26 janvier 2015

Enfin, légers.

Nous nous languissions tous d'en finir avec cet hiver terriblement éprouvant.
Nous avions laissé en route beaucoup trop de monde, amis, connus  ou inconnus. Nous avions pleuré toutes les larmes de nos pauvres et, désormais tristes cœurs. Nous étions lessivés, rincés, défaits, hébétés, abattus, épuisés. Heureusement, il nous était arrivé plusieurs fois de nous retrouver et de nous serrer collés comme une bande de manchots face au blizzard mais, quand même, peu de choses nous avaient été épargnées. Dans ce premier mois de l’année, normalement celui qui est dédié aux vœux, aux désirs souhaités pour les autres et pour soi, à la bienveillance générale, à la générosité universelle, nous étions allés  de peines en peines, de pleurs en pleurs, de deuils en deuils avec une régularité implacable. Pas un jour, pas une semaine sans qu’on apprenne qu’untel ou une telle était tombée au champ d’honneur.
Cependant, contents ou pas, nous faisions maintenant partie de ceux qui restent et nous devions faire avec... Ou plutôt sans comme chantait l'autre. La vie devait absolument reprendre le dessus sinon, c’était tout simple, nous passerions  direct en tête de liste sans espoir de retour. Et puis, nous leur devions bien ça. Ma main à couper que si on leur avait laissé le choix,  ils auraient voulu rester encore un peu.
Alors, comme des convalescents à peine débarqués de la salle d’opération, nous recommencions doucement à, certaines fois, sourire, à nous remettre, oh bien sûr sans trop d’entrain, aux choses habituelles, parfois en réprimant les quelques sanglots qui nous surprenaient encore comme des hoquets de peine. Nous essayions désormais de profiter de chaque instant tranquille  de chaque minute de paix en nous figurant que c’était peut être la dernière et que dieux du ciel, le téléphone n’allait pas tarder à sonner pour nous en apprendre une bien douloureuse. Nous nous surprenions à lever le regard, à ne plus marcher la tête dans nos lacets, à parfois sourire à ceux que nous croisions, voire à leur dire deux trois banalités bien banales mais presque souriantes.
Après le froid glacial des derniers jours, après le vent, baraqué comme un costaud de foire foraine, qui avait roulé des épaules sur tout le pays en se foutant pas mal de nos faiblesses de jambes, après le blanc cristallin du petit matin sur le vert des près était venue une période de relative douceur. La température était un peu montée et les après-midis étaient même devenus supportables sans les lourdes vestes de laine ou les manteaux de toile épaisse.
On avait remisé les gants, les écharpes et les bonnets. Les oiseaux s’étaient remis à chanter, les jours avaient fait mine de s’étirer davantage surtout le soir, quelques bourgeons pâles étaient apparus au bout des branches grises des figuiers. Sur le dessus vert des sorgues, les canards nageaient à deux, dans les arbres encore debout,  les merles s’appelaient à becs déployés et, un peu partout, les chevaux réapparaissaient dans les enclos. De plus, tous ceux qui étaient un peu attentifs à tous ces signes l'avaient bien remarqué, il faisait à nouveau jour vers les dix huit heures ce qui n'était plus arrivé depuis  trois mois... Jusqu'aux tables aux chaises qui refaisaient surface aux terrasses des cafés. On allait pouvoir à nouveau s’y poser et y perdre, avec félicité, un peu de notre temps précieux à admirer passer les filles, leurs jambes dansantes et nues sous leurs robes légères du printemps venant.

Si ça se trouve, nos pauvres petits coeurs récemment malmenés allaient recommencer à palpiter. 

On allait enfin redevenir légers.





19 janvier 2015

1 2 3 Tristesse.

