18 mars 2017

À mourir.

« Bonjour tout le monde » a-t-il lancé à la cantonale (il avait parfois de légers problèmes avec certaines consonnes) en entrant dans les locaux de la PJ et dans un grand sourire. 
« Bonjour tout seul » ont répondu les autres sans se détourner de leurs tâches.
Lui, appelons le Paul, devait être un des seuls enquêteurs de cette brigade, un des limiers du 36, comme on écrit dans les polars de gare,  à n’être ni dépressif, ni tordu, di désabusé, ni célibataire endurci, ni ravagé par un drame personnel épouvantable ou des démons mortifères. Il n’était ni suicidaire ni alcoolique même s’il s’autorisait parfois une bière jamais plus, avant de rentrer, en fin de journée si celle-ci avait été particulièrement crevante. Il ne s’était servi de son arme de poing qu’au sous sol s’exercer, régulièrement, tous les deux mois comme l’exigeait son service. Il n’avait jamais malmené, giflé, frappé, mordu personne. Pas plus qu’il n’avait exercé des pressions sur un témoin, un suspect. Il menait à bien sérieusement ses enquêtes, n’omettant aucune piste mais n’allant jamais au plus simple. Il était méthodique sérieux, scrupuleux  et organisé. Il était, les autres ne se gênaient pas pour lui dire et même le chambrer gentiment plutôt laborieux mais quand il tenait un suspect, il ne le lâchait pas ; il allait au fond des choses avec lui et tous les autres. Il n'avait pas d'ennemi, n'était fâché avec personne et en colère après rien. Il ne restait jamais en surface des événements, il allait toujours gratter derrière. Il ne jouait pas. Ni aux course, ni au poker, ni au casino. Pas comme les autres, là. Il donnait deux euros de temps en temps pour un loto avec les collègues, davantage pour qu'ils aient quelque chose en commun que pour l'appât du gain. Pour ce qui est de son apparence il s’en moquait un peu et s’habillait plutôt de prêt à porter de grandes surfaces. Il fallait que ce soit pratique, confortable et surtout pas cher. Quand il voyait comment certains de ses collègues étaient fringués, il prenait peur. Il ne voulait pas savoir d'où leur venait l'argent qui leur permettait de s'offrir de tels costumes. Je suis un homme simple disait-il. Il avait arrêté de fumer bien avant tout le monde mais ne faisait pas la morale à ceux qui n’avaient pas encore trouvé la force de le faire. On ne lui connaissait pas d’opinion politique bien qu’il se soit plusieurs fois prononcé pour pencher au centre ce qui avait fait rire la plupart de ses compagnons dont on connaissait la bienveillance appuyée pour une grande blonde un peu virile.
Il faisait son boulot sérieusement et avant de rentrer chez lui il passait faire quelques courses au supermarché du coin. La voiture rentrée, le garage fermé, il montait à l’étage embrasser sa femme et ses deux enfants qui l’attendaient devant la télé  pour se mettre à table, c’est lui qui servait, débarrassait et remplissait le lave-vaisselle. Je n’ai pas préparé ce repas là qu’au moins je sois utile disait-il les yeux vaguement mouillés de reconnaissance éperdue envers celle qui, à cause de son si prenant boulot, tenait plus ou moins la maison mais qu’il essayait d’aider à chaque fois qu’il le pouvait et qu’il aimait depuis plus de quinze ans sans jamais avoir été tenté par une quelconque aventure, par un quelconque accroc au contrat:
« Quand on donne sa parole, on donne sa parole » répétait-il...


Bref, ce type là était chiant à mourir.





6 commentaires:

Tilia a dit…

Pas du tout d'accord avec la conclusion, même si c'est de l'humour ou de l'ironie malicieuse.
Ce type-là est exemplaire et mériterait plus de reconnaissance.
Bon week-end, Chri

chri a dit…

@ Tilia Heu exemplaire, certes mais quand même... Pas très rock n'roll. On en ferait pas un film.

M a dit…

Juste un peu slowporifique ?
Mais alors, donc, ce joli petit nuage n'existe pas dans son ciel à lui... Quel dommage ! C'est pourtant lui (entre autre) qui donne sa profondeur au bleu, au bon heurt quoi.

chri a dit…

@ M oh jolis!!!

odile b. a dit…

Pourquoi ne pas aller jusqu'à dire : "Quand on est con, on est con "...
"Il ne fait pourtant de tort à personne", le Paul, avec ce prénom passe-partout, "en suivant son ch’min de petit bonhomme"...
Apparemment, dans la description, il n'y est pour rien, exemplaire, irréprochable... et le voilà, pourtant, "habillé gratuitement" pour le printemps... Mais, comme chacun sait aussi, ... "l'habit ne faut pas le moine"... Pas sûr, même, qu'avec un costard bien taillé, il aurait eu davantage l'assentiment / l'adhésion, l'agrément, l'approbation, l'adoubement, le suffrage... de la plume acerbe et aigrie qui, visiblement, ne l'a pas dans l'nez, celui-là, pour le dégommer ainsi...

C'est demain l'printemps, le moment de faire peau neuve ! Alors "Bon dimanche, au balcon ou aux tisons"... :-)

chri a dit…

@ Odile, je me suis juste amusé à décrire un personnage dont il n'y a rien à dire ni à redire

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