29 août 2010

Les tourtereaux.

Ils commençaient à m’agacer velu velu les deux tourtereaux.
Une large demi-heure qu’ils se bectaient la bouche sans trop respirer, tu parles d'un entrainement à l’apnée! Deux Mayols en puissance, ces deux là. Et quand, par hasard, ils se détachaient quelques secondes pour  reprendre leurs souffles, récupérer un peu d'air frais,  c’était pour mieux se manger des yeux!
Une vraie paire de cannibales, oui. 
Je les ai regardé faire tout le temps qu’a duré leur indécent petit manège. Ils étaient seuls sur terre, ma parole! Et vas-y que je plonge mes yeux dans les tiens, et vas-y que je te regarde langoureusement et vas-y que je te caresse la nuque… Oh les malfaisants, les indignes…
Et vas-y que je prends soin de toi en te couvrant les épaules de ma veste. Et puis quoi, encore? Une main dans les cheveux tant qu’on y est? Tout juste. Une caresse sur le haut de la jambe? Pourquoi pas? Ben voyons. Ne reculons devant rien! Allons-y gaiment, tendrement... amoureusement...
Tant de prévenance, de sucrerie mièvre, d’attention, de bienveillance… Beurk. J’étais à deux doigts de rendre. Le cœur, moi, c'est au bord des lèvres que je l'avais...
Et leurs phalanges qui s'y mettaient quand les langues se reposaient: Un gentil petit tricot des familles... Un doigt à l’envers un doigt à l’endroit… Voilà que l'amour  faisait d'eux, ce qu'en son temps, il avait fait de nous: de misérables dentelières cannibales...
Heureusement, j’étais assez loin et je ne pouvais pas entendre les niaiseries qu’ils devaient se débiter à l'oreille… Les tombereaux de mélasse niaiseuse qu’ils  ne devaient pas manquer de s'échanger à voix basse, Les promesses gourmandes qu’ils devaient se sermenter, sur nos têtes, si ça se trouve... Par bonheur, il n'y avait aucun écho de leurs indigestes  et répugnantes roucoulades…  Escrocs! Dealers de sirop! Pauvre de nous! Qu'avions nous fait pour mériter ça? Pour quels pêchés étions nous en train de payer le prix le plus fort en les regardant faire!
Aucune pudeur, aucune retenue, juste deux êtres humains en fusion, liquides. Au beau milieu d’un square public! Avec tous ces enfants qui jouaient autour d’eux… Une honte!
Qu’ils soient jeunes et beaux n’arrangeait pas leurs affaires…
Qu’en agissant ainsi, ils accentuent le poids d’un sentiment vaguement pesant de solitude passagère n’allégeait pas non plus leur dossier!
C’est quand il a posé délicatement sa main, comme un ébéniste pose la sienne sur une marqueterie fine,  sur son ventre à elle, que je me suis aperçu que  ce dernier commençait à bomber légèrement...
Là, d'un coup, d'un seul, j’ai fondu, absolument…
C’était donc ça, ces regards éperdus? Ah! Mais ça change tout, Messieurs, Mesdames! Aux fraises les sarcasmes et la mauvaise foi! Balayé jusqu'aux calendes l'agacement! Au pilon les moqueries douteuses!

Dieu, qu’ils étaient beaux, dans ce square, ces… trois là…

aout2010 011

25 août 2010

Le pris de la Bastide.