C'est à mon deuxième passage que je l'ai vue.
Au premier, perdu dans mes pensées, noyé dans l'horreur des derniers jours que nous venions de traverser, encore hébété par les nouvelles qui nous parvenaient du front, je marchais sans rien voir. Je regardais mais ne voyais pas. Je sentais le monde mais il ne me disait rien, j'étais comme un type en réanimation qui se remet doucement d'une anesthésie générale. La veille j'avais reçu un mail de sa fille qui nous donnait des nouvelles d'Annie. Elle était victime de la saloperie de l'époque, récidivante et au plus mal. Son état se dégradait disait le mail. Nous devions donc nous préparer au pire. Ça n'a pas tardé.
Entre autres à cause de ça, comme beaucoup d'autres, je n'arrêtais pas de pleurer. Pour un oui, pour un non. J'avais dépensé une fortune en mouchoirs jetables.
Ce  matin là, je m'étais pourtant donné un coup de pied au cul pour sortir de ma tanière, aller un peu au contact des autres, me replonger gentiment dans le bain. Quelque chose me disait d'aller revoir mes congénères. Nous étions dimanche et je m'étais avancé jusqu'au marché. En hiver, il se rétrécissait comme une poire gelée, il ne débordait plus des limites de la vieille ville, il s'y concentrait à l'intérieur de ses hauts murs. J'avais mon parcours. Je commençais le long des quais puis j'attaquais la première place, celle du bar à vin, je longeais l'église, je tournais serré sur la deuxième place et je m'enfonçais dans le boyau gelé de la rue Carnot qui, tout au bout, retrouvait les quais le plus souvent inondés de soleil même en plein milieu du mois de Janvier. Le recevoir en pleins yeux, au débouché de la rue celui-là, faisait un bien fou.
Et je me payais cette virée deux ou trois fois selon le vent qui soufflait, le soleil qui brillait, le monde, mon envie et les robes à vendre dans les boutiques pour filles. Vivre seul toutes ces années ne m'avait guéri de rien... Je n'achetais jamais grand chose. Quelques clémentines, mais pas les corses, j'ai jamais aimé les feuilles, une ou deux courgettes, une botte de coriandre fraîche quand Rachid en avait coupé, un des ses litres d'huile: Achète, achète la bonne huile à Rachid qu'il criait, une douzaine de vrais oeufs sortis de l'intérieur de vraies poules, de celles qui savent ce que gratter veut dire et parfois un dos de cabillaud ou bien une poignée de beaux bouquets cuits, en fonction des arrivages et puis c'était à peu près tout. 
J'avais fait mes tours, j'avais vu un peu de monde, j'en avais salué quelques uns de la tête, qui à force de me voir passer chaque dimanche finissait par se dire mais cette tête là, je l'ai déjà vue quelque part, j'avais échangé un bonjour comment allez vous, beau dimanche n'est-ce-pas, sans attendre la réponse et puis je me rentrais. Parfois, surtout en cas de beau temps, je poussais jusqu'à m'installer en terrasse avant un verre de blanc. Il fallait quelque chose à fêter, en ce moment, on en était loin. J'étais presque content et en même temps ce que j'en avais soupé de faire ces tours là, seul. Huit années que ça durait. Pas moyen de trouver quelqu'un avec qui les faire. Un jour, je finirais par en louer une. Pour deux heures de marché. Juste pour un avant bras à prendre ou une main a attraper ou pouvoir dire: Regarde... 
Ce matin, c'est à mon deuxième passage que je l'ai vue, elle était assise sur une des trois marches de la chapelle à l'abandon. Elle était enveloppée dans un manteau rouge comme un petit chaperon et elle pleurait.
Elle ne devait pas avoir beaucoup plus de huit neuf ans et deux nattes très brunes, rigolotes lui dégoulinaient de chaque côté de la tête. Je suis passé, je l'ai vue, j'ai continué et je suis revenu vers elle.
Je me suis approché doucement comme on approche d'un chat inconnu pour éviter de l'effrayer.
Je me suis assis à ses côtés et je lui ai demandé:
___ Tu pleures parce que tu ne sais plus où sont tes parents?
___ Non, Non m'a-t-elle répondu en se passant une main sur les larmes qui mouillaient sa joue. Je joue avec mes amies.
___ Est-ce-que je peux faire quelque chose pour toi? J'ai continué.
___ Non, non, merci, vous êtes gentil mais tout va bien.
Deux autres petites filles son venues s'asseoir sur les marches. Elles n'étaient pas elles non plus dans une forme éblouissante. J'ai repris ma conversation avec la première.
___ Mais si tout va bien, pourquoi pleures-tu, alors?
Alors, après un silence elle m'a confié comme si elle me transmettait un secret:
___ Ben avec mes copines, on joue à être triste.
___ Vous jouez à être tristes ? Mais pourquoi ça donc?
Elles m'ont regardé comme si j'étais un vieil imbécile qui décidément ne comprenait rien à rien et m'ont dit tranquillement:
___Ben, tu vois, comme ça quand on doit s'arrêter de jouer c'est moins difficile que quand on s'amuse vraiment... 
___ Ah ça c'est plutôt malin, j'ai dit pour me donner une contenance. Elle a repris dans un souffle:
___ Et puis aussi, ça nous sert d'entraînement pour plus tard, pour ce qui nous attend, pour la vie, quoi...

