18 mars 2016

Nouvelle frontière.

Malheureusement, Madame, si vous n’avez plus ni l'envie, ni le désir d’être touchée, par moi, qu’y puis-je ? Rien. Je n’y peux rien. Entendre et accepter. Bien sûr, accepter.  Comme on accepte une mauvaise droite au menton. 
Je peux aussi m'épargner, ne pas me vouloir de mal et m'éloigner de portée de baiser, de caresse, ou de touchage. 
C’est d’une simplicité terrible. Une évidence qui brûle les paumes, je dois couper les ponts. Pour un avignonnais, vous me direz que c'est assez cohérent...
Déjà que ce n'était pas facile d'être ensemble seulement quand tu pouvais, de passer après tout le monde, d’être celui qu’on vient voir quand les autres sont vus, d’attendre, d’attendre, alors qu’on a envie, qu’on aimerait bien que tu ne sois pas si loin, le soir ou le samedi quand on a fini, qu'on voudrait avoir des projets de fin de semaine : Tiens, ça te dit qu'on aille là?  Ça fait un bail qu’on n‘y a pas mis l'oeil, j’aimerais bien revoir le petit port abrité où l'on mange au bord de l'eau,  ou bien l’arrière pays tranquille, ou encore ce lac si vert juste après les lavandes du plateau, et, dis moi, ce restaurant dont on parle depuis longtemps ou bien, tu ne voudrais pas porter cette jupe plutôt, je l’aime bien, avec toi dedans, et ce film que  nous n’avons pas vu etc. C’était déjà difficile et pesant mais, au moins, quand tu étais là, tu y étais presque toute entière…
Maintenant s’il faut « subir » que tu n’y sois plus tout à fait, plus entièrement, si ton corps, tes mains, ta peau, ton sexe disent : Je reste là-bas… Non. Je suis assez loin d’être un ange.
Je vais me protéger, un peu, je vais m’éviter de trop souffrir et ça passe forcément par ne plus t’avoir à distance d’œil, de main, de paume, ou même de voix.
Mais je ne suis pas en colère, je ne t’en veux pas, c’est comme ça, c’est ton désir, il t’appartient. Je ne suis pas parti loin, je serai là si tu avais besoin de moi. En attendant, encore, je vais rester chez moi, de l’autre côté du fleuve. Il sera notre frontière.
Juste, je vais penser à moi. Du moins essayer.
En vrai, cela ne changera pas grand chose puisque je vais continuer à aller seul, sans toi, comme je le faisais depuis tout ce temps passé presque ensemble. Viendra un jour, sans doute où je n’aurais plus de désir pour toi, où j’en aurais pour une autre, et qui sait, qui en éprouvera peut-être pour moi, alors on pourra se revoir, boire un thé, voir un film, balader comme deux chouettes amis d'avant, que nous ne manqueront pas d’être.
Ou bien on ne se reverra jamais plus du reste de notre vie, je ne peux pas le dire.
En attendant, ce n’est pas seulement d'amitié dont j’ai envie avec toi puisque tu me dis: Soyons amis.  Plus tard, plus tard. Peut-être.
J’acceptais l’illusion d’un presque couple parce que quand nous étions ensemble, nous en étions un qui ne « marchait » pas si mal. Il suffit de les regarder faire, les autres dans les rues, dans les restaurants, dans les magasins, tout cet énervement, toutes ces impatiences, toutes ces mimiques de bouches tordues, de soupirs poussés, cet accablement quand l'autre parle, cette indifférence clairement manifestée... Bien entendu nous n'étions pas confronté au quotidien qui abrase, deux trois jours par an ne mènent pas à l'habitude, encore faut-il que ces pauvres journées là se passent bien... Il fallait juste que je me fasse un peu violence pour, quand nous n'étions pas ensemble, t’imaginer seule ailleurs, ou là, ou là-bas ou chez toi. Je n’y arrivais pas toujours mais j’y arrivais souvent… À force…

À défaut de ne plus vous embraser, Madame, je vous embrasse et vous serre, une dernière fois avant la fin du monde, les larmes aux yeux, le coeur haché, seul de ce côté-ci de notre, désormais, nouvelle frontière...


