18 octobre 2014

Une balade en douce.

Nous avancions gentiment dans l’automne mais rien d'autre ici, ne pouvait le laisser penser, que la date et le trop rapide raccourcissement des jours. Le clair, il faisait chaud comme au plus beau de l’été, gare à qui sortait tête nue, les filles portaient toujours leurs robes légères, même les nuits y étaient douces. Malheureux ceux qui avaient sorti les couettes et les lourds vêtements  d’hiver. Bien que les cheminées aient été proprement ramonées, elles restaient  désespérément vides. Elles patientaient. Jusqu’aux feuilles des arbres qui avaient à peine commencé de jaunir. Il faisait tellement beau que dès qu’on le pouvait, dès qu’on en avait le temps, on montait en voiture et on parcourait les kilomètres qui nous séparaient de la mer. On y allait et mieux on s’y baignait avec délectation comme au ventre de juillet. Et c’était pur délice. Comme les vacanciers et les touristes étaient rentrés chez eux, le plaisir en était augmenté. Les plages n'étaient occupées que par nous autres, ceux d'ici et somme toute ça  laissait pas mal de place. Nous avancions gentiment dans l’automne et ça ne se voyait pas. L'été s'était allongé sur la région comme un ogre y fait sa sieste.
Pourtant, il ne nous restait plus que deux jours avant d’en arriver aux vacances de la Toussaint. Deux petits jours pour terminer sept longues semaines de travail. Quinze jours de repos qui étaient presque les plus attendus puisque les premiers après tous les efforts de la rentrée. Et, mieux vaut dire que tout le monde en avait plutôt besoin. Nous étions tous fatigués, harassés, épuisés, vidés, sur les jantes. Ne plus, ni nous voir, ni nous fréquenter, ni nous entendre, ni être confinés dans le même espace pendant toute une quinzaine allait nous faire un bien fou… Du moins, c’est ainsi que tout un chacun voyait la chose.
Dieux du ciel, comme il était difficile à envisager cet avant dernier jour, comme il semblait insurmontable, comme on s’en passerait si volontiers, comme on voudrait qu’il n’ait pas lieu, comme on paierait cher pour ne pas le vivre… Alors une idée s'est pointée. Elle s'est amenée au milieu de la nuit profitant sans doute d'une vague insomnie: Et si on n’y allait pas ? Si, au matin, on disait qu’on est malade et qu’on n'ira pas ce jour là, qu'on est désolé mais que c'est ainsi, qu'on ne peut pas faire autrement, Du reste pouvait-on faire autrement que ne pas pas y aller ce jour là. Celui-là seulement. Rien que lui. Lui seul. Comme une parenthèse, comme un cadeau qu'on se fait, comme une exception, comme un moment suspendu...
Et si à la place, on profitait de ce superbe jour d’automne pour s'en aller commettre une virée à Lourmarin ?
Après avoir téléphoné, pour prévenir de mon absence, je me recoucherais une heure ou deux, ensuite je me lèverais, je m’habillerais et je roulerais gentiment. J’irai par Venasque et le Col de Murs, j’en profiterais au passage pour saluer comme ils le méritent les deux chênes, et les deux noyers de Murs, ensuite, je descendrais sur Gordes, la route doit être si belle cet Octobre. Puis, je monterais vers Bonnieux et enfin, je replongerais sur Lourmarin en passant par le creux de la combe. Arrivé sur le plateau, je me garerais le long du terrain de football, à l'ombre épaisse des grands platanes. Puis, je me baladerais tranquillement au calme des ruelles étroites de ce si beau village, je lècherais les vitrines encore ouvertes avec application et sérieux, je monterais sans doute au cimetière où j’irais, comme à chaque fois, saluer la tombe généreuse du Nobel écrivain enterré là. Puis, j’irais m'installer à une table en terrasse au plein soleil du midi, pour me régaler d’un plat et d’un verre de vin Corse, histoire de penser à mes amis qui y vivent, que j’aime et que je ne vois pas si souvent.
Enfin, je passerais une bonne partie de  l’après midi ou dans la prairie au pied du village ou dans la cour du vieux château, près du bassin aux poissons et, ensuite, quand le soleil se mettrait à descendre, à pâlir, à moins chauffer, je me rentrerais sagement... Par la route de la plaine.

J’aurais, alors, à n'en pas douter, le sourire ravi de celui qui, en plein automne, un jour de travail, se sera délecté d'une virée buissonnière à Lourmarin mais qui n’aura manqué à personne…





13 octobre 2014

Prune.

Pour les Impromptus de la semaine, il fallait écrire à partir de: poussières et balais...