Pour l’instant, j’étais bel et bien perdu.
Je venais de m'offrir trois ou quatre tours de la ville… Enfin, ville, il fallait l’écrire vite. Plutôt le gros village, la bourgade ou le petit bourg. C’était quand même plus grand qu’un hameau mais plus riquiqui qu’une vraie cité avec ses banlieues moches.
En vrai, mais je ne l’ai su que dans un petit instant, c’était une bastide construite depuis le treizième siècle. Dire que dans toute l'Amérique du nord, ils nous embrasseraient les pieds pour en avoir des comme elle !
Il n’empêche que les plans novateurs du treizième avaient érigé autour du centre un boulevard périphérique et que je venais d’en faire trois fois le tour. J’étais perdu, égaré, paumé vous dis-je.
Comme j’avais quatre cent bornes dans le dos, que, malgré la clim, je baignais dans mon jus et que, même le sax enjoué de Sonny Rollins commençait à me casser les oreilles, j’ai aperçu un vieil homme assis sur un banc de pierre sous l’ombre noire d’un noyer. Il portait un large chapeau de paille tressé grossièrement, une chemisette à manches courtes, mal boutonnée, sur un marcel blanc, serré à une sèche maigreur. Il avait une canne, posée sur la pierre, à ses côtés. A un coin de ses lèvres, un mégot indéfinissable qui pouvait être là depuis plusieurs jours... J'ai arrêté de fumer, je ne l'allume plus mais j'ai du mal à me débarrasser de mes ennemis fidèles, aussi, je les garde! (Voilà ce qu'il m'en dira plus tard...) Et dans ses yeux clairs, un immense sourire quand je me suis approché. J’avais garé la bagnole à l’ombre des tilleuls de la place et je suis venu vers lui en marchant. Avant que je dise un mot, il m’a envoyé :
Vous vous entraînez ?
Surpris, j’ai dit : A quoi ? Alors, avec un accent de rocaille, des « r » plein la bouche il a continué : aux vingt quatre heures de Villeneuve, pardi ! Ça fait la troisième fois que vous me passez sous le nez ! Vous ne payez pas le kérosène, jeune homme ? Enfin, je dis jeune homme pour vous flatter parce que ça fait longtemps qu’elle vous a quitté  votre jeunesse ! Alors qu’est-ce que vous voulez savoir ? Té, asseyez vous donc, vous n’êtes pas pressé puisque vous avez tourné trois fois pour rien, vous avez bien une petite heure à perdre ?
Alors, comment va ce bon vieux Vaucluse ? Toujours si peu accueillant aux étrangers? (Il avait vu ma plaque, il lisait les journaux...)
Et voilà, je me suis assis, lui et moi on a parlé une belle heure comme les meilleurs amis du monde qu’on était devenu. Il m’a raconté son veuvage récent d’une femme volage, ses jours à se demander, parmi les mille mâles, en état de la bastide et des alentours, avec lequel elle avait... consommé. Il m’a dit aussi, qu’il ne lui en voulait plus depuis bien longtemps, qu’il pensait même qu’elle avait eu raison d’en profiter parce qu'une fois la grande vieillesse venue, en arriver à passer tous ses après midi d’été à l’ombre d’un noyer en attendant le soir, sans trop s’emmerder, il valait mieux avoir un bon paquet de souvenirs agréables à revivre, si tu vois ce que je veux dire. Oui, il me tutoyait depuis un bon moment déjà.
A un moment, comme le soir venait, j'ai fait un saut à l’épicerie du coin, il m’avait donné la combine et j’ai ramené une bouteille de Tariquet "Les Premières grives" que l’épicier a sorti du frigo et deux verres ballons... Il m'a dit qu'il ne buvait pas ce truc là que c'était une boisson pour la ville, trop sucrée. D'une poche, il  a sorti une flasque  en argent pleine d'armagnac et on a gentiment calmé la soif qui s’était pointée avec les paroles… Moi, "Les premières grives" ça m'allait bien...