13 commentaires:

véronique a dit…

Elle est si triste Christian votre histoire. Les séparations, toutes les séparations sont un déchirement. Alors il nous en faut de la patience, beaucoup de patience, attendre que le temps passe enfin et fasse son travail du temps qui passe. " avec le temps va tu verras " ! qu'ils disent ... c'est un peu vrai.
et puis la page tournera et puis la vie reprendra et puis et puis ...

chri a dit…

@ Véronique Oui d'accord mais s'il y a séparation, c'est qu'il y a eu rencontre et ça déjà c'est beau! Mon "héros" le sait!

odile b. a dit…

Frontière ondulante, ondoyante, mouvante, flottante,
onduleuse, flexueuse, tortueuse, sinueuse
Celle de l'image est, en tout cas, élégante, harmonieuse...

chri a dit…

@ Odile Et bien marquée, nette, tranchante!

M a dit…

Même s'il fut une époque où les deux mots du titre invitaient au voyage sans beaucoup d'autre sens, nous en vivons une qui alerte, éveille un soupçon d'inquiétude voire même ébranle un wagon de désespoir...
Deux mots tout simples
Les deux suivants n'invitent pas aux réjouissances non plus, pas plus que tous les autres. Me plairait de penser qu'on ne puisse pas les mettre dans cet ordre, jamais !
Mais bon, on va rester sur la rencontre, celle qui grave les bons souvenirs, et sur la découverte d'autres horizons !
Heureusement qu'on voit passer ailleurs quelques mots qui disent que mieux serait indécent :-)
Et la photo ! Mieux illustrer comment couper les ponts ? Impossible !
Belle à toi ! Grise mais douce

chri a dit…

@ M je savais qu'il serait déchiffré le rébus de la photo...
J'en cherche une pour dire: "Mauvaise fortune... "
Grise et douce? Oui.

Nathalie H.D. a dit…

Que c'est bien dit, cette tristesse.
Décidément Chri, tu es le poète des amours malheureuses.

Je viens aussi de relire, par hasard, grâce aux onglets "vous aimerez peut-être", l'histoire de Paul et Jeanne que tu avais écrite à partir de ma photo de pierre gravée sur la place du palais des papes : Paul ... 1919. C'est à relire ici :
http://cestpourdire.blogspot.fr/2009/11/la-pierre-gravee.html
Ca m'a émue à nouveau.

Phou, que d'émotion ici, malgré ce Rhône trop lisse en guise de frontière. Trop lisse, trop froid, trop neutre, comme si toute vie s'était retirée, comme ce héros malheureux qui se retire lui aussi, pas envie de souffrir.

Nathalie H.D. a dit…

Et encore quelque chose qui n'a rien à voir : un film à regarder dès aujourd'hui sur le site de France Inter : "des clés dans la poche" :
http://www.franceinter.fr/emission-peripheries-des-cles-dans-la-poche

chri a dit…

@Nathalie... Merci à toi Oh oui Jeanne et Paul, je me souviens! J'étais allé au cimetière du Beaucet, même...

chri a dit…

@ Nathalie, je vais aller voir le film de suite!

M a dit…

"Mauvaise fortune" ? Je suis sûre que si tu fouilles un peu, tu vas trouver quelque bon cœur quelque part... Ou quelques emprunts Russes !

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Mais pourquoi suis-je aussi sensible, aussi poreux à la douleur des autres. Je devrais m'en aller, faire mon chemin, indifférent. Mais non, qu'elle soit vraie ou inventée, volée à la vie, fantasmée, elle me rattrape, m'impacte. C'est sans doute de la voir vécue, depuis ma toute jeunesse, et puis, après,souvent, trop, sans la chercher.
C'est sans doute pour cela que je suis rendu si loin dans cette vie, avec le sentiment présent que j'aurais dû, sauter en marche depuis longtemps. Mais tu n'y es pour rien.
Tu écris trop bien, c'est tout.

Amitiés.

Roger

chri a dit…

@ Roger Merci. Vraiment.

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