23 juin 2016

Ma partie de tennis avec Paul T.

J’aime ce jeu. 
Si tu fais un match, c’est un contre un, face à face, forces à forces, malice à malice, résistance à résistance, roublardise à roublardise, peur à peur, goût du risque à goût du risque, volonté contre volonté, teignerie versus teignerie et à la fin, rage de t'être fait dégommer ou fierté d’avoir tapé l’autre. Dans les deux cas on boit un verre.  Mais tu peux aussi passer une heure ou deux à, gentiment, s’envoyer les balles, sans jamais te mettre en peine, en essayant d’être techniquement le plus propre possible, comme deux bons amis qui discuteraient ensemble, accoudés au bar sans jamais rien se dire d’important, de pesant, de lourd, de personnel. Un échange sur la météo, le temps qui passe et le constat partagé qu’il vaut bien mieux n’avoir mal nulle part qu’une vilaine arthrose des cervicales parce que ça ne va pas s’arranger, mais en faisant gaffe à la synthaxe.
C’est un jeu avec des règles simples : ou tu la touches, la balle, ou pas, ou tu la mets dans le terrain de l’autre ou pas. La façon de compter les points est un peu plus sophistiquée ce qui est une concession faite aux anglais qui seraient, en partie, à l’origine du jeu, comme souvent, dès qu'on parle sport. Eux, en plus, ont un peu de mal à compter simplement.
C’est un jeu où tu peux jouer partout, sur tous les types de surface, du gazon de l’ambassade du Royaume uni en France, du ciment, du béton, du parquet, du bitume, une cour d’école, une halle de marché, la terre battue du Monte Carlo Country club, du quick rouge vif du terrain privé du cousin de mon beau-frère dans la banlieue de Pont à Mousson, j’en passe et des plus jolis comme celui du Racing Club de France de la rue Eblé en plein Paris. Partout ou presque celui qui veut jouer le peut. Chaque petit village a au moins un court quelque part, il suffit d’aller chercher la clé à la Maison de la Presse et Mr Robert vous la donnera. Vous payez une heure, mais si personne ne vient derrière vous restez tant que vous voulez. Vous n’allez pas non plus y poser une caravane et y passer quinze jours? Pensez à me la ramener, si je suis fermé, mettez la dans la boîte à lettre.
Je venais d’arriver dans ce petit village de Bretagne profonde, en bord de mer, mais profonde quand même. Une anse jolie comme une caresse de sable sur le granit rose des rochers, au débouché de la rivière Aven, oui, celle qui va vers le Pont. On avait loué une petite baraque toute en pierre comme une longère un peu en retrait de la route. On l’avait louée, elle, ici sans doute à cause du petit club de tennis entre