29 mars 2016

Les oeufs de Madame Alma.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Il devait être question d'oeufs.


On dirait qu’on serait en guerre… 
J’avais passé l’après-midi à jouer aux petits soldats avec Cristiano, le fils des voisins,  dans le jardin, sur le tas de sable laissé par Monsieur Basilio, son père, lors du chantier de la nouvelle véranda qu’il venait de construire en deux mois pleins avec mon grand–père, même qu’ils étaient bien fiers de leur travail ces deux là… Regardez les comme ils haussent le col disaient ma grand mère et Alma la femme de Monsieur Basilio qui était arrivée avec lui du fin fond du Portugal vers la fin des années soixante après s’être arrachés de leurs terres du Nord et pour fuir la dictature qui sévissait dans leur pays et parce qu’ils n’arrivaient plus à vivre de leur travail. Alors comme des milliers d’autres mal lotis, ils avaient choisi d’atterrir dans ce coin de banlieue parisienne, le plus grand bidonville de France. Les dix premières années n’avaient pas été roses mais au fur et à mesure, ça c’était arrangé et c’était de toutes les façons toujours mieux que là-bas. Un peu comme ce qui se passait maintenant, quoi. Si eux avaient été digérés, et comment, ils étaient même devenus une source de richesses, le pays pouvait bien en digérer d’autres qu'on ne nous raconte pas d'histoires disait mon grand-père en haussant les épaules… En vrai il disait "conneries" mais ma grand-mère n'aimait pas trop ça qu'il parle mal en notre présence...
__Hey les garchons, on dirait que vous avez bâti l’Arc de Trioumpffe, deschendez un peu, ch’est qu’oune véranda, se moquait-elle en finissant de la poser, la moquette dans la véranda toute neuve…(Toutes ces années passées loin du pays n'avaient rien pu contre leur accent à couper, qu'ils avaient gardé tous les deux, et c'était aussi bien ainsi!).
On était le vendredi du week-end de Pâques et Alma n’en finissait pas de se rire d’eux, ce qui les laissait complètement indifférents. 
__Rrrigole, rrrrigole, en attendant tou en es bien countente de ta véranda, Madame Alma. Chaque année ou presque une pièce nouvelle s’ajoutait aux anciennes, ainsi  le minuscule petit pavillon de l’origine était devenu une vaste maison. Son aspect extérieur était quand même un peu bizarre, avec ses grilles en fer forgé comme dans les châteaux suisses. Il faut dire que comme paysan, comme électricien,  comme maçon, comme carreleur, comme peintre, comme plombier, Basilio avait tous les talents mais comme architecte décorateur, il lui restait quand même un paquet de progrès à faire.
___ En parlant de ça, il m’en faut pour dimanche ne cessait de lui rappeler Alma. Il m’en faut pour dimanche. 
À part Basilio, personne, ni ne savait, ni ne comprenait de quoi il s’agissait. 
__Tou en auras, Madame Alma... Oui, aussi étrange que ça puisse paraître Monsieur Basilio appelait Madame Alma, Madame Alma. Depuis toujours, pas seulement depuis leur arrivée en France. 
__Tou en auras, t’inquouiète pas. Tou n’a pas confianche ?
__ Joustement, tou vois, je me fais du souchi, Monsieur Basilio. On est vendredi Saint et je n’en ai plouch oun seul. Il m’en faut absoloumente pour dimanch.

Mon grand-père lui ne disait rien, il ne voulait pas se mêler de leurs affaires. Il se contentait de vider la bière qu’ils avaient ouverte, comme ça pour la boire ensemble, pour fêter une fin de chantier, oun chtite brrriikol, et ne rien se dire. Juste être ensemble.
Et puis, Basilio a disparu. On ne l’a plus vu. Personne n’est allé voir dans la rue vers son camion, celui qui lui servait tous les jours, la Mercédes, ancienne mais flambante garée dans le garage carrelé de blanc, c’était pour la fin Juillet  et le retour au pays, uniquement, elle y était mais pas lou camioun. On était tous sortis sur le trottoir quand on l’a entendu arriver du bout de la rue, il s’est garé comme il montait les murs, vite mais un peu de travers,  il a coupé le moteur, un diesel hors d’âge qui fumait comme une centrale fatiguée et il en est sorti, un sourire comme une plage d’Algarve accroché au visage. Il tenait dans une seule main trois poules noires encore vivantes attachées par les pattes. Il s’est approché d’Alma qui le regardait faire les mains sur les hanches et, sans trop de précaution, il lui a balancé les trois poules aux pieds. Elle les a regardées un long, long, long, moment, sans se baisser pour les prendre, puis elle s’est tournée vers lui :
__Ma, ce n’est pas d’oune poule dont j’ai besoin c’est d’œufs qu’elle a dit fâchée, Madame Alma.
Et alors, a fait Basilio, si tou as une poule tou auras les œufs non ? Et si tou as trèch poules tou auras plouss d’œufs, non ?
Et en se tournant vers mon grand-père et nous qui assistions à la scène en nous retenant d’éclater de rire, en fonçant droit vers le frigo du garage où étaient entassées les Sagres, en levant les yeux au ciel pour le prendre à témoin, en en ajoutant comme au théâtre, il a crié :