Alors, il m’a raconté sa guerre. Celle de sa vie entière, enfin celle d'avec sa femme. Ils avaient passé soixante deux ans ensemble, en se fâchant mille fois et se réconciliant mille et une. De ce décompte, je n’enlève pas, m’a-t-il dit, les nuits passées à l’attendre, à  me faire du souci, à m’inquiéter pour elle, à craindre qu’il lui arrive du mal, à avoir peur qu'elle ne rentre pas… jamais plus d’une semaine, sinon ça ferait bien moins que soixante deux… Tu penses !
Ils n’avaient jamais eu d’enfant et c’était un des plus grands sujets de leurs disputes. Il en voulait un ou trois et elle non. Ça fait grossir le ventre et file des vergetures, disait-elle. Lui, disait: Ça donne un sens à notre existence. Elle, elle voulait plaire, par-dessus tout, juste plaire, mais beaucoup. C’était bien plus fort qu’elle, il l’avait compris très vite et il avait accepté le lourd prix à payer dès leurs premières rencontres. Et, tu ne me croiras peut-être pas, a-t-il un moment murmuré, mais je vais te dire comment elle est morte: Figure-toi, qu'elle a été renversée, un vingt quatre avril, par la micheline de huit heures, celle qui vient de Rodez, au passage à niveau de Sainte Catherine, en revenant de chez ... on n'a jamais su qui. Ça ne s'invente pas des choses pareilles! Ne dis rien s'il te plait... Les premiers mois  qui ont suivi sa disparition j'avais perdu vingt cinq kilos et toutes mes envies de tout. Et puis, la vie m'a rattrapé... Il m’a également raconté leurs existences de paysans, d’esclaves au grand air, celle de maintenant, avec ses six cent soixante euros de pension misérable, après cinquante années de cotisations de forçats, mais sans amertume, ni acrimonie. On s’habitue aussi à la misère, vois-tu. Moi, mes seuls luxes, c’étaient les ciels étoilés, les courses des chevreuils  au  petit matin ou l’éclat d’un geai dans le clair d'une haie et des tas d'autres, une grappe de noisettes attrapée à même l'arbre, un pot de confiture de prunes, fini aux doigts, le vol d'une caille dans les blés coupés et surtout, surtout... son retour… Et puis, la cloche de l’église a sonné sept heures. Il a juste dit : Alors qu’est-ce que tu voulais savoir, tout à l’heure ?
Je lui ai expliqué ce que je cherchais, il m’a indiqué le chemin et m’a convoqué pour le lendemain! Mais pourquoi moi ? J’ai dit bêtement... Il s’est mis à la réponse comme on s’attable devant une potée :
___Tu comprends, ce qui m’intéresse, moi, ce sont les gens, pas les maisons. Ici, les maisons,  les pierres, elles sont là depuis sept cent ans et, si tout va bien, elles seront encore là dans sept cent ans à peu près arrangées pareilles, mais les gens, eux, les gens… Ils passent si vite... Toi, tu écoutes bien et tu ne fais pas trop de bruit avec ta bouche. Tu ne parles pas beaucoup, ce qui est bien, ça t’évite de dire trop de conneries ! Demain, ici même heure. Je compte sur toi. Demain, c’est toi qui te racontes... Dites, j'ai fait avant de le quitter, tout à l'heure vous m'avez parlé du vingt quatre avril... Qu'a-t-il de spécial ce jour là? Ah petit! Tu me tues, tu m’assassines, tu me trucides! C'est la Saint Fidèle...
A demain. 
Alors, maintenant, je vous le demande, où seriez vous allé, vous, le lendemain, à l’heure bénie du Tariquet ?


