du Beaucet. Le mistral qui soufflait depuis plusieurs jours sur la région avait voulu m’embarquer une portière quand j’avais ouvert mais j’avais résisté : Non non ma poule, oui à force de nous fréquenter nous étions devenus familiers, cette porte là j’en ai besoin, j’avais dit. Je la lui avais reprise.

Il faisait un froid à ne pas mettre un ours polaire dehors. Grâce au vent déluré qui balayait tout sur son passage, nuages compris, le ciel était bleu électrique, les ruelles et les toits nettoyés. Il n’y avait pas âme qui vive à l’alentour. Une âme résiste à bien des choses mais pas à un froid pareil. À peine pointait-on son nez dehors qu'il était battu, mordu, meurtri, griffé, giflé, fouetté. Rougi à vif. C'était le froid d’une armée de gueux. Personne ne s’aventurait dans les ruelles, tout le monde était à l’intérieur calfeutré. Ça se voyait aussi aux fumées qui sortaient à l’horizontale de quelques rares cheminées. Ça crépitait dans les foyers encore habités. 

Une fois l’écharpe nouée, le col relevé, la veste de grand froid zippée, j’avais attaqué la montée vers les ruines du château qui dominaient le village. Je les laisserais sur ma gauche et je prendrais la route goudronnée qui monte droit  au hameau. La pente était raide et sous les épaisseurs, la chaleur n’a pas tardé à rendre le froid moins  insupportable. J’ai traversé le hameau sans rencontrer personne, pas même un inuit perdu. Ici non plus ils n’étaient pas fous. Par ce temps ils restaient dans les igloos. J’ai ensuite emprunté le petit chemin de pierre qui traçait en serpentant vers le sommet de la colline. J’ai marché jusqu’à rencontrer le soleil qui commençait à se coucher et puis j’ai fait demi tour. Je suis repassé dans le hameau toujours aussi vide d’humain. Et vide de tout du reste comme si le froid et le vent avaient tout emporté avec eux. Dans le bleu du ciel, les pies devenaient blanches, les corbeaux, restés noirs auraient claqué des dents s’ils en avaient eues, au sol, les vignes ressemblaient à du bois mort et la terre à une gigantesque plaque  d’acier gris.

C’est un peu après que je l’ai vu. Il montait sur la route, vers moi. Il était âgé, grand, svelte, le pas décidé. À son approche j’ai vu qu’il n’avait sur lui qu’un petit blouson léger, un pantalon de coton beige, des chaussures de sport et autour du cou une magnifique écharpe bleu ciel. Le tout très élégant. À ma hauteur, avec un accent hollandais chuintant il m’a dit : Bonchour Exquiouse moi Saint Didier c’est par là en me montrant la direction d’où je venais.

J’ai été un peu surpris  parce que d’ordinaire les hollandais ne mettaient les pieds dans cette région qu’à la belle saison, mais jamais en Janvier ils avaient bien assez de leur froid à eux. Un égaré je me suis dit.

J’ai réfléchi à propos de sa question puis je lui ai répondu : Bonjour, oui oui c’est par là mais à un moment il vous faudra tourner à droite. Il a dit Merci et il a repris son chemin et moi le mien.

En continuant de descendre j’ai repensé à sa question. Je m’étais gouré, je l’avais envoyé à l’opposé de l'endroit où il voulait aller.

Oh je ne remonte pas il se débrouillera bien quand il verra son erreur. Oui mais la nuit va tomber, il risque de se perdre et ce n’est pas son blouson qui va le protéger. Oui mais il pourra se mettre à l’abri dans le hameau. Tu parles il faudra qu’il trouve quelqu’un c’est pas gagné...

Alors j’ai fait demi tour et je lui ai couru après en hurlant : Monsieur hep Monsieur, Monsieur…

Punaise! Il faisait son âge et ses oreilles aussi. Ce n’est qu’arrivé à sa hauteur qu’il s’est retourné.

Haletant, je lui ai expliqué que je m’étais trompé et qu’en vrai je l’avais envoyé à l’opposé de Saint Didier.

"Oh merci tu sauves moi", il a dit.

Mais j’ai failli vous tuer j'ai répondu, coupable comme Judas.

Nous sommes redescendus ensemble jusqu’à la voiture et je lui ai proposé de le ramener jusqu’à Saint Didier. Plus question de le laisser s'égarer dans la nature. Pendant le trajet, j'ai appris avec son accent chuintant qu'il était pensionnaire dans une clinique psy du coin et il n'avait droit qu'à une sortie d’une demi heure dans l’après midi :

"Je vais faire engueuler moi je suis parte depuis quatre heures, mais à quatre vingt ans je plus un gosse, je me foutre s’ils engueulent moi, le château était si beau. Tu sauves moi la vie, je contente de te rencontrer", il faisait comme un mantra.