Ma, les femmes, les femmes pourquoi que vous z'êtes jamais countentes ?



28 mars 2016

Mes deux belles.

Quand j'écris mes, c'est une manière de dire, puisque vous n'appartenez, bien entendu, qu'à vous mêmes... 
C'est aussi, plus surement,  une voie pour vous appartenir un petit peu, malgré les apparences.
Mes deux belles, donc, aujourd'hui est un jour un peu spécial, pour vous et pour nous tous autour puisque c'est LE jour de vos anniversaires à toutes les deux. Oui, le même, ce vingt huit de Mars.  
Economie de gâteau? Sans doute, mais pas de bougies, il faut en mettre pour les deux à la fois. 
C'est donc un jour où l'on vous fête, où l'on vous fleurit, où l'on vous célèbre, où l'on vous fait savoir un peu plus que d'habitude qu'on vous aime toutes les deux, pareil...
C'est donc un jour où l'on vous associe, on ne peut fêter l'une et pas l'autre ce serait mal venu, où on vous embrasse au sens ou l'on vous serre dans nos bras aimants!
Les deux belles, considérez-vous embrassées, fêtées, serrées... Aimées. 
Les deux. Pareil.






22 mars 2016

La pluie, incertaine.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Il fallait inventer un début de roman ayant pour titre: La pluie, incertaine.

On subissait le seizième jour d’affilée de grand beau. À dire vrai, au début, ça nous avait accroché aux visages de vagues sourires de benêts bienheureux mais depuis quelques jours nous nous étions crispés et les sourires avaient disparu. Ceux qui étaient, depuis longtemps persuadés que le climat et tout ce qui va avec était en train de foutre minablement le camp ne se réjouissaient même plus.
Le ciel restait désespérément bleu du lever au coucher et pas un souffle d’air pour apporter le moindre nuage. Au fond, si on regardait bien, il n’avait pas plu une seule goutte depuis la fin de l’automne. Les températures d’ordinaire clémentes à cette période de l’année affolaient les thermomètres, les météorologues et les vendeurs d’eau minérale. Après cinq, six nuits de ce régime, la canicule s’était amenée sans renâcler. Il faut dire que, dans les rues, le goudron commençait à fondre et que les morgues des hôpitaux se préparaient gentiment. La ville entière était accablée. Son air y était pesant, lourd, irrespirable comme si nous traversions un nuage de vapeurs toxiques. Ils étaient de plus en plus nombreux à se balader avec leurs brumisateurs portables, à longer les murs donnant une malheureuse ombre tiède, à se couvrir les têtes de chapeaux improbables qu’ils gardaient même dans les couloirs du métro. Si chacun espérait une pluie désormais plus qu’incertaine, tout le monde sentait que le pire était encore à venir. Comme souvent, quand on s'y attend à celui-là, il ne déçoit pas, il ne tarde pas. Il débarque.
C’est au beau milieu du cours de ces jours difficiles qu’elle a trouvé le moment et les mots pour me dire ces deux trois phrases qui, sur le coup, m’ont anéanti. À l’instant même où elle a osé les prononcer, j’ai senti que ma vie allait être bouleversée, que plus rien ne serait, maintenant, comme avant. Et si je n’ai pas été déçu, j’étais encore loin du compte.

Le soleil était encore assez haut dans le ciel, les ombres n’avaient pas commencé à grandir, on venait de rentrer du boulot, semi-liquides, en nage, dégoulinant de sueur, harassés de fatigue, les jambes gonflées, le cœur cognant. Sans verre, on avait descendu un bidon entier de trois litres d’eau gazeuse qu’elle avait sorti du frigo, on s'était échoué sur les deux petites marches de l’escalier de pierre qui menait au jardin, à l’ombre, à l’arrière de la maison, quand elle m’a lancé son regard le plus intense, en prenant sa voix grave, elle a dit: 
Il faut qu'on parle.
Je les connaissais bien, depuis le temps, j'avais payé assez cher pour savoir que quand une femme disait il faut qu'on parle ça voulait dire: Toi, mon gars tu vas m'écouter, j'ai des choses à te dire... 
Et généralement, ça n'annonçait rien de bon. Je me suis recroquevillé, tendu, prêt à recevoir.
À l’œil qu’elle m’a jeté, au ton de ses deux premiers mots, si mon sang s’est glacé, j’ai vite compris qu’il allait m’en cuire...
Décidément, on n’en sortirait pas…



18 mars 2016

Nouvelle frontière.