Villeneuve d'Aveyron 028

24 août 2010

Et si …

Le paradis avait élu cet endroit comme ultime avant poste?

Villeneuve d'Avey
Ici, c’était comme la vie: Assez facile d’y arriver... plus délicat de s'en aller…
Un mas dans les environs de Villeneuve d’Aveyron…

16 août 2010

Il faut tourner la plage...





... Je t'écris de janvier
Sous quelques flammes d'herbe
En son étroit corset
La Manche tient ses reins
La tempête peut bien
Lui tordre les vertèbres
La lune les retient.

Ça sent le rocher froid
Le bois mouillé. J'écris
Sur du papier glacé
Les mots d'absence avec,
Le fleuriste est fermé
La mer vend à bas prix
Des bouquets de varech.
Je t'écris de janvier
Cotentin - Le Passous
Mes cheveux sont troués
Mon cœur fait une escale
On est premier de l'an
Jour Perrier, un poil saoul
La mer est verticale.

Un an entier que tu es de l'autre côté de l'eau. Une année complète... Sans te voir... Ni t'embrasser. Le faire ici avant de le faire là-bas.
*Allain Leprest extrait de Le Passous Cotentin.

13 août 2010

Vols d'ennuis.

L’autre jour, à la fontaine de Saint Didier, quand je suis arrivé venant de Venasque (je venais bien de là, je ne l’ai pas écrit pour faire sourire) en sueur, il y avait un type qui s’aspergeait. En posant ma bicyclette contre les pierres, j’ai vu  qu’il avait le même âge que moi, à peu de choses près et très vite, on est allé au cœur des choses. Surtout lui! Ce qu’on appelle une amitié de mollets? En deux temps, trois mouvements il m’avait presque tout raconté de sa vie. Et ceci cela, si je fais une sortie par jour de cent bornes, c’est pour ne plus rester à la maison tu comprends, ma femme, elle m’emmerde! Elle est chiante, alors comme ça pendant quatre heures, je ne la vois pas et quand je rentre, la sieste est légitimée, je vais dormir deux heures et ça m'assure six heures de paix dans une journée! Ça fait vingt cinq ans qu’elle me pourrit la vie, elle a commencé au tout début,  dès notre rencontre, j'aurais dû me méfier, mais tu sais ce que c'est, on  se pense très fort, on croit qu'on va les changer… etc etc
Tout ça semblait lui faire un bien fou et je me voyais déjà lui demander une petite centaine  d'euros pour la consultation. Chic! Voilà une balade qui pourrait me rapporter gros que je me disais, pendant qu'il se soulageait le cœur.
C’est là qu’il m’a demandé tout à trac: Et toi? Du côté de l’amour? T'en es où?
Ah! Parce que toi, là, tu viens de me parler d’amour? J’ai pensé, mais je ne lui ai rien dit, son quotidien avait l’air assez douloureux comme ça. Je n’ai pas une vocation d’huile. Sa question m’a laissé sans voix. Comme il m’avait tout déballé de sa vie, je me sentais  un tantinet redevable. Alors, après un temps, mes mots me sont venus:
Oh! Moi, du côté de l’amour, c’est un peu compliqué... Ça c’était pour gagner du temps. J’ai continué: mon ambition elle se rétrécit de jour en jour! Mais je ne renonce pas! Je me verrais bien me mettre à la colle (administrative) avec une gentille hôtesse de l’air qui aurait encore quelques pays à découvrir. Mais pas vivre avec elle, je n’en ai plus la force. Ça fait tellement longtemps que ça ne m’est pas arrivé de vivre avec un humain que je ne crois plus en être capable! Je tolère à peine les pies du jardin! Je verrais bien une camaraderie amoureuse, voyez? Enfin, tu vois? Comme je me connais, je finirai par tomber amoureux et je serai triste le jour où nous nous quitterons, mais bon. J’espère le moins possible. Enfin je veux dire que j’espère être le moins triste possible, le jour où il me faudra dégager du paysage. J’aimerais, si ce n’est pas trop demander qu’elle soit encore jolie, je préfère côtoyer les jolies femmes ne me demande pas pourquoi. Je m’y suis habitué, sans doute. J’aimerais quand même qu’elle soit basée à Marignane, pour partir loin, c’est plus proche de la maison et puis en tant qu’hôtesse, elle a accès au park du personnel.