Ils sont là, les têtes baissées, presqu’en cercle sous une pluie violente et glacée, une de début Novembre. Ils sont là sur un parking de cimetière, entourés d’immeubles, au cœur pollué d’une banlieue sinistre d’une ville sans âme. Ils sont quatre, ils sortent comme allégés d’un crématorium (Quel joli mot qui vous a un petit côté caramel...). L’un allume une cigarette, deux qui peuvent être jumeaux se parlent en douce, l’une, la plus jeune, toute de noir vêtue tient entre ses deux bras une urne funéraire contre laquelle elle semble se réchauffer. L’un, l’ainé sans doute, celui de la clope, dégoulinant de flotte, les épaules trempées, dans un souffle, parlant assez fort pour couvrir le bruit des gouttes sur les capots des voitures :
__ Ah ça on peut pas dire, elle nous aura bien fait chier jusqu’au bout.
__ Un peu de respect quand même fait l’un des deux sans trop y croire.
__ Quoi dis moi que j’ai tort ? Calancher en Novembre alors que ça fait deux ans qu’on attend, elle n’aurait pas pu faire ça en Juin ? Au moins on se les gèle pas, en Juin. Et puis si un jour on m'avait dit que je devrais casquer pour la récupérer, merci bien...
__ Arrête, c’est notre mère malgré tout, tu pourrais modérer… Au moins aujourd’hui…
__ Notre quoi, as tu dit ? Notre mère ? Elle ? Ah ça si il y a un truc qu’elle n’a jamais été c’est bien notre mère ! Tu as vu où que c’était ça une mère ? Qui  t’as élevée, toi ? C’est elle ou c’est moi ? Notre mère ? C’est la meilleure de la journée ! Il faut que je te rappelle tous les soirs de toutes les semaines de tous les mois de toutes ces années où elle foutait le camp, où elle disparaissait dans les valises d’un type de passage et qu’elle nous laissait seuls au monde à nous démerder avec rien. Combien de fois elle t’a emmené en vacances, ta soit disant mère ? Combien de fois elle est venue te chercher à l’école ? Combien de goûters  t’a-t-elle préparés ? Combien de chansons pour s’endormir elle t’a appris ? Combien de fois es-tu allé quelque part avec elle ? Cette femme là, elle vivait de temps en temps avec nous, de passage. Entre deux hommes, entre deux boulots, entre deux amours. Tu te rappelles que notre père en est mort de chagrin et qu'on s'est occupé de tout parce que Madame était ailleurs ? Tu t’en souviens de ça ? Dis ? Tu sais Prune il y des choses qu’on ne peut pas oublier. La seule chose un peu jolie qu’elle t’ait donnée cette femme là, enfin ce qu’il en reste et que tu tiens dans tes bras, c’est tes yeux verts. Pour le reste tu n’as rien reçu d’elle,  pas même  ton prénom. Prune c’est moi qui t’a appelé comme ça.  Elle,  figure-toi qu’elle avait choisi Cindy. Alors, tu vois bien. Je n’exagère pas, je ne dis pas du mal, je ne charge pas la barque, je fais le bilan. Et il n’est pas très jojo le bilan, si tu veux mon avis. Et ne va pas t'imaginer qu'elle nous a donné davantage à nous troisElle a été équitable. Nous avons reçu exactement la même chose que toi, c'est à dire, rien. 
Les deux autres qui n’avaient rien dit se sont approchés d’elle,  ils ont entouré Prune de leurs bras solides et lui ont soufflé à l’oreille :
__ Il a raison tu sais. C’était pas une bonne mère parce que ce n’était pas une mère. Regarde, elle ne nous a rien laissé d’autre que quelques dettes et deux, trois manteaux pourris. Tout ce qu’on possède aujourd’hui, le petit peu qu'on a c’est à nous que nous le devons, pas à elle.
L’un a essuyé une larme qui venait de naître au coin de l’œil de Prune et puis il a lancé :
__ Bon, si on rentrait, maintenant ?
Ils se sont engouffrés dans la bagnole et sont partis sur les chapeaux de roues. Pendant le trajet, ils ont gueulé ensemble sur un truc qui passait à la radio, qu’ils aimaient chanter à tue-tête. Pour une fois ça tombait bien. Et puis, ils ont ri, aussi.
Arrivés chez eux, ils se sont un peu bousculés dans l’entrée et Prune a lâché l’urne qu’elle tenait dans les mains. En tombant, en arrivant au sol, elle s’est ouverte et une bonne partie du gris des cendres s’est répandue en pluie fine sur le lino blanc de l’entrée...
__ Oh merde !
Prune a filé dans la cuisine. Elle est revenue un balai et une pelle à la main.
Alors, l’ainé dans un éclat de rire a lancé :
__ C’est le comble : Elle qui a toujours détesté tout ce qui est ménage, de près ou de loin, finir dans une pelle… En cendres et poussières, brossées par les poils d’un balai. Quelle misère. C’est à pleurer.
Les trois autres étaient pliés.
Au bout d’un moment d’une petite voix mais toute ferme, à genoux:

__Va chercher l’aspi, tu veux, a dit Prune, je m’en sors pas avec la pelle…


12 octobre 2014

Eau douce.