Malheureusement, Madame, si vous n’avez plus ni l'envie, ni le désir d’être touchée, par moi, qu’y puis-je ? Rien. Je n’y peux rien. Entendre et accepter. Bien sûr, accepter.  Comme on accepte une mauvaise droite au menton. 
Je peux aussi m'épargner, ne pas me vouloir de mal et m'éloigner de portée de baiser, de caresse, ou de touchage. 
C’est d’une simplicité terrible. Une évidence qui brûle les paumes, je dois couper les ponts. Pour un avignonnais, vous me direz que c'est assez cohérent...
Déjà que ce n'était pas facile d'être ensemble seulement quand tu pouvais, de passer après tout le monde, d’être celui qu’on vient voir quand les autres sont vus, d’attendre, d’attendre, alors qu’on a envie, qu’on aimerait bien que tu ne sois pas si loin, le soir ou le samedi quand on a fini, qu'on voudrait avoir des projets de fin de semaine : Tiens, ça te dit qu'on aille là?  Ça fait un bail qu’on n‘y a pas mis l'oeil, j’aimerais bien revoir le petit port abrité où l'on mange au bord de l'eau,  ou bien l’arrière pays tranquille, ou encore ce lac si vert juste après les lavandes du plateau, et, dis moi, ce restaurant dont on parle depuis longtemps ou bien, tu ne voudrais pas porter cette jupe plutôt, je l’aime bien, avec toi dedans, et ce film que  nous n’avons pas vu etc. C’était déjà difficile et pesant mais, au moins, quand tu étais là, tu y étais presque toute entière…
Maintenant s’il faut « subir » que tu n’y sois plus tout à fait, plus entièrement, si ton corps, tes mains, ta peau, ton sexe disent : Je reste là-bas… Non. Je suis assez loin d’être un ange.
Je vais me protéger, un peu, je vais m’éviter de trop souffrir et ça passe forcément par ne plus t’avoir à distance d’œil, de main, de paume, ou même de voix.
Mais je ne suis pas en colère, je ne t’en veux pas, c’est comme ça, c’est ton désir, il t’appartient. Je ne suis pas parti loin, je serai là si tu avais besoin de moi. En attendant, encore, je vais rester chez moi, de l’autre côté du fleuve. Il sera notre frontière.
Juste, je vais penser à moi. Du moins essayer.
En vrai, cela ne changera pas grand chose puisque je vais continuer à aller seul, sans toi, comme je le faisais depuis tout ce temps passé presque ensemble. Viendra un jour, sans doute où je n’aurais plus de désir pour toi, où j’en aurais pour une autre, et qui sait, qui en éprouvera peut-être pour moi, alors on pourra se revoir, boire un thé, voir un film, balader comme deux chouettes amis d'avant, que nous ne manqueront pas d’être.
Ou bien on ne se reverra jamais plus du reste de notre vie, je ne peux pas le dire.
En attendant, ce n’est pas seulement d'amitié dont j’ai envie avec toi puisque tu me dis: Soyons amis.  Plus tard, plus tard. Peut-être.
J’acceptais l’illusion d’un presque couple parce que quand nous étions ensemble, nous en étions un qui ne « marchait » pas si mal. Il suffit de les regarder faire, les autres dans les rues, dans les restaurants, dans les magasins, tout cet énervement, toutes ces impatiences, toutes ces mimiques de bouches tordues, de soupirs poussés, cet accablement quand l'autre parle, cette indifférence clairement manifestée... Bien entendu nous n'étions pas confronté au quotidien qui abrase, deux trois jours par an ne mènent pas à l'habitude, encore faut-il que ces pauvres journées là se passent bien... Il fallait juste que je me fasse un peu violence pour, quand nous n'étions pas ensemble, t’imaginer seule ailleurs, ou là, ou là-bas ou chez toi. Je n’y arrivais pas toujours mais j’y arrivais souvent… À force…

À défaut de ne plus vous embraser, Madame, je vous embrasse et vous serre, une dernière fois avant la fin du monde, les larmes aux yeux, le coeur haché, seul de ce côté-ci de notre, désormais, nouvelle frontière...


Ce que fait le printemps avec les cerisiers.