J’aimerais, si ce n’est pas exagérer, qu’elle ait un peu d’oseille, à mon âge le camping et les hôtels de second plan, merci, autant rester chez soi, les fesses dans son canapé confortable, devant la chaîne Planète… J’ai pas raison? Mais aussi qu’elle soit un peu cultivée. Qu’elle ne fréquente pas que les magasins de vêtements ou les restaurants mais  les salles de spectacle ou de concerts. Je n'aimerais pas trop qu'elle soit sectaire, une dingue de free jazz, une cintrée de Chopin, une folle de Cure, merci bien... Et qu'elle ne pratique pas que la lecture des étiquettes ou des menus mais aussi celle de quelques  livres, tu vois?  Je veux bien, quand elle revient de ses longues rotations, oui, parce que j’aimerais qu’elle travaille encore, qu’elle ne soit pas tout le temps chez elle, que je profite du silence de son jardin… Je lui ferai volontiers un peu de cuisine et lui nettoierai sa piscine pendant ses absences. Je peux même aller jusqu’à l’entretien de ses vignes, l'hiver. Il faudrait juste que je puisse me mettre à mi-temps pour l’avoir... Le temps!  J’accepterais une compensation financière...
Sur ma lancée, j'ai continué...
Je ne la souhaiterais pas fanatique du trekking ou folle de randonnée. Je ne suis pas contre l’idée de marcher un peu de temps en temps, mais pas tous les dimanches, à heures fixes, dans ces clubs comme il y a à tous les coins de rue. Ils se retrouvent à cinquante, équipés pour traverser dix Atacama et vas-y que je cause et que je cause et que je n'en finis pas de causer pendant les deux trois heures de balade... Tout ce bazar pour montrer sa toute dernière gourde et se plaindre de la vie qui est difficile... Merci bien! Très peu pour moi! J'aime bien les marches à quelques uns, dans le silence et le partage... Je n’aimerais pas, non plus, qu’elle ait trop d’enfants, pour éviter les repas de famille qui n’en finissent pas. Ni trop de petits enfants parce que là, finis les noëls à l'autre bout du monde… Enfin, tu vois, quoi.
Alors c’est pour ça que tous les dimanches, ou presque, après le marché de L’Isle, je file à Marignane. L'aéroport du coin. Je m’en vais traîner par-là-bas. Pour forcer un peu le destin? J’y arrive en fin de matinée, je tourne et je vire, je regarde un peu les avions décoller au-dessus de l’étang de Berre ou atterrir en venant de la mer, pas loin. Je bois un coup ou deux, je fais les boutiques, surtout celles de parfum. Là, je souris à une ou deux que je trouve jolie et qui achète un flacon pour sa maman, son amant, son frère, enfin qui achète un flacon. Quand vient l’heure de manger je m’attable près des vitres qui donnent une vue sur la piste et je mange en rêvant à des pays  où il fait toujours beau, où tous les jours sont chauds, où l'on passe sa vie à jouer, sans songer à l'école, en pleine liberté, pour rêver *. Et puis au soir tombé, je me rentre... Il était atterré...
Ah! Pendant qu'on y est, j'aimerais aussi qu'elle soit douce mais pas gnangnan, sensuelle mais pas délurée, fidèle mais pas collante, légère mais pas écervelée, drôle et profonde, gaie mais pas rigolarde, intelligente mais pas cérébrale... Je n’ai pas encore rencontré la perle, mais ça viendra, je le sais, je le sens. Un jour, moi aussi, je serai du bon côté du manche. Un jour, moi aussi, je ferai le tour de la bagnole pour ouvrir la porte. Un jour, je suivrai le nuage d'un parfum délicat. Un jour, une main bienveillante et caresseuse se posera sur ma nuque et y restera, un peu…
Voilà où j’en suis mon gars. Rien de très folichon. Tu te fais une idée?
Je vois très bien! Et ça ne me semble pas gagné si tu veux mon avis... Mais dis moi? Pourquoi une hôtesse de l'air?
Oh, ça c'est simple: Elles sont habituées à sourire, elles ont des billets  d'avion gratuits et surtout, surtout, elles savent s'y prendre avec les emmerdeurs!
Il avait les larmes aux yeux. En remontant sur son engin, il m’a juste lâché:
Je ne sais pas lequel des deux est le plus à plaindre!
Moi non plus, j’ai répondu...
En vrai, je le savais, mais je voulais dire comme lui, pour adoucir son retour...