aperçu sur google earth, juste en bord de mer ils en disaient : ce qui le caractérise c’est la joie de vivre et la sympathie, on y trouve toujours ce qu’on y cherche joueur chevronné ou débutant, match acharné ou échanges polis. Comme de nous deux j’étais le seul à jouer, j’avais programmé d’y aller faire un saut le matin et d’y passer une heure, ensuite le bain dans l’eau froide (on était en Bretagne) puis retour à la location avec une paire de croissants en mains et la journée devant nous, voilà une semaine qui va nous faire le plus grand bien.
Toi, tu en profiteras pour rattraper ton sommeil en retard et nous aurons le reste de la journée pour nous. Qu’en dis-tu ?
J’en dis que ton affaire a l’air d’être soigneusement préparée et que tu emportes le morceau avec les croissants.
Et c’est vrai que dans un club qui est un peu fréquenté on trouve toujours quelqu’un. S’il est plus fort que toi, il ne jouera avec toi qu’une fois, s’il est moins fort tu peux t’en faire un ami. Mais tu as un partenaire pour l’heure qui suit.
À condition d’arriver à chopper la balle (une façon de parler) tu peux déjà t’amuser. On avait posé les bagages et j’avais filé au club avec un des deux vélos du garage, si j’avais su j’aurais pris l’autre.
J’avais avec moi mes deux raquettes et une boite de balles neuves comme une sorte d’offrande d’arrivée, la bimbeloterie des débarquants ?
Je m’étais présenté et j’avais dit, au responsable qui était là, il se tenait derrière le bar, que je cherchais quelqu’un pour jouer.
Pas de problème, j’ai quelqu’un, vous êtes de quel niveau ? Parfait, je vais appeler ce Monsieur qui est aussi en vacances pour quelques jours, il est venu hier et lui aussi voulait un joueur, ça tombe très bien tout ça m'a-t-il envoyé, un large sourire au visage.
En m’offrant un verre de bienvenue, il m’a annoncé que mon partenaire arrivait dans les cinq minutes, qu’on pourrait prendre le court deux, le plus bas, celui qui a vue sur la mer.
Un type en vélo a déboulé peu de temps après, j’avais à peine commencé ma Badoit. Cette silhouette ? Nom d’une pipe, quelle coïncidence ! Je connais ce type. Il s’est approché, souriant une raquette à la main. C’était bien lui, là, devant moi, celui avec qui j’allais jouer au tennis.
Moi, j’allais échanger des balles avec Paul T. Impayable.Il était agréable partenaire, fidèle à son image, avec une vague tendance à tricher un peu sur les balles en fond de court mais rien de plus que tous les tennismen amateurs du monde. 
Dis sais-tu que je pourrais dire, j'ai joué avec Paul T. Ça alors!, je n'étais pas près d'en revenir.
J’adorais ce jeu.