Sacré twist que la vie proposait. Ça lui ressemblait bien ce genre d'évènement. 

Il y a des milliers de ponts ténus, de passerelles fragiles, de lines étroites qui permettent d'être très vite d'une rive à l’autre,  du rire à la larme, de l’ombre à la lumière, du verre de rouge à la perfusion, des Baumettes à Matignon,  du boulot à l'inaction, du déshonneur à la légion, de l'Amour à la séparation, de la Cour d'Assises au Panthéon et du sauveur à... l'assassin. 


Sans rien voir venir ou... si peu.




20 décembre 2022

Une mâchoire.

 J’ai une dent contre toi. Une dent? Une seule dent ? 

Une paire de mâchoires, oui.

Qu’est ce qui te prend à nous enlever les plus droits, les plus intègres, les  plus attentionnés, les amis sûrs, ceux dont on se dit celui-là c’est un bon homme, c’est un exemple à suivre. Celui-là, j’aimerais lui ressembler ? Celui-là, sa vie m’importe. 

Pourquoi nous l’enlèves tu ? Qu’est ce qui te prends à ne pas vouloir le laisser  parmi nous? Tu  nous punis de quoi ? Tu le punis de quoi ? D’être trop bon, bienveillant, attentif aux autres, à nous, à ceux qu’il aime ?

Que t’ont fait ceux que tu nous les enlèves ? Est ce que ça t’aurait arraché quelque chose si tu  les avais laissés, encore un peu, quelques années que nous puissions profiter de leurs qualités, de leur douceur, de leurs attentions, qu’ils nous grandissent encore. Pour que nous puissions rire ensemble, parler, boire des canons, nous regarder avec bienveillance, tendresse et admiration. Surtout notre regard vers vous. Nous les enlever alors qu’ils nous tiraient vers le haut, alors qu’ils nous rendaient meilleurs, par leur simple présence, leurs seule existence, sans en faire des kilotonnes, juste en étant eux mêmes avec leurs sourires lumineux, leurs mots doux et leurs âmes claires.

Tu n’as pas suffisamment de salopards à t’occuper ? Il semble quand même qu’ils soient légions, qu’il en reste un paquet. Je peux te faire une liste si tu veux et crois moi elle sera bien longue, tu auras l'embarras du choix. Mais eux, ceux que tu nous prends ?

Ceux que tu nous as pris, ceux que tu as choisis, que tu as désignés, que tu as condamnés. Eux, pourquoi eux ?

Il y a quelques années déjà tu nous avais fait ce sale coup et là, tu recommences. Qu’est ce que c’est que cet acharnement? D’où te vient-il ? Implacablement stupide. Ce besoin de faire tout ce mal, de faire naître tout ce chagrin

Du reste : Qu’est ce que c’est que ce besoin de meurtrir, de blesser, de peiner,  de plonger  ceux qui restent dans une peine si douloureuse ?

Aujourd’hui j’ai une dent contre toi. Une dent ? Une grosse paire de vilaines mâchoires, plutôt.

Mes premières pensées vont vers les plus proches de ceux que tu as enlevés. Je ne peux pas, je n'y arrive pas, je n’ose même pas imaginer leur douleur, leur si grande douleur de les avoir perdus. La première, la seule et la dernière peine  qu’ils leur auront faite de toutes leurs vies.

Il en faudra du temps pour admettre qu’on ne vous verra plus, il en faudra des années pour penser que les absents vont désormais exister sous d’autres formes que celles sous laquelle nous  les avons  connus et qui seront, entre autres, les souvenirs émus que nous aurons d’eux. Ils vont continuer de vivre en nous à travers nous. Ce que nous ferons, nous le ferons en leurs noms, pour eux en pensant à eux. Alors ils seront encore là, parmis nous.

Je leur souhaite que ce temps vienne vite et que leur immense peine soit un peu adoucie par la mémoire radieuse de qui ILS étaient. Je les embrasse pour, si possible, que leurs cœurs soient un peu moins fracassés par le chagrin et que vienne vite le temps du souvenir ému de leurs sourires si doux.

Ce matin après avoir appris la nouvelle je ne savais qu’une chose avec certitude c’est qu’on en était encore très loin…

18 novembre 2022

Pas de lancier, pas de Bengale

 C’est très peu de temps après  être descendu du TER qui venait de L’isle sur la Sorgue et qui filait vers Marseille que je me suis dit que quelque chose  ne clochait pas.

