09 août 2010

Zéro, vin.

Tout annonçait un mémorable jour de fête…
Depuis le matin, le mistral, qui avait gonflé ses biceps toute la semaine, s’était tapi dans des fourrés perdus. S’il nous avait laissé vaguement groggy, il nous fichait, maintenant, une paix royale mais permettait, aussi, au chaud reprendre le dessus. En arrivant à la mairie, en fin de journée, il faisait une chaleur de plomb fondu. Ça transpirait à pleines bassines  sous les couleurs des fleurs des robes, dans les costumes neufs et sous les panamas…
En partant de chez moi, j’avais mis dans la bagnole un matelas en mousse et un duvet en prévision, pour dormir sur place au cas où j’en aurais besoin. J'avais appris récemment qu’il ne me restait plus qu’un point à perdre pour n’avoir plus le droit de conduire, alors, je ne voulais ni tenter le diable, ni faire le mariole, ni me retrouver à pince. Je mettrais de mon côté toutes les chances en attendant d’en récupérer une partie, si possible sans passer par le stage payant…
De retour, à pieds de la mairie où avaient été prononcés les deux OUI, avec force, pour les amoureux et entendus avec un soulagement joyeux par l'assistance, on a commencé à l’eau minérale pour se débarrasser de  la soif et ne plus boire, après, que par plaisir.
Une heure plus tard, on attaquait gentiment au champagne et au Pouilly Fuissé, en douce alternance, en fonction de la personne avec qui on parlait. Après deux bonnes heures, si aucun n’était saoul, tous étaient, déjà, un peu entamés. Tu comprends il faut bien gouter à toutes les années pour pouvoir dire. Et puis, on croisait avec tellement de plaisir des gens qu’on n’avait pas vu depuis longtemps et il fallait bien, à chaque fois fêter ça… Comme on avait du plaisir à voir ceux qu'on voyait régulièrement, on se trouvait mille raisons de lever le coude. Et on n'hésitait plus vraiment. Enfin, moins qu'en début de soirée...
Alors, il y eut le repas, les chants, les éclats de rire, les classiques, les incontournables, mais aussi les plats, le rouge, le trou normand, au calvados d’alambic, les fromages, le bordeaux et pour finir un retour au champagne sur les desserts.
Avec ça, il était aux alentours de deux heures du matin, je me sentais à deux doigts de danser et à un de m'en allumer une, c’est dire… C’est à ce moment là que je suis repassé à l’eau minérale gazeuse fraîche. Pour noyer le tout? Le diluer? Je me suis donné deux heures avant de rentrer. Je suis allé m’allonger dans le pré quelques minutes, il faisait une belle nuit d’été. Avant de sombrer, j’ai pu voir le bleu foncé s’illuminer de deux filantes à quelques secondes l’une de l’autre. Elles ont zébré le ciel. J’ai même entendu un chuintement.  L'une des deux a  partagé la coupole sombre en deux parties, comme une fermeture éclair divine. J'en suis resté baba. De la grange, me parvenaient les doums, doums, doums, lancinants d’une musique techno. Là-bas, la bande de jeunes s’en donnait à corps joie. Et puis, j’ai un petit peu fermé les deux yeux. Pas très longtemps. Une odeur de soupe à l’oignon m’a sorti le nez de l’herbe. Je suis allé en prendre une assiette et puis, après en avoir embrassé quelques uns, je suis parti. Il n’était pas loin de quatre heures. L'Est commençait à blanchir, Cassiopée à disparaitre, le jour à grimper aux rideaux de la nuit. Je me suis dit: A cette heure là, les gendarmes, si jamais il y en avait eu, étaient surement partis se coucher, je vais me rentrer doucettement en roulant pépère. J’aurais sauvé mon dernier point, il ne me sera rien arrivé et demain matin, enfin tout à l’heure je me réveillerai sur mon lit...
Tu parles, ils étaient toute une escouade à la sortie du village voisin. Toute une fine équipe bien au milieu du rond point, menaçante avec les gyrophares, les motos puissantes, les fusils à pompe, la voiture de course, les herses, les chiens, tout le tralala et pas un sourire, du genre: Pendant que vous buviez comme des trous et que vous vous amusiez comme des fous, nous, on a passé la nuit ici, mes gaillards,  ne comptez pas sur nous pour la mansuétude, pas de quartier, si vous avez picolé...  Maintenant, mes petits chéris, vous allez pleurer votre mère!
Voilà, c’est mort, je me suis dit, il te restait UN point. Surtout éviter de leur servir une de ces conneries qu'ils doivent entendre à longueur de contrôle: Je ne comprends pas Monsieur l’agent, je n’ai bu qu’un verre, peut-être deux, mais guère plus, vous êtes certain de votre appareil? Comment? 0,8 ? On a dû mettre de l'alcool dans ma Saint-Yorre... Non, au contraire, assumer: Ben oui, je sors d’un mariage et j’y ai bu des verres... Tenez, mes poignets... Ne serrez pas trop fort, je suis fragile du scaphoïde...
L’un d’entre eux m’a fait ranger ma voiture, j’ai arrêté le contact, il s’est approché: Bonsoir, contrôle alcoolémie, en pouffant, j’ai pensé que j’avais compris, que ce n’était pas  pour la redevance, et je me suis vu, dans une minute, en dehors de mon engin, les mains sur le capot, les jambes écartées. Non, pas de fouille au corps s’il vous plait… Il m’a tendu un truc et m’a demandé de souffler dedans. J’ai inspiré, l’inspiration du condamné et j’ai soufflé dans sa trompette. Tu es mort, j’ai pensé, ça y est c’est fait, tu n’as plus de point, en plus, tu vas douiller. Tu vas recevoir au tribunal, les juges n'aiment pas  du tout les gens comme toi, pris en dehors des clous (j'avais déjà eu l'occasion d'assister à ce genre de mise à mort pour un feu rouge grillé. Alors que vous devriez être un exemple etc etc...). Combien ça va te coûter cette affaire et tu crois qu’on peut dormir dans les cellules de dégrisement de la gendarmerie. Voilà, tu vas finir ton été en prison et, à la rentrée, c'est en vélo que tu iras bosser… Ah! Tu vas avoir l'occasion d'en trouver des amandiers! Je lui ai rendu son engin avec un vague sourire un peu niais. Mes dernières secondes d'innocence.... Il l’a pris et, après un long silence pesant, m’a balancé:
Zéro, vin, il a fait… Zéro, vin, j’ai répété bêtement. Ah ça non, impossible, j'ai failli lâcher...
Vous savez ce que vous avez bu, il faudra y penser pour la prochaine fois.
Zéro, vingt, mais alors je n’ai pas franchi la ligne? Comment est-ce possible? Ça, je me le suis raconté à moi-même, je ne l’ai pas partagé avec lui…
Zéro, vingt… Si je m’attendais?! Bon sang ce cauchemar va prendre fin!  Avec tout ce que j'avais descendu? Je me suis senti comme... grisé par cette annonce. C'était tout moi, ça! Tout faire pour et ne pas arriver à être positif!
Du coup, j’ai fait demi-tour et je suis retourné à la noce, m'en prendre un dernier…
Pour le doute.