21 juin 2016

Ma plongée sous marine avec Vanessa P.

On venait de quitter notre dernier mouillage à l’un des deux îlets Pigeon. Deux cailloux comme des poings fermés au large de Malendure sur la commune de Bouillante en Basse Terre, Guadeloupe. On avait appareillé pour le prochain qui serait à Grande Anse dans l’archipel des Saintes. On ne dira jamais assez la force évocatrice de tous ces noms propres. Ah de suite, on était loin de Bobigny, de Pantin et de Courbevoie… Même si pour cette dernière on voyait bien le virage… On en avait pour une bonne journée de navigation tranquille, à vue de la côte, au large de Vieux Habitants, Baillif, Basse Terre, tranquille mais piégeuse question vent parce qu’il lui arrivait de se planquer et de rester dans les forêts, auprès des cases. Ce jour là ça ne semblait pas être dans ses projets et il nous poussait gentiment. C’était si peinard que venant de la terre, on entendait parfois les kokoyoko des coqs et les aboiements des chiens nous arriver sur le bateau. On voulait y être pour le soir parce que le lendemain, on avait réservé dans un club des Saintes une plongée, à l’aube, à l’heure où blanchit le sable. Ils devaient nous emmener vers Point à Vache là où on était presque certain de nager en accompagnant le vol majestueux de raies de belles tailles.
À l’aplomb de Pigeon, une réserve naturelle où la pêche, la chasse, et la plongée en bouteilles avait été interdites depuis plusieurs années, on s’en était donné à cœur joie. On avait juste fait le tour du caillou avant que la nuit ne tombe et c’était comme une plongée dans un aquarium. Une merveille absolue.  On avait même eu l’intense bonheur d’être parcourus par un immense banc de carangues dorées qui nous avait laissés sans voix. Des poissons de la taille d’un avant bras qui avançaient en rangs serrés en te passant entre les bras, les jambes sans te manifester le moindre intérêt. Après ça, on était remonté sur le bateau et la soirée avait été belle.
Avant d’atteindre Grande Anse, on avait juste été un peu secoués dans la traversée du canal qui est souvent agitée à cause des courants. Mais l’arrivée au soir couchant sur Grande Anse dans l’archipel des Saintes, je le recommande à mon meilleur ennemi. S’il est encore fâché après ça c’est que c’est sérieux.
Je n’avais jamais vu un tel spectacle. Bien sûr il vaut mieux avoir quelques notions de maniement de bateau parce que pour faire tenir le tien de bateau dans le nombre ça n’est pas si facile qu’il y paraît. C'est simple, la rade était clarifie de mâts.
Après un repas vite avalé, on avait descendu l’annexe et on était allé faire un tour « en ville « d’où une musique dansante et joyeuse nous arrivait.
Au programme, rhum et zouk, zouk et rhum, ça convenait à tout le monde dans le coin. On était rentré pas trop tard à cause de cette plongée du lendemain, tout l'Est commençait à blanchir, dans une heure il ferait grand chaud. On avait repris l’annexe après un bain et un bol de café noir.
Quand on était arrivé au club de plongée le type qui nous a reçus nous a dit qu’il nous faudrait attendre un couple qui avait réservé la veille. Ils se sont pointés peu après. Ils avaient l’air sympas, détendus et amoureux. On s’est serré la main. Nom de Dieu, c’était elle ! Je l’ai regardée tout le long du trajet en zodiac  vers Point à vache, désolé mais je n’ai pas pu faire autrement. Je me foutais  pas mal d’être bousculé comme à cheval sur un bison sauvage. Je me serais foutu de tomber à l'eau. Je la regardais, elle qui souriait dans l'argent des embruns. Une fois sur place, il nous a donné les dernières consignes, j’ai rien écouté, on s’est équipé et on a basculé dans la flotte. Je me suis arrangé pour rester derrière elle et je guettais son regard. J’espérais bien qu’elle me jette un œil en joignant son pouce et son index. J’espérais voir le vert de ses yeux grossis par le masque. On n’a parlé de rien. À cause du tuba, forcément... On est un peu descendu puis on a volé, facile, au-dessus du blanc du sable pendant dix bonnes minutes, alors les raies sont arrivées. Le type avait un grand sac plein de pinces de crabes accroché à sa taille. Il  les nourrissait à la main, tu parles qu’elles venaient le voir. On me l'a raconté, je ne me souviens pas en avoir vu une.