Une fois n'est pas coutume, je "propose" un texte que je n'ai pas écrit. C'est un poème de Pablo Neruda dont j'ai eu connaissance en regardant une série télé... (Comme quoi tout peut venir de tout!) Tunnel que je recommande... Et que je trouve magnifique et profondément émouvant. Le poème.  Il s'agit du poème XIV de Vingt poèmes d'amour. Une chanson désespérée.

Ton jouet quotidien c'est la clarté du monde.
Visiteuse subtile, venue sur l'eau et sur la fleur.
Tu passas la blancheur de ce petit visage que je serre
entre mes mains, comme une grappe, chaque jour.

Et depuis mon amour tu es sans ressemblance.
Laisse-moi t'allonger sur des guirlandes jaunes.
Qui a écrit ton nom en lettres de fumée au coeur des étoiles du sud ?
Ah! laisse-moi te rappeler celle que tu étais alors,
quand tu n'existais pas encore.

Mais un vent soudain hurle et frappe à ma fenêtre.
Le ciel est un filet rempli d'obscurs poissons.
Ici viennent frapper tous les vents, ici, tous.
La pluie se déshabille.

Les oiseaux passent en fuyant.
Le vent. Le vent.
Je ne peux que lutter contre la force humaine.
Et la tempête a fait un tas des feuilles sombres
et détaché toutes les barques qu'hier soir amarra dans le ciel.

Mais toi tu es ici. Mais toi tu ne fuis pas.
Toi tu me répondras jusqu'à l'ultime cri.
Blottis-toi près de moi comme si tu craignais.
Mais parfois dans tes yeux passait une ombre étrange.

Maintenant, maintenant aussi, mon petit, tu m'apportes des chèvrefeuilles,
ils parfument jusqu'à tes seins.
Quand le vent triste court en tuant des papillons
moi je t'aime et ma joie mord ta bouche de prune.

Qu'il t'en aura coûté de t'habituer à moi,
à mon âme seule et sauvage, à mon nom qui les fait tous fuir.
Tant de fois, nous baisant les yeux, nous avons vu brûler l'étoile
et se détordre sur nos têtes les éventails tournants des crépuscules.

Mes mots pleuvaient sur toi ainsi que des caresses.
Depuis longtemps j'aimai ton corps de nacre et de soleil.
L'univers est à toi, voilà ce que je crois.
Je t'apporterai des montagnes la joie en fleur des copihués
avec des noisettes noires, des paniers de baisers sylvestres.

Je veux faire de toi
ce que fait le printemps avec les cerisiers.



08 mars 2016

Déjeuner en paix.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Il fallait que le texte comporte certains mots ou verbes conjugués ou pas, ayant trait à la cuisine et qu'il s'y rapporte. Les mots à placer étaient: Julienne, crème, napper, barder, blanchir, assaisonner, cuire, glacer, lier, tamiser.

Julienne c’était la crème de la crème des cuisinières mais elle était accablée d'un défaut déroutant. Contrairement à la cuisine où quand elle s’attelait à un plat elle y mettait toute son énergie, sa concentration et sa rigueur, pour se vêtir c’était  exactement l’inverse. Elle s’habillait au petit bonheur la chance. Le matin, au lever, elle se nappait de ce qu’elle trouvait, de ce qui lui tombait sous la main ou sur les épaules sans y prêter plus d’attention ni d’intérêt et, ce qui arrivait lui convenait. Elle n’y revenait pas, elle n’y apportait aucune correction, elle ne se regardait même pas. Si, par bonheur, elle tombait sur un joli manteau, une étole élégante, un pull soyeux, la belle affaire. En revanche, si elle attrapait un drap housse, une vieille bâche, un plaid vieillissant, poussiéreux décoloré, elle l’endossait, pareil. Quand son homme et ses enfants voyaient ça, ça bardait tant dans la maison que son visage blêmissait, que ses joues  blanchissaient. J’aime autant vous dire qu’on ne se gênait pas pour l’assaisonner sévèrement. Ah ça, il lui en cuisait ! Alors, dès l’aurore,  l’ambiance, d’ordinaire si chaleureuse de la maison se tendait, se crispait, l’ambiance se glaçait. Tous les efforts qu’elle faisait, pour qu’entre eux, les gens restent liés, d’un coup, s’envolaient en fumet.

Il lui faudrait, le midi venu tamiser tous ces sentiments négatifs et se mettre à préparer une belle blanquette, une jolie daube, un copieux pot au feu, enfin un plat familial qu’elle cuisinerait avec amour pour que la paix revienne, enfin, dans la cuisine.
Qu'ils puissent déjeuner tranquilles.



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