La coupe de champagne

11 commentaires:

Brigetoun a dit…

c'est malin !

Lautreje a dit…

J'suis écroulée de rire ! Merci !

chri a dit…

@Brigetoun: Pas trop, non! D'accord avec vous.
@Lautreje: C'est fait pour!

Tilia a dit…

Champagne !!!

J'adore le petit jour agrippé aux rideaux de la nuit. Quelle délicieuse poésie.

Lorraine a dit…

Cette façon de raconter m'a tenue en suspens, je suivais l'histoire, le personnage, la noce, j'étais la mariée (non, pourquoi je dis ça?), mais j'étais dans la foule. Puis au volant, puis avec les gendarmes, puis...Je me suis bien amusée, quel art de tenir en haleine. Merci, merci!

remi.cottard a dit…

Ouais.....T'aurais été malin avec le mistral de face sur ton pti vélo. J'aurais bien voulu voir ça.

chri a dit…

@Mi: Pti vélo mais gros mollets! En vrai, je n'avais que 0,10... qu'il a dit...
@Merci à vous Lorraine, ça me fait bien plaisir!

véronique a dit…

enfin une histoire "qu'elle finit bien" !

chri a dit…

@Véronique: C'est vrai que pour une fois ça s'arrange vers la fin!
Ça s'arrose...

nathalie a dit…

J'aime bien les liens linkedin qui permettent de revenir en arrière vers des billets qu'on a ratés (ou envie de relire)- je me suis retrouvée ici. Jolie histoire et qui finit bien. Zéro dix en vrai ? Merci à la soupe à l'oignon et la vitelloise ?

chri a dit…

@Véronique: Je n'ai absolument pas compris ce zéro dix là! Mais je n'ai pas demandé mon reste!

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