Je crois me souvenir que, ce jour là, à dix mètres de fond, je n’ai pas vu grand chose ni des coraux, ni des raies, ni de rien. 
Pendant une heure ou deux, je n'étais pas loin des portes du paradis...


À suivre: Ma partie de tennis avec...

18 juin 2016

Mon voyage en train avec Romain D.

Deux heures quarante. 
Deux heures quarante pour passer des babouches du Rhône aux pieds du zouave, pour aller du pastis en terrasse au ballon de côte sur le zinc, pour plonger des monts bleutés balayés de mistral au ciel gris plomb humide de bruine. Même pas un voyage, tout juste un déplacement. Le pays traversé en un éclair. Tu es dans le suppositoire d’Avignon TGV, tu montes dans la rame, le temps d’un souffle, tu descends en face du Train Bleu. Tu petitdéjeunes place de l’Horloge, tu apéritises à l’Européen. Cette ligne aussi rapide qu’un jet de lance, je l’emprunte assez souvent depuis que je vis en bas. Elle me monte à Paris. Elle est bien plus rapide, moins fatigante et plus sûre que l’auto. Le temps de lire un journal, de boire un café, de s’assoupir dans l’ennuyeuse traversée du Morvan, d’apercevoir la butte de Thil et son donjon et la machine ralentit déjà dans la Beauce. Voilà deux siècles, il fallait dix jours et six chevaux pour que quatre personnes s’exténuent sur un tel trajet.
Cette fois je faisais une visite éclair de trois jours pour voir mes petits, juste les voir.
La veille, j’étais allé à Venelles dans la banlieue d’Aix en Provence, assister à un concert de Romain D. Quelqu’un qu’on entend nulle part ailleurs que dans les salles où il se produit. Et encore, il ne se produit pas si souvent dans le sud. On peut se demander pourquoi. Les Christophe M. on les entend partout, toujours et tout le temps et le Romain D. presque nulle part. À part une ou deux îles un peu perdues... C’est très injuste mais c’est ainsi et, du reste, je ne suis pas certain  qu’associer les deux noms soit si flatteur pour l'un des deux. Je suis même persuadé du contraire. C’était son nouveau spectacle que j'ai vu: Dans ce piano tout noir. Virtuose et sensible, brillant et poignant, joyeux et mélancolique. Une mélancolie gaie de quelqu'un de bien élevé à l'heure où le monde est de plus en plus peuplé de malotrus mal éduqués. Enfin ce sont eux qu'on entend le plus. Heureusement les salles dans lesquelles on applaudit le Romain sont pleines et enthousiastes. J’avais, donc, comme d’habitude avec lui, passé une soirée formidable. Une de ces soirées qui vous grandit, où l’on n’a pas honte d’être ému, touché, enthousiaste… Une jolie soirée et puis j’étais rentré, le lendemain, j’avais un train à prendre.
Neuf heures trente deux le train arrive voie quatre, il vient de Marseille et d’Aix en Provence. Voiture trois, place cinquante six en première. Il arrivait que les places en premières soient moins chères qu’en seconde allez comprendre. Nous n’étions pas dans une période de grands déplacements, il n’y a pas grand monde dans la place. Une fois la porte ouverte, j’entre dans le wagon et cherche ma place. Je suis normalement dans un carré à droite. C’est bien là. Un homme est assis en face de moi. Au moment où je m’installe, il lève la tête, me salue et je le reconnais. J’ai passé la soirée avec lui la veille mais lui ne le sait pas, bien entendu. Il a des écouteurs dans les oreilles reliés à un portable à pomme allumé posé devant lui. Il m’adresse un sourire sincère et il replonge dans son écran. J’allais lui dire : Merci pour hier soir mais la phrase m’est restée dans la bouche. J’ai essayé tout le trajet d’entendre ce qu’il avait dans les oreilles, je me disais une nouvelle chanson, un nouveau spectacle, des arrangements pour d'autres, une cantate, mais je n’ai rien réussi à saisir. Seul, un bourdonnement lancinant sans trop de variations, un peu comme un moteur d’avion... De tout le voyage, il n’a pas décollé de son écran excepté pour être charmant avec le contrôleur.
À l'arrivée en Gare de Lyon, en rangeant son portable dans sa housse, en enlevant ses écouteurs des oreilles, en enfilant sa veste, il m’a seulement dit : Vous connaissez Flying simulator? J'adore ça,  je viens de me faire un vol Marignane-Orly en temps réel, avec un Robin DR-300, tout s’est bien passé, quelques turbulences au-dessus du Morvan, un peu de trafic sur Paris, mais sinon, l’atterrissage était parfait, je suis content. Je vous souhaite une bonne journée.
___ Bonne journée à vous, j’ai répondu poliment.

J’ai ajouté : Merci pour hier soir! 
Mais c’était surtout pour moi... 
Profiter d'un trajet en TGV pour simuler un vol en avion, quelle belle idée...




À suivre: Ma plongée sous marine avec Vanessa P.



14 juin 2016

Mon repas avec Audrey T.