J'étais sonné.  Je me suis levé j'ai ramassé mon sac plastique, ils n'arrivaient pas à s'en défaire par ici et en m'éloignant, je leur ai dit bêtement:
___ Bon ben bonne journée, les filles. Amusez vous bien...

Et puis, après s'être battue comme une douce et digne lionne, Annie s'en est allée...



11 janvier 2015

Et après? Demain?

A part pour le pavé des rues, ce fut un bien beau dimanche de Janvier.
Paris, et d'autres villes, dans le pays tout entier, parcouru par les pas tranquilles d'un monde fou, enfin, je me comprends, un monde opposé à la folie des fous. Des marseillaises chantées faux, ou juste murmurées parfois, des pancartes amusantes, du chagrin aigu, lourd, pesant, une première mondiale: des acclamations pour la police, les forces de l'ordre.Certains s'en sont évanouis.
C'est que quand même on compte depuis le début de ce bazar dix sept morts et plusieurs blessés graves. En seulement trois jours... 
Dites, dans le même temps, combien à Alep, Mossoul, Kobané ou au Nigeria?
Hier dimanche des jolis sourires, des gentilles choses dites, des mains tendues, des paumes ouvertes, Netanyahu et Abbas côte à côte, Douste... (Mais si, vous vous souvenez sûrement... Douste Blazy, oui celui-là, même... Tiens il serait vivant celui-là et Dati ensemble (enfin, je me comprends,  ensemble au même moment dans la même rue), tout le gratin de l'Europe et d'une partie du monde en autocar. De beaux symboles, de belles images, de belles accolades, de chaudes embrassades, des bisous, des caresses en veux-tu en voilà... Après la rudesse des derniers jours, une calinothérapie sévère.
Ce qui ne gâte rien, une Marine et son état major, loin de tout ça, exilée volontaire dans son jardinet secondaire et tout riquiqui de  Beaucaire avec son petit balcon, son petit discours tout rance et ses petits fans tout petits (jusqu'à journalistes au bûcher parait-il...)... C'est bien, Beaucaire pour elle. Juste à côté de Tarascon dans le Gard. Qu'ils se la gardent? Ah elle, la chef du FMI, on ne l'a pas vue...
Un vrai beau dimanche de Janvier fraternel deux jours après l'horreur, le massacre, la haine les corps meurtris la peur et le sang versés.
Je ne suis pas certain que ceux qui ont été tués parce qu'ils dessinaient pour faire rire auraient été très heureux de tous ces élans de sympathie mielleux, mais bon, ils n'avaient qu'à être là pour gueuler que ça ne leur disait rien, aussi.
Les absents ont furieusement tort.

Alors après demain?
Comment se fait-il que des jeunes gens français qui sont allés dans nos écoles en soient arrivés là?
Qu'est-ce-qui va être fait pour que cela ne recommence pas?
Comment éviter que ce magnifique soufflet républicain retombe et que dans quelques semaines on ne se regarde pas les uns et les autres en chiens de faïence, en ennemis potentiels, en menaces possibles?

Après cette journée, que va-t-on faire de toutes les autres?
Hier dans les rues, la fraternité s'est exprimée pour la liberté. 
Allez France, encore un effort pour le troisième.



Photo prise dans le rassemblement républicain.

10 janvier 2015

Ça tombe bien...

Pour les impromptus littéraires. Le texte devait commencer par : Mon précieux.


Mon précieux, mon doux, ma blessure
Mon beau, ma vertu, ma torture,
Ma fugue et mon enjôleur,
Mon assassine lueur.

Mon ambré, mon botté, mon délicat,
Mon sauvage, mon tendre, mon avocat,
Mon costume, mon enterreur,
Mon déchireur.

Mon enfance, mon flouté, mon camarade
Mes absences, mon certain, ma camarde,
Mon terrifiant, mon ravageur,
Mon empêcheur.

Mon cache misère, mon intégriste
Mon intégrale, mon bout de piste,
Mon rigide et mon détracteur,
Mon dévoreur.

Mon œil perçant, mon œil qu’on plisse,
Mon abandon, mon manteau, ma pelisse,
Mon ennemi plaisant,
Mon cohabitant.

Ma gaité folle, mon giflé, ma caresse,
Mon insondable, mon ivresse,
Mon habitué ravi,
Mon jour de pluie.
 
Mon prévenu, mon parvenu, mon prévenant,
Mon lancinant, mon accablant,
Mon présent, mon doux ogre,
Mon toujours sans fin,


Mon indéfectible… chagrin.