C'est une chaude fin de journée de printemps, on avance dans le sirop de l’air comme dans une étuve étouffante, la rivière étale en langueurs aplanies sa fraîcheur sous terrienne, elle se donne des allures de jeune fille à l'approche de la ville pour qu'on oublie le gouffre d'où elle vient, elle offre sa nuque aux murs costauds des digues, une mère cane y surveille du coin d'un œil ses trois canetons curieux et agités, le vert des peupliers joue avec d'autres, ceux des algues ondulantes, une couleuvre d’eau comme une route de montagne s’insinue dans le clair de la vive, le soleil déclinant allume les dessous d’arbres d’un rose naissant, des bleus de libellules s'attardent sur des coupelles de verts, un souffle léger étincelle des tourbillons éphémères, un couple de hollandais rougis et ventrus s’en reviennent de baignade en parlant, comme ils savent, c'est-à-dire, haut et fort, des insouciances s’éclaboussent de leurs rires en cascades, d'un autocar géant débarquent des cyclistes belges au bronzage ridicule, un chien tout entier, fou follet charge une compagnie bruyante de poules d’eau, une cloche lointaine sonne les vingt heures et la tombée du jour, la mouche leurre de laine d’un pêcheur, droit dans ses cuissardes, habillé comme un sous-bois, planté dans le plein des draps du courant secoue, à grandes volutes, la moiteur de l’air, des intrépides crient en se pendant au bout d’une corde centenaire attachée à un platane aussi vieux qu'elle, puis se lâchent pour se bassiner dans le frais, quelques rainettes dérangées par les passages sautent dans la lumière et disparaissent à fortes cuisses sous les chevelures vertes et ondoyantes, les cigales amoureuses répètent pour le récital d’avant nuit, l’ombre d’un geai passe au tellement ras de l’eau que le bout de ses ailes s’enmouille, arrivent, de la guinguette, pas loin, portées par une brise légère, des odeurs de cuisine qui ensalivent les bouches et parle franc aux papilles, les ailes bleu électrique d’un Martin Pêcheur affolent  des alevins livides, une truite en chasse s’attarde derrière la cache d’une pierre, une chorale de crapauds en désirs accorde ses voix pour un concert de rauques, des peaux  douces d'amants amoureux se tissent des souvenirs pour les soirs de disette, une femme d’un autre âge soigne son arthrose dans une flaque de lumière et d'eau, un large chapeau de paille sur la tête pour moins souffrir du chaud, des martinets joyeux planent et viennent flanquer leurs becs à la surface comme des canadairs minuscules, un canoë glisse, laissant derrière lui des vaguelettes silencieuses qui s’en vont s’adoucir sur les berges comme des mains de mère, le musclé du frais nous passe entre les jambes et pousse à l’étonnement, alors, rafraîchi, séché puis réchauffé au soleil encore donnant, une cigarette imaginaire aux lèvres on se pense qu’on vit un bel instant, on remercie le Partage de l’avoir offert, on se congratule, en silence, de savoir le vivre et de derrière une île, arrivent les notes d’une musique chaloupée, elles atteignent les oreilles attentives, en les tendant davantage, on entend la voix d'un Claude épuisé qui, comme les pêcheurs du coin, fait mouche :

"L’eau de cette rivière fofolle mais pas farouche, 
l’eau si fraîche et claire vous met l’eau à la bouche, 
là on peut s’asseoir en l’écoutant jazzer, 
en cascadant sur les pierres usées… 
On s’y fond, on y ondule, là, quand on retrouve l’air libre, 
on sent que rien n’est plus beau que vivre… "


Ici, on engrange, pour les jours plus difficiles, la peau douce du bain béni, le cul posé sur une pierre, le pied droit battant la mesure comme un Mingus d'Assise allumé par les derniers feux du jour, un sourire vaguement niais accroché au coin des lèvres, comblé, une fois n'est pas coutume...


06 octobre 2014

Des senteurs.