Il m’arrive assez souvent de, comme on dit quand on habite dans le sud, monter à Paris.
J’aurais beau vivre en Alaska ou à Mereni une charmante petite ville de la Moldavie profonde, quand je reviens à Paris, quand j'inspire son air Gare de Lyon, je me sens immédiatement chez moi. Je dois dire que c’est la ville où je suis né, au 26 du boulevard Sébastopol, on ne peut pas faire plus central. C'est donc celle où j’ai passé les toutes premières années de ma vie. Je sais presque tout de ses ciels gris plomb, de ceux bleus électrique, je connais par cœur l’odeur de ses rues, le rythme variant des battements de son cœur, j'en sens ses humeurs changeantes. J’y suis comme un poisson dans une immense bassine. Il arrive que ce soit parfois une eau trouble, vaseuse, épaisse, oui, mais c’est mon eau. Et quand j’y suis, j’y marche dans les rues, j’arpente les trottoirs en laissant faire le hasard comme un chien truffier parcourt les bois de chênes verts. Mais j’ai mes oasis. Des bars où j’aime aller, des brasseries que je fréquente, des endroits où je m’y retrouve avec plaisir. Parmi ceux là, il y a le Café Blanc qui est tout près du Palais Royal, du Louvre, des jardins des Tuileries, de la place de la Comédie Française, de la galerie Vero Dodat, des halles, du Ministère de la culture, de Saint Germain l’Auxerrois…. Quand je suis né, j’ai vécu un temps rue Saint Honoré, c’est dire si ce quartier là est mon quartier.
Et, donc, j’aime m’asseoir au Café Blanc qui se trouve au 10 de la rue croix des petits champs, un angle de rue où je me pose en terrasse si le temps le permet, en salle s’il pleut. Je suis assez souvent assis en salle. J’aime cet endroit parce qu’il est simple, ce qu’on y mange est bon et servi avec le sourire ce qui, pour Paris est déjà un bel exploit.
Cette fois là, cette mi-mars là, j’y suis arrivé un peu tard, vers treize heures, après un tour dans les jardins du palais Royal. L’endroit était bondé. Un coup de feu assez puissant. Le serveur qui a fini par me connaître au bout de toutes ces années de présence me montre une seule table disponible près de l’escalier qui descend aux jolies toilettes. Jolies et propres, ce qui, pour Paris est assez remarquable. Je m’installe et commande assez vite une escalope de veau saltimbocca qu’en général, ils réussissent plutôt bien et un verre de blanc. Après quelques minutes d’attente, François revient vers moi l’air ennuyé :
Je suis désolé de vous demander ça mais j’ai une cliente qui vient d’arriver, c’est une habituée, je n’ai plus que la place en face de vous disponible est-ce-que vous voulez bien me sauver la vie en acceptant de partager votre table ?
Demandé comme ça j’aurais eu mauvaise grâce à baisser le pouce.  En tentant une  plaisanterie je lui dis : D’accord mais seulement si elle est jolie. Alors, en m’adressant un clin d’œil, François me jette : De ce côté là, vous ne devriez pas être déçu…
Puis, il appelle la jeune femme et lui glisse : Ce monsieur accepte gentiment de partager sa table, je vous la propose, si cela vous convient et dès qu’une se libère, je vous y mets.
Elle me dit bonjour, je lui rends en faisant mine de me lever pour attendre qu’elle prenne place.
Nom d’un putois malade, c’est elle. Si, si, c’est elle tu n’as pas la berlue, c’est bien elle en train de s’asseoir en face de toi mon gars… Elle portait une petite robe noire sous un trench clair, elle était à faire un avc. (Accident Vasculaire Cardiaque).
Une fois assise, je lui dit : Vous allez avoir dix minutes pénibles mais j’espère m’en remettre, dans un petit moment je dois pouvoir redevenir fréquentable. En attendant, je vais bredouiller, être maladroit… Elle me coupe : J’ai l’habitude, vous savez. Et elle me sourit. Ce sourire…
Un quart d’heure après on était les meilleurs amis du monde et nous avons papoté. Nous avons passé trois heures à parler de ses rôles, de Vénus beauté, d’Amélie, bien sûr d'Amélie, des marins perdus, d’Izzo, de Giraudeau, des Poupées russes, de Vrais mensonges, de Hors de prix un de mes préférés, d’Audrey Hepburn à qui on ne pouvait manquer de l’associer. Elle était drôle, vive, pas ramenarde. Un vrai bonheur de compagnie. On s’est quitté, après deux derniers expressos, sur le trottoir du  Café Blanc en se claquant deux bises comme deux vieux potes qu'on était presque devenus.
Pas si souvent qu’on prend un tel plaisir en mangeant, même au Café Blanc.



À suivre: Mon voyage avec Romain D.

12 juin 2016

Trente huit.