2 Orly Ouest 2
* Gérard Lenorman. 

09 août 2010

Zéro, vin.

Tout annonçait un mémorable jour de fête…
Depuis le matin, le mistral, qui avait gonflé ses biceps toute la semaine, s’était tapi dans des fourrés perdus. S’il nous avait laissé vaguement groggy, il nous fichait, maintenant, une paix royale mais permettait, aussi, au chaud reprendre le dessus. En arrivant à la mairie, en fin de journée, il faisait une chaleur de plomb fondu. Ça transpirait à pleines bassines  sous les couleurs des fleurs des robes, dans les costumes neufs et sous les panamas…
En partant de chez moi, j’avais mis dans la bagnole un matelas en mousse et un duvet en prévision, pour dormir sur place au cas où j’en aurais besoin. J'avais appris récemment qu’il ne me restait plus qu’un point à perdre pour n’avoir plus le droit de conduire, alors, je ne voulais ni tenter le diable, ni faire le mariole, ni me retrouver à pince. Je mettrais de mon côté toutes les chances en attendant d’en récupérer une partie, si possible sans passer par le stage payant…
De retour, à pieds de la mairie où avaient été prononcés les deux OUI, avec force, pour les amoureux et entendus avec un soulagement joyeux par l'assistance, on a commencé à l’eau minérale pour se débarrasser de  la soif et ne plus boire, après, que par plaisir.
Une heure plus tard, on attaquait gentiment au champagne et au Pouilly Fuissé, en douce alternance, en fonction de la personne avec qui on parlait. Après deux bonnes heures, si aucun n’était saoul, tous étaient, déjà, un peu entamés. Tu comprends il faut bien gouter à toutes les années pour pouvoir dire. Et puis, on croisait avec tellement de plaisir des gens qu’on n’avait pas vu depuis longtemps et il fallait bien, à chaque fois fêter ça… Comme on avait du plaisir à voir ceux qu'on voyait régulièrement, on se trouvait mille raisons de lever le coude. Et on n'hésitait plus vraiment. Enfin, moins qu'en début de soirée...
Alors, il y eut le repas, les chants, les éclats de rire, les classiques, les incontournables, mais aussi les plats, le rouge, le trou normand, au calvados d’alambic, les fromages, le bordeaux et pour finir un retour au champagne sur les desserts.
Avec ça, il était aux alentours de deux heures du matin, je me sentais à deux doigts de danser et à un de m'en allumer une, c’est dire… C’est à ce moment là que je suis repassé à l’eau minérale gazeuse fraîche. Pour noyer le tout? Le diluer? Je me suis donné deux heures avant de rentrer. Je suis allé m’allonger dans le pré quelques minutes, il faisait une belle nuit d’été. Avant de sombrer, j’ai pu voir le bleu foncé s’illuminer de deux filantes à quelques secondes l’une de l’autre. Elles ont zébré le ciel. J’ai même entendu un chuintement.  L'une des deux a  partagé la coupole sombre en deux parties, comme une fermeture éclair divine. J'en suis resté baba. De la grange, me parvenaient les doums, doums, doums, lancinants d’une musique techno. Là-bas, la bande de jeunes s’en donnait à corps joie. Et puis, j’ai un petit peu fermé les deux yeux. Pas très longtemps. Une odeur de soupe à l’oignon m’a sorti le nez de l’herbe. Je suis allé en prendre une assiette et puis, après en avoir embrassé quelques uns, je suis parti. Il n’était pas loin de quatre heures. L'Est commençait à blanchir, Cassiopée à disparaitre, le jour à grimper aux rideaux de la nuit. Je me suis dit: A cette heure là, les gendarmes, si jamais il y en avait eu, étaient surement partis se coucher, je vais me rentrer doucettement en roulant pépère. J’aurais sauvé mon dernier point, il ne me sera rien arrivé et demain matin, enfin tout à l’heure je me réveillerai sur mon lit...
Tu parles, ils étaient toute une escouade à la sortie du village voisin. Toute une fine équipe bien au milieu du rond point, menaçante avec les gyrophares, les motos puissantes, les fusils à pompe, la voiture de course, les herses, les chiens, tout le tralala et pas un sourire, du genre: Pendant que vous buviez comme des trous et que vous vous amusiez comme des fous, nous, on a passé la nuit ici, mes gaillards,  ne comptez pas sur nous pour la mansuétude, pas de quartier, si vous avez picolé...  Maintenant, mes petits chéris, vous allez pleurer votre mère!
Voilà, c’est mort, je me suis dit, il te restait UN point. Surtout éviter de leur servir une de ces conneries qu'ils doivent entendre à longueur de contrôle: Je ne comprends pas Monsieur l’agent, je n’ai bu qu’un verre, peut-être deux, mais guère plus, vous êtes certain de votre appareil? Comment? 0,8 ? On a dû mettre de l'alcool dans ma Saint-Yorre... Non, au contraire, assumer: Ben oui, je sors d’un mariage et j’y ai bu des verres... Tenez, mes poignets... Ne serrez pas trop fort, je suis fragile du scaphoïde...
L’un d’entre eux m’a fait ranger ma voiture, j’ai arrêté le contact, il s’est approché: Bonsoir, contrôle alcoolémie, en pouffant, j’ai pensé que j’avais compris, que ce n’était pas  pour la redevance, et je me suis vu, dans une minute, en dehors de mon engin, les mains sur le capot, les jambes écartées. Non, pas de fouille au corps s’il vous plait… Il m’a tendu un truc et m’a demandé de souffler dedans. J’ai inspiré, l’inspiration du condamné et j’ai soufflé dans sa trompette. Tu es mort, j’ai pensé, ça y est c’est fait, tu n’as plus de point, en plus, tu vas douiller. Tu vas recevoir au tribunal, les juges n'aiment pas  du tout les gens comme toi, pris en dehors des clous (j'avais déjà eu l'occasion d'assister à ce genre de mise à mort pour un feu rouge grillé. Alors que vous devriez être un exemple etc etc...). Combien ça va te coûter cette affaire et tu crois qu’on peut dormir dans les cellules de dégrisement de la gendarmerie. Voilà, tu vas finir ton été en prison et, à la rentrée, c'est en vélo que tu iras bosser… Ah! Tu vas avoir l'occasion d'en trouver des amandiers! Je lui ai rendu son engin avec un vague sourire un peu niais. Mes dernières secondes d'innocence.... Il l’a pris et, après un long silence pesant, m’a balancé:
Zéro, vin, il a fait… Zéro, vin, j’ai répété bêtement. Ah ça non, impossible, j'ai failli lâcher...
Vous savez ce que vous avez bu, il faudra y penser pour la prochaine fois.
Zéro, vingt, mais alors je n’ai pas franchi la ligne? Comment est-ce possible? Ça, je me le suis raconté à moi-même, je ne l’ai pas partagé avec lui…
Zéro, vingt… Si je m’attendais?! Bon sang ce cauchemar va prendre fin!  Avec tout ce que j'avais descendu? Je me suis senti comme... grisé par cette annonce. C'était tout moi, ça! Tout faire pour et ne pas arriver à être positif!
Du coup, j’ai fait demi-tour et je suis retourné à la noce, m'en prendre un dernier…
Pour le doute.

