16 avril 2023

Du milieu du Pacifique Ocean

 Alchimer Journal de bord Extrait.

J+6 Avril 2023


Le soir tombe, un an et quatre mois d'escale, nous partons. Longtemps le halo d'Auckland fera tache dans la nuit.  J'ai aimé cette ville, ses arbres surtout. J'aime ce pays, J’aime ce pays parce que la nature  est encore forte, les rivières y ont des droits, des consciences veillent, malgré les traîtrises et le mépris par endroits. Ce pays parce que nous y avons trouvé le lieu et les personnes pour Alchimer. Ce pays parce qu'il est la possibilité d'un départ autrement, qu'il est une île,  et qu'une île, c'est une route avec la mer au bout.  

Cinq longs bords de près pendant la nuit furent la condition pour pointer l'étrave plein Est le  premier avril à sept heures  à la sortie du golfe Hauraki, face au large et ses deux mille sept cent milles de Pacifique jusqu'à Tahiti.  Trois à quatre semaines de mer. À peu près l'équivalent d'une traversée de l'Atlantique, sur une route moins bien pavée. Les deux 1er jours sont lents ; vents modérés à faibles, comme prévus sur le grib météo. Je m'étais dit qu'une entrée en matière en douceur valait mieux, avant de rejoindre le flux Sud Ouest -assez soutenu, mais favorable- d'une dépression passant dans le sud de la Nouvelle Zélande.  Nous y sommes le troisième jour. Le vent monte, notre vitesse aussi. Notre cap est choisi en fonction d'une nouvelle donnée dans le dernier bulletin : une dépression est en formation dans le nord de la NZ, côté mer de Tasman. Sa trajectoire croiserait notre route d'ici six jours. À confirmer, car ces choses évoluent, ce n'est qu'à trois jours que la prévision devient fiable. Dilemme : - ralentir pour la laisser passer, au risque de fort vents contraires dans son sud ; 

- la contourner plein nord par sa gauche, mais se retrouver près des Kermadec, une chaîne de montagnes sous marine posée à neuf mille mètres de fond et montant ses  sommets à cent vingt mètres de la surface, quarante deux mètres pour le plus haut... une zone où la houle lâche des déferlantes infréquentables par mauvais temps.- calculer et tenter un point de rencontre pour traverser la dépression à l'endroit le plus maniable. Elle n'est pas très creuse, sa vitesse est constante, son environnement est clair ; nos conditions actuelles se maintiendront en piquant un peu vers le sud. On adaptera. C'est jouable. Les fichiers météo ("grib" dans le jargon) confirmeront. Et aussi qu'il faudra approcher des quarantièmes de latitude sud. Ça donnera peu de sommeil, mais quelques belles journées dans une mer dopée de ses vingt cinq / trente nœuds de vent ; à filer sous voilure réduite par monts et vallées, écumantes souvent, grisantes toujours.  Jusqu'à ce fameux matin. 

Une aube un peu pâle, je me mets à la barre pour prendre le pouls du jour. Et là, sur mon tribord, comme au ralenti, il apparait, le géant, le maître-rêve, je le reconnais aussitôt, il a passé tant de temps dans mes sommeils d'apprenti marin, impossible poème mille fois clamé dans le vide des nuages, déployant au vent l'élégance suprême de ses ailes. Pas un battement. Il glisse infiniment, immense, précis, lent presque, tant son vol est coulée permanente. D'une volte soudaine son ventre blanc s'offre aux premières lueurs de l'Est, ses pointes caressent, plume contre écume, le rire vertigineux des vagues. Il vient de si loin, de mers si vastes, de cieux si profonds,  à nouer les fils du temps et de l'espace. Peut-être bien que lui aussi me reconnait, il m'ouvre à l'intense symphonie de ses arabesques, il est archer, le vent son violon, l'océan sa voix. C'est mon cœur et mon âme qu'il joue en silence. 

Mon Albatros, le sang de mes traverses, plus jamais je ne marcherai vraiment. 


Je descends dans le carré, Paul, mon équipier se réveille. - Ça y est, Paul ...! 

- Quoi, la dèp  approche ?

- Non, non je l'ai vu, j'ai vu un albatros. 


Bon  c'est fait. Arrivée à Moorea. 
3150 milles  24 jours. 
Route parfois cabossée, mais bateau et bonhomme en forme. Juste quelques bricoles standard et heures de sommeil à rattraper.  
Et p... que c'est bon de l'eau chaude, bleue translucide, avec des poissons dedans !
Restera plus qu'à s'y remettre,  dans le bain.
Et toi ? Le printemps, printanier ?
Embrassade du tropique sud. 

 

A suivre....

Martial Barriel.

2 commentaires:

Tilia a dit…

Beau texte, qui remue des bribes de souvenirs très lointains dans ma mémoire de gamine, j'étais fascinée par l’albatros.
Mais L'albatros royal n'est pas toujours majestueux:D

chri a dit…

@ Tilia Merci pour le rire du matin! Oui, oui il vaut mieux qu'il vole...

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