Pour la trente huitième fois, trente plus huit, il a mis des dossiers dans une caisse de plastique bleu, cette année elle était bleue, il l'a foutue, la caisse, dans le coffre de sa voiture, il a rendu ses clés, redonné le badge ouvrant la grille du grand portail, il a salué le gardien et il est rentré chez lui. Il a posé le tout dans le garage et il savait qu'il n’irait s'en occuper que vers la fin du mois d’Aout.
Une de plus, une de moins. Trente huit pour sa part.
Oh bien sûr ce n’est pas encore tout à fait fini, il lui restait quelques demi-journées à y retourner, mais dans l’ensemble, l’essentiel du boulot est fait, sa tâche, du moins pour cette année,  était accomplie.
Celle-ci, cette fin là,  il ne l’a pas attendue avec une si grande impatience que d’autres et il n’a pas non plus ressenti un si grand soulagement. Il y était et puis c’est tout. Ce jour était arrivé. À cette heure, il est déjà derrière lui.
Pour d’autres années, ce fut bien différent, il se souvenait d’une dans un environnement parfaitement hostile qu'il n'a pas finie, il avait été incapable, le dernier jour d’y aller, il avait prétexté une panne de voiture pour ne pas s’y rendre, pour s’éviter ça, il avait  atteint le bout du rouleau la veille et plus question de faire un pas vers là-bas. Plus question de revoir personne de là-bas. Comme tout le monde se foutait royalement de lui, ça n’en a gêné aucun. Dans l’année, ils avaient tellement fait peu de cas de sa présence qu'il n'a pas été surpris plus que ça. La bande de salopards !
Le jeudi midi ils se retrouvaient ensemble pour manger un morceau hé bien pas une fois, pas une seule fois ils ne lui ont proposé de partager leur repas avec eux. Evidemment, on le faisait venir cinq fois par semaine comme il habitait à soixante dix bornes, il passait pas mal de temps en voiture et pour couronner le tout, ils avaient refilé au type de passage qu'il était tout ce qu’il y avait de plus coriace. Un ensemble parfait. Humainement? Des poubelles  garnies. Il avait encore leurs détritus en travers de la gorge. Enfin, pas tous, il y en avait une qui avait été un peu prévenante et agréable. Elle était détestée des autres. Ceci expliquait cela. Heureusement, toutes les années, surtout au bout de la trente huitième ne se ressemblaient pas. Certaines avaient duré des siècles, d'autres avaient fusé comme des courants d'air, certaines avaient laissé des cicatrices, d'autres n'avaient rien pesé.
Il se dit aujourd’hui qu'il ne les a presque pas vu passer. 
Il se  souvient très bien que lorsque qu'il  était adolescent il était intimement convaincu qu'il ne ne connaitrait pas le changement de millénaire Avoir quarante sept ans lui semblait inatteignable et puis, cette fête est, désormais, assez loin derrière lui. Elle l’a à peine décoiffé.
Alors, trente huit…

Dans le fond, trente huit ans, ce n’est pas si vieux…


09 juin 2016

Mon après-midi avec Jack N.