Dans ma tête, je descendais à cet arrêt pour attraper une navette vers l’aéroport de Marignane puis, de là, un avion pour Paris d’où un peu plus tard j’en prendrais un autre direction YUL, Montréal, Québec, Canada. Autant dire qu’une petite trotte se préparait mine de rien. La veille puis le  matin, j’avais vérifié une demi douzaine de fois si j’avais bien pris mon passeport, oui parce qu’une fois j’étais parti, encore pour Montréal sans lui. Pour moi, on y parlait français, c’était donc comme la France, alors la carte d’identité suffirait. Pas du tout. Il fallait absolument un passeport. Les notions de frontière, de douane, de visa m’étaient passées tout au dessus de la tête. J’avais donc reporté mon voyage après avoir perdu le prix du billet de l’avion que je n’avais pas pris. Pour tenter de me consoler je m’étais dit qu’un type ou une fille avait, lors du vol, dû  bien dormir grâce à mon absence sur le siège d'à côté. Ça ne m’avait pas vraiment consolé. Pour le voyage que je m’apprêtais à faire, ils avaient ajouté un certificat qu’ils appelaient Arriv can que si tu ne l’avais pas tu restais dans l’avion et faisait comme en télésiège le retour sans même descendre… Là encore c’était bordé, j’avais les certificats nécessaires, j’étais vacciné, j’avais tout. Il ne me restait plus qu’à atteindre l’aéroport ce que je pensais faire en sortant de cette gare.

J’ai vite déchanté. Une fois franchies les grilles du fameux Pas des lanciers je me suis dit que ça ressemblait à tout sauf à un arrêt pour navette vers un terminal aussi important que celui de Marignane. Il n’y avait qu’un malheureux bar un peu plus loin et sinon un bout de trottoir désert.

J’en étais là. 

Devant un malheureux arrêt de bus banal face à un bar à peine ouvert dans un coin perdu. Je suis allé au bar où personne ne savait : On ne prend pas l’avion, nous ! M'ont ils envoyé bouler en insistant bien sur le nous…

J’ai demandé dans la rue à deux trois personnes dont une savait. J’avais dépassé l’arrêt, il me fallait reprendre un TER mais en sens inverse pour une station seulement et là je trouverais la navette. J’en avais pour une bonne demi heure durant laquelle j’ai vu passer au dessus de ma tête frôlant les tuiles des toits dans un vacarme étourdissant les avions venant atterrir à l’aéroport où j’eus aimé me rendre. J’ai payé un billet à la caisse automatique, il n’y avait plus d’humain depuis belle lurette dans toutes ces petites gares, j’ai laissé passer quelques Airbus et je suis monté dans le TER enfin arrivé. J’ai ensuite attrapé une navette bondée pour Marignane Terminal Un qui nous a bien sûr débarqués au Terminal 2. A moi les contrôles, le passage en douane, les free shops, les plateaux repas, les films en altitude, les coudes coincés, les wc pour anorexiques, les trous d'air, les courbatures, le jet lag...

Je m’en foutais un peu j’avais de la marge en temps. J’étais même large, j’allais en avoir besoin…

Arrivé au guichet des départs on m’a gentiment expliqué sur le ton d'un médecin qui explique de mauvaises analyses, que mon premier avion, celui pour Paris, c'est de Nice qu'il décollait…





08 octobre 2022

Quel problème

Tous ceux qui étaient dans le wagon, ils n’étaient pas demeurés,  avaient compris qu’il y avait un problème. Les voisins avaient commencé à se regarder d’un air entendu qui disait on est dans la merde. Mais ce qu’ils ne savaient pas c’était le temps que ça allait durer. Ils étaient arrêtés depuis un bon quart d’heure maintenant à Lyon  alors que c’était un train sans arrêt jusqu’à Aix. Et puis une voix a fait : Mesdames Messieurs désolés pour cette arrêt qui n’était pas prévu, panne électrique qui affecte les aiguillages vers Marseille, gna gna gna, ils essaient de réparer (sans blague !) on ne sait pas quand le trafic pourra reprendre mais dès qu’on en sait davantage on revient vers vous pour le dire (vous êtes trop bon !). 

On est resté bloqué une heure trente. C'était bien ma veine! Un karma de frelon asiatique: Tout le monde lui tombe dessus.

C'était la fin d’après midi. Donc on aurait une heure trente dans le nez à Avignon… Bien entendu, j’allais manquer le dernier TER pour Fontaine où j’avais laissé ma voiture…  Il n’y avait pas non plus de service de bus et le taxi coûtait un bras et demi. Heureusement qu’avant de partir, j’avais fabriqué un petit carton sur lequel j’avais écrit: L’Isle sur la Sorgue, la gare où j’avais laissé ma voiture quelques jours auparavant. Je m’étais donné jusqu’au dernier TER pour tenter de faire du stop et puis, si personne ne m’avait embarqué,  je me serais rabattu sur le train de 18h30… Celui que  je venais de manquer…Ce retour de la capitale où j’avais passé quelques jours avait désormais un parfum d’embrouille et de galère. Et ça ne sentait pas si bon que ça.