La coupe de champagne

08 août 2010

C’est pour demain!

Dès que j’ai habité dans cette région, je me suis dit: Un jour tu y rouleras dessus à vélo, toi aussi. On peut comprendre l'attrait qu'il exerce: Où que l’on soit, par ici,  à trente kilomètres à la ronde, on ne voit que lui. Un Fuji Yama provençal.
Ah! Il faut le voir, au couchant, les soirs glacés d’hiver avec son bonnet rose de neige… Ah! Il faut le voir au printemps avec sa tête chauve accepter sans brocher les rafales d’un vent colérique… Il faut le voir à l’automne de certains jours, encore grandi, comme s’il était monté sur la pointe des pieds pour voir la mer… Ah! Il faut l’imaginer dessous son bol de nuages, les jours de belles pluies.
Il est là, présent comme un personnage, de partout visible, protecteur et tentant.
Il parait qu’on vient d’Australie ou de Nouvelle Zélande pour lui visiter la frange. J’ai même vu des canadiens qui étaient arrivés, jusque là pour “se le faire”. Des canadiens, ça -t-y du bon sens?  Comme si là-bas, avec leur Vancouver il n’y avait pas de montagnes assez grandes pour  débouler en Provence au Ventoux. Encore, des hollandais on pourrait comprendre, là-bas les seules côtes qu'ils grimpent ce sont les pans inclinés pour les fauteuils roulants, mais les canadiens...
Et moi, c’est demain que je le fais!
Bien entendu, je me suis entraîné. Cela est nécessaire pour que l’effort reste, quand même, agréable. Vingt six kilomètres d’une seule traite, tu ne peux pas les entreprendre la fleur au fusil, sans préparation, il te faut des munitions dans le barillet. Je suis arrivé à avoir une condition acceptable. Il ne me restait plus qu’à choisir le jour. J’ai consulté la météo, il ne faut surtout pas de vent. Pas question de se faire bousculer par les rafales qui te déséquilibrent et qui te poussent vers le précipice.
Celle de demain est bonne. C’est donc demain!
Je me suis répété une fois de plus les consignes vitales: Surtout bien faire attention, ne pas me laisser griser par les quatre derniers virages, ce sont les plus dangereux. Tu es proche de la fin, tu sens l’arrivée et tu te déconcentres et là tous tes efforts réduits, en une demi-seconde à néant… Tu peux le faire, c’est ta tête qui décide.
J’ai vérifié le matériel, changé les patins de frein, les câbles des vitesses, gonflé les peuneus à la bonne pression, bref tout préparé pour mon affaire. J'ai englouti des  brouettes de pâtes dans les dernières semaines. J'ai dû à moi seul redresser les affaires des Lustucrus. Je suis fin prêt.
Cette fois c’est pour demain!
Mon seul problème est de savoir comment retourner chercher la voiture au sommet… Faire du stop avec le vélo, je crains que les australiens, tout enthousiastes qu’ils soient, n'y remontent pas en voiture...

Lever de jour Ventoux 2

06 août 2010

Le Amandier.