Je suis l'ami d'un gars qui, la belle saison venue, travaille comme maitre-nageur dans un des grands hôtels de Gordes. Un de ceux qu’on peut voir, sur la gauche, quand on prend la route qui descend du village. Un de ceux qui occupent une grande partie des anciennes restanques où, bien avant d’être un village pour riches touristes anglo saxons on cultivait essentiellement le blé pour la farine et les oliviers pour l’huile.
Sur l’une d’elle, la plus vaste, a été creusée une piscine pas loin d’avoir les dimensions olympiques mais à débordement latéral et lorsqu’on y nage en longeant le bord, on a l’impression de voler au-dessus de la Provence. Une sensation unique. Une merveille d’endroit où tout autour de l’immense bassin carrelé de mosaïque sans doute italienne, dans les tons gris bleu profond, sont posés des transats comme des lits king size, chacun protégé du soleil par un parasol de toile taupe. Une armée de serveurs déambule discrètement tout autour pour amener à des clients épuisés tout ce dont ils peuvent encore avoir envie. Et c’est là qu’on voit l’extraordinaire différence entre eux et nous. Ils ne se contentent ni du bassin, ni de la vue, ni des transats, il leur faut qui un cocktail, qui un journal qui des œufs brouillés à la truffe, qui un cigare, enfin il leur faut toujours quelque chose qui leur manque. C’est mon ami qui m’en parle. Lui, il est chargé de la qualité de l’eau. On l’a envoyé faire un stage de trois mois en Angleterre et un autre de trois mois en Floride pour le former à surveiller la qualité de l’eau. C’est dire si, dans l’établissement, le truc est pris au sérieux ! Il est aussi responsable de l’agencement des parasols et des transats et de donner des cours de natation aux clients qui profiteraient de leurs séjours pour apprendre le crawl, la nage indienne ou la papillon. Un joli nom de nage mais une tannée à apprendre. La plupart du temps, on lui fourre entre les pattes un ou deux enfants insupportables dont on se débarrasse ainsi une bonne demi-heure. Comme chaque demi-heure lui rapporte l’équivalent d’une semaine de travail d’un maître nageur municipal, il aurait mauvaise grâce à se plaindre et du reste il ne se plaint pas.
Pendant les périodes où la piscine est ouverte mais l’hôtel peu rempli, il a pris l’habitude de me passer un coup de fil et de me proposer de venir passer l’après-midi avec lui au bord du bassin si l’envie me venait.
Elle vient assez fréquemment quand l’occasion se présente, j’aime autant vous le dire.
Une demi-journée au paradis ne se refuse pas. Ou difficilement. On ne lui demande jamais rien sur mon éventuelle présence depuis le jour où il m’a présenté comme un ingénieur chimiste spécialiste des dosages à qui il faisait appel pour améliorer la qualité de ses traitements. Cette volonté de l’excellence qui, pour le coup, ne nous était pas contraire…
Et quand j’y suis, moyennant quelques manipulations d’éprouvettes l’air concentré, j’y passe des moments de rêve absolu pas seulement parce que les femmes y sont plutôt belles mais surtout que le cadre y est somptueux et les transats confortables.
Il m’avait appelé la veille et m’avait proposé : Si tu veux demain après midi tu peux venir.
Je ne m’étais pas fait prié, j’avais dit : Je viens. Et j’y étais allé.
Je m’étais installé en début d’après midi sous un des parasols, un peu à l’écart pour la tranquillité. J’avais apporté deux bons livres dont j’avais commencé la lecture une semaine avant.
Au bout d’une heure environ, entre les pages et les longueurs un type un peu âgé mais paraissant plus, barbu, les yeux cachés derrière des ray bans vintage noires, un cigare à la bouche, les cheveux coiffés à la bombe agricole, est venu s’allonger sur un des transats voisins. J’étais soufflé. C’était lui ou pas ? Oui, finalement c’était lui. LUI? Ici?Je l’ai salué, il m’a répondu d’un signe de tête. Et puis, je ne sais plus comment c’est venu, nous nous sommes mis à parler. Lui avec un accent à couper au couteau, moi pareil avec un anglais déficient mais au bout d’un instant on s’en est foutu, on a juste parlé en descendant deux trois verres qu’il avait commandés. Il devait s’emmerder ou je ne sais quoi pour être si disert, il a voulu savoir pas mal de choses sur le pays, il venait pour un film qui devait se tourner pas loin il en avait profité pour se prendre une semaine de vacances avant le début du tournage. Quitte à l'embarrasser, je ne me suis pas géné pour lui dire que Vol au-dessus d'un nid de coucou restait à ce jour mon plus grand émoi de cinéphile débutant et que, depuis, je ne pouvais pas voir une infirmière d'hôpital sans penser à l'épouvantable Miss Ratched.... Non, il n’avait jamais revu Shining, oui il aimait la France et y venait souvent, non il ne comprenait pas qu'on puisse voter Trump etc etc
Vers la fin, avant qu’il me serre la main et qu’il s’en aille je lui avais juré de ne jamais parler à personne de cette rencontre. Il voulait par dessus tout être peinard. Ce "peinard" avec son accent était irrésistible.
À personne ?

Vraiment ?



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