Lui, il est allongé sur le côté dans une chambre insipide, les bras bleuis par les aiguilles, reliés à une poche au-dessus, le corps amaigri, simplement recouvert d’un drap d'un vieux jaune. Elle, elle est assise tout près du lit et lui tient la main, ils se parlent en deux souffles ténus et de temps en temps, entre deux, il esquisse, un vague sourire.
___ Oh mon Dieu ! Il y en a tant et tant…  Tu sais, il y a celle d’une route goudronnée après une pluie d’orage dans la moiteur de l’été, celle d’une plage sur la côte atlantique après le passage d’une dépression, celle de la peau d’un ventre de bébé sorti du bain, crémé de frais, celle d’un bouillon de queues de langoustines au gingembre bloblotant en casserole, des marais salants se vidant à la descendante, d’une grappe de seringats, ou de chèvrefeuille ou de lys en fleurs, des suaves alizés portant en eux les senteurs épaisses d’une végétation tropicale, d’un plateau d’oursins juste ouverts en deux, celle d’une sauce tomate maison réduisant à feu doux dans le noir culotté d'une vieille poêle, d’un bouquet de romarin juste coupé, de la peau tendue d’un cou de cheval caressé, d’un petit bois de buis sur pieds, d’une épicerie ancienne, du parmesan fondant sur des raviolis fumant de chez Perrin, celles du maquis, puissantes, enivrantes, qui nous saisissaient aux narines quand nous approchions de l’île, des ruelles d’un petit village de Margeride un soir de début Novembre, celle d’une petite victoire d’orgueil, si vaine, si inutile, celles d’une bergerie de chèvres en Lozère, d’un cabanon d’ostréiculteur des maritimes Charentes, du raisin piétiné au moment des vendanges qui envahissent les villages de viticulture, d’une prairie dense d’herbe grasse de Savoie haute, d’un verre à peine servi d’un Saint Amour guilleret, d’un sous bois gorgé de champignons au début d’un novembre bienveillant, d’un filet mignon de porc aux coings transpirant en cocotte, de la neige à peine tombée sur la plaine, celle des feux de broussailles ou de feuilles mortes et celles de cheminées confortables aux soirs humides, d’un four à pain chaud gavé, en pleine cuisson, d’un vin liquoreux ambré au fond d’un verre tulipe, d’une herbe fraichement coupée, de l’eau vive de la rivière en bas, d’une pinède sur Sainte Marguerite au cœur d’Août, de la soupe au lard et légumes de l’Antoinette qui mijotait doucettement le temps de nos balades, celle du lac où nous nous baignions, de la maison vide tout l’hiver et dans laquelle nous entrions au Mai triomphant, de ton parfum d'un créateur japonais dont je disais qu’il sentait l’huitre et l’air marin, celle de ton cou, du creux de tes deux coudes, du plat de ton ventre et de l’intérieur délicat de tes mains douces… 
Ce sont toutes celles-là qui vont me manquer le plus et quelques autres…
Et, oui, oui, même celles des volutes bleues de blondes que je n'aurais jamais dû allumer…




05 octobre 2014

Pourquoi, quand?

Quand on est cueilli par les pics des monts se peignant d’un blanc étincelant, sous les chutes cotonneuses de Janvier…
Quand est soufflé par les brumes de Février repeignant les champs du monde d’une chape soyeuse, blanche et feutrée…
Quand on s’extasie sous les averses de Mars qui abandonnent, avec les ciels de traîne, des flaques de ciels lumineuses sur les chemins détrempés…
Quand on sourit que l’Avril apporte aux bois du vert tendre, de douces tiédeurs et des lueurs vives de sang neuf …
Quand on surveille que les bosquets de Mai se remettent bien à trembler sous les froissements d’ailes des messagers revenants…
Quand on s’alanguit aux matinées sereines de Juin, qu’elles s’habillent des piaillements énervés de becs impatients…
Quand les lacs de montagne, comme des poches de feu, s’enflamment aux couchants de certains soirs de Juillet et appellent à la baignade malgré le frais mordant…
Quand on aime passer des heures sous les hordes de nuages, jouant à saute-mouton avec les collines aux chaumes dorées du ventre d’Août…
Quand on s’illumine que les plages de Septembre se dénudent des gens et se vêtent de silence, de rouge, et d’horizon…
Quand on espère que les incendies d’Octobre saupoudreront de cendres d’or fin des forêts de lumière…
Quand on attend, avec une  impatience sereine, que les soirées de Novembre s’arrondissent face aux foyers crépitants, dans les fumets de soupes et de châtaignes grillant...
Quand on marche en décembre, le sourire au coeur, face aux orages d’écume qui déferlent sur les jetées des ports, épaulés de la toute puissance des vents…


Pourquoi continue-t-on  de s’emmerder en ville toute l’année durant ?


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