Il y avait les navettes à la fleur d'oranger, craquantes comme des brindilles, du boulanger de Beaucet et les sablés croustillants de Bonnieux… Il y avait les pruniers des bords de route qui donnent des fruits ronds et jaunes comme des billes de cour d'école...  Il y avait le très beau champ d'oliviers de la propriété de La Carichone à la sortie de l'Isle, vers Saint Antoine... Il y avait la fraîcheur en longeant les sorgues et la chaleur en serpentant au mitan des blés murs...Il y avait la vue qu'on a du tout haut  balcon de Venasque… Et les figuiers pas farouches de Fontaine de Vaucluse dont tu entres de plein fouet dans l'odeur sucrée qui te renvoie illico en enfance et puis le couchant  à tomber raide du chemin de la Gaye, juste à la sortie de l’Isle sur la Sorgue… Sans oublier la place de l’Eglise de Saumane et la vue vers Cavaillon, la longue et majestueuse allée de cyprès de la Tuilerie, un peu plus haut, ni la vue sur les dentelles de Montmirail, un peu avant la descente vers Saint Didier où on déguste les sorbets de  Sylvain Frères, tu sais bien, ceux qui te donnent la force de remonter vers les blancheurs organisées des carrières de Saint Gens… Bientôt, il y aurait les noix des noyers plantésà chaque intersection de chemin comme si on avait voulu penser à l'ombre pour les ânes...
Ah! Dis! Hé! Et le vallon perdu de Carrouira? La montée de La Roque sur Pernes? Les deux trois virages en gratte ciel, sur la route touristique qui sort de Fontaine de Vaucluse et qui rejoint Gordes? Et le petit café sous l'ombre d'une vigne vierge, sur la placette, dans le village d’Oppède le Vieux…
A chaque balade en bicyclette, je me donne un but à atteindre, sans doute trop flemmard pour pédaler juste pour le plaisir de… pédaler.
Il y avait ceux là et maintenant il y aura l’amandier de Lagnes… Le Amandier… Tu sais bien, l’arbre annonciateur, en Mars, de jours meilleurs…

Amandier fleurs 2

Celui dont je parle,  je l’ai trouvé par hasard, sur le chemin de la Baume, en passant dessous et m’y arrêtant, l’autre matin. Heureusement que j’avance les yeux en l’air! Je m’y suis régalé de ses amandes dodues, grosses comme des prunes, croquantes, fermes, généreuses. Je parierais qu'il avait les doigts de pied en plein dans le ventre d'une source...
Je me suis posé dessous son ombre pour en descendre le tas que j’avais amassé, comme un écureuil prévoyant. Imagine, petit, tu es Prince en Provence, assis sur son trône d'herbe sèche et tu vois, à gauche, là-bas, les maisons du village de Gordes (De celui-là, il vaut mieux  ne pas trop s'approcher…) En face de lui, la vue sur le village de Bonnieux, tout posé en équilibre sur son piton. En face, assez loin, au beau milieu de la montagnette qui barre l’horizon, la tour de l’Eglise d’Oppède le Vieux. A ta main droite, dans le fond, les toutes premières maisons de Robion et toi, le cul sur  ton herbe, sous un amandier de pleine vigueur et qui partage volontiers. Imagine, un peu le sentiment de puissance qui te vient...
Après, ma foi, tu t'arrangeras comme tu veux, mais il te faudra toujours demander à tes jambes de bouléguer si tu veux rentrer… Quoique si tu es en veine, le mistral qui t'aura poussé aux fesses jusque là, aura calé et tu ne l'auras pas dans la figure au retour...
Alors, tu auras les yeux et le ventre pleins… Riche et repu, ben vé...

Paysage Ménèrebes

03 août 2010

Nos beaux étés.

Qu’avons nous fait de tous ces étés passés ensemble,
De ces soirs où l'on s’épuisait aux mots de nos mots?
Qu’avons nous su de ces brumes  qui tremblent,
Freineuses, enveloppantes, naisseuses de sourires?
Qu’avons nous fait de ces phrases étranglées,
De ces verbes, à l'oreille, chuchotés, murmurés?
Qu’avons nous gardé des caresses en fils d'étoiles,
De ces baisers échangés comme on cargue les voiles?
Que sont devenus tous ces couchants admirés,
Assis, collés, sur la pierre d'Ouest, regardés serrés?
Où se sont enfuis les regards échangés, partagés,
Dans quels noirs de quelles caves se sont-ils cachés?
Dis, qu’avons nous fait de ces bouteilles ouvertes,
Des verres bus, des repas posés sur la nappe verte?
Qu'avons nous compris de ces nuits improbables,
Rompus, rincés, aux heures des marchands de sable?
Qu'avons nous reçu des paysages ensemble aperçus,
Ces collines aussi, nous ont aimé, l'ont-elles assez su?
Dis, de ces instants  ensemble, qu’en avons nous retenu?
Avons nous gardé des miettes de ces soirées parfaites?
Ces heures sont-elles perdues dans quels coins de nos têtes?
Ou bien, sommes nous, de nouveau, désespérément nus?

Dis moi, un peu, ces étés, les avons nous vécus, rêvés?
Si tu savais vraiment... tu me dirais?

Mur ocre

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