À cette période de l’année  tu as encore une heure de jour pour montrer ton carton. Après ce serait plus difficile. La nuit les gens deviennent méfiants alors que si on regarde bien les statistiques, il y a autant de crime le jour que la nuit. Il fallait y croire. Hardi le pouce ! Montre le fièrement ton carton !

Ce que j’ai fait. Après un petit quart d’heure d’inquiétude, un gars s’est arrêté. Une jolie bagnole allemande confortable. Il m’a dit qu’il n’allait pas là où j'allais mais que là où il en était il pouvait bien faire un détour. Intérieurement je hurlais de joie mais extérieurement je n’ai presque rien laissé voir comme si c’était normal qu’il me prenne dans son engin et qu’il me dépose au bon endroit. Mes chakras étaient ouverts en grand et l’air circulait comme à l'intérieur comme dans une pompe géante. On a passé le trajet à se raconter nos vies enfin surtout la sienne parce que moi je ne suis pas trop du genre à me répandre. Pas la première heure.  Il venait de manquer son train pour paris à cause d’un problème électrique sur les voies (un compagnon de galère), lui y habitait et il revenait dans la maison de campagne qu’il avait dans un joli village du coin. Juste pour y passer la nuit puisqu’il reprendrait le train de sept heures le lendemain. Il fallait bien qu’il rentre, il était attendu. Sa maison était dans un village que je connaissais bien. On a donc papoté agréablement lui et moi. J’ai posé quelques couches de remerciements sur le fait de m’avoir évité une sacrée tannée, j’étais content de le connaître, il était agréable. Pas ramenard, simple et il aimait une belle région, comme moi.

Quand il m’a déposé à une centaine de mètres de la gare, je n’ai  pas voulu lui faire faire un détour supplémentaire, il faisait nuit. Je l’ai salué et remercié encore une fois. Je suis descendu et j’ai regardé les feux de sa bagnole s’éloigner. J’ai épaulé mon sac et me suis dirigé vers ma voiture. Une fois assis, j’ai voulu remettre mon portable à charger… J’ai  nettement ressenti le frisson glacial me parcourir l’échine 

… Non pas ça… Hé ben si il m’est arrivé ça. J’avais laissé mon portable dans la bagnole de mon sauveur… Un karma de moule de bouchot...

Je vais me presser je devrais bien arriver à le rattraper… Je mets le contact… Ah oui mince, évidemment j'avais oublié, le réservoir est vide et le témoin allumé… Je dois donc  absolument remettre du carburant sous peine de tomber en rade. Il ne faut pas ajouter de la poisse à la poisse, ça ne se fait pas. Je me suis vu en panne dans la nuit dans la campagne sans portable pour prévenir. J’ai filé à la première pompe venue. Pendant ce temps là mon portable fonçait, lui, se perdre dans la nuit...

Une fois le réservoir plein, j’ai quand même pris la route pour tenter de le rattraper. Bien sur malgré la petite cinquantaine de kilomètres parcourue au hasard dans la nuit d’Octobre je n’ai jamais remis les yeux sur lui ni sur sa bagnole et encore moins sur mon portable..

Aussi, j’ai fait demi tour. Il fallait que je prévienne les miens maintenant sinon ils finiraient par s'inquiéter. Ils en étaient restés à l'arrêt panne.  Avant il y avait des cabines téléphoniques dans tous les coins mais elles avaient toutes été transformées en cubes de métal. Et je n’avais plus de fixe chez moi depuis belle lurette…

Je suis allé dans un restaurant où j’avais mes habitudes pour téléphoner et... manger un morceau. Si ces bêtises m'avaient  fermé les chakras, elles m'avaient ouvert l'appétit.

J’ai pu appeler et dire où on pouvait me joindre pendant une heure et raconter mes aventures.

Là où j’en étais, je n'avais plus qu'à juste récupérer mon portable qui pour tout arranger était en silencieux, je n'aime pas qu'il sonne dans le TGV et donc si on m'appelait mon nouvel ami ne pourrait pas l'entendre... 

Je ne savais qu’un truc de mon chauffeur. Il prenait un train le lendemain matin à sept heures pour Paris... J'ai envoyé valdinguer l'image qui m'est venue du karma d'un taureau de combat...

J’avais une nuit devant moi pour trouver son horaire, me reposer et tenter de savoir, si c'était possible, comment régler ce problème… 


Un problème? Quel problème?




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