C  H  A  R  L  I  E
C  H  I  A  L  E  R

  

07 janvier 2015

Cette année...

Bonne année, bonne année...

Ah, ça, elle commence bien, 

cette conne...






Tous ces éclats de balles pour des éclats de rire...

04 janvier 2015

Les nouveaux pères.

Il a débarqué dans le wagon quelques petites minutes avant le départ, un enfant dans chaque bras et un autre plus agé devant pour ouvrir la marche. Il les a installés dans le carré où j'occupais la quatrième place. Je me suis dit: Putain deux heures trente de voyage en tête à têtes avec ces quatre là... Ça va être plus long que prévu. Je n'aurais donc jamais droit à une jolie femme sexy, seule, souriante, intelligente, humble, drôle, un peu bavarde et pas farouche? 
En attendant, révise tout ton Qi gong mon petit bonhomme et va chercher l'air tout en bas là-bas... Tu vas en avoir un sacré besoin.
J'ai plongé dans mon livre comme on plonge dans un lac de montagne. Surtout ne leur envoyer aucun signe de sympathie, de bienveillance. Vous êtes tombés  sur un vieux bougon mes gaillards, ne pensez pas une seconde qu'il va être question de rigolade avec ce papy là.  Je les connaissais ces petits salopards: tu leur souries une fois et deux minutes après ils t'arrachent les lunettes en te mettant deux doigts dans les narines en te hurlant dans les oreilles. Je faisais mine de lire avec intensité mais je les regardais du coin de l'oeil. Je me méfiais d'eux comme de la peste noire.
Le père, une petite quarantaine Hilfiger barbe naissante, a déballé les bulletins scolaires des deux plus agés, le plus petit n'y avait sans doute pas encore droit. Il s'est mis à lire tout ça à haute voix et les deux autres écoutaient en balançant de temps en temps une saleté sur le frère d'à côté. Puis, il a signé les bulletins d'une manière protocolaire comme s'il signait un contrat mirobolant avec  une délégation chinoise. Ensuite, il a entrepris de les faire bosser. Un Thénardier Eden Park aux petits oignons j'ai pensé. Tout y est passé. Additions, soustractions, conjugaisons... Les autres se sont pliés à son petit jeu de mauvaise grâce mais ils ont fait ce que leur demandait le père North Face. Ils se sont bien mélangés les crayons sur sont:  s/o/n/t ou son: s/o/n, on voyait bien qu'ils ne maitrisaient pas et qu'ils répondaient le plus souvent pour se débarrasser. J'ai une chance sur deux j'en envoie un et je vois la tête qu'il fait, si besoin, je lui donne l'autre... Ce petit jeu a bien duré une bonne heure, tout le monde avait bien avancé. Lui, il les tenait pas mal finalement mais on voyait bien qu'il ne faisait pas ça couramment. Il déballait trop de trésors de patience appuyée, il comptait bien trop fréquemment jusqu'à trois, on sentait qu'il venait de le faire sien ce coup là. J'aurais mis ma main à couper qu'il s'en occupait occasionnellement et qu'il devait se dire, au fond de lui: Allez encore une heure ou deux et c'est fini, tiens bon, tiens bon, tu es un père formidable... Puis, il a fini par les brancher sur un ipad et là, enfin tous les passagers du coin ont (o/n/t) soufflé. Les deux grands ont quitté le wagon, le train, le trajet et sont partis voir ailleurs. Seul, le petit s'est blotti dans les bras d'Eider qui en a profité pour roupiller un poil. Il était du reste assez ridicule avec sa tête penchée en arrière et sa bouche grande ouverte.
J'ai avancé dans mon livre. Il n'y a pas à dire, il les tenait bien ses trois gars, je m'attendais à pire. J'étais à deux doigts de lui décerner une médaille quand je suis allé aux toilettes juste avant d'arriver. J'étais dans le sas du wagon quand il a débarqué. Il était pendu au téléphone, il avait laissé ses trois gentils bonhommes sur le siège. J'entendais tout ce qu'il disait. Le gentil papa patient avait fait place à un sacré chaud lapin. Il était comme un bloc de braise. J'ai tout attrapé jusque dans les détails. Fallait pas lui en promettre. Il allait bientôt arriver, filer à la maison, les déposer à leur mère et à nous toute la soirée mon amour et comment seras-tu habillée que je me fasse à l'idée de ce qui m'attend  et mon namour je te laisse le choix dans la date...  Alors ça, il a dû le répéter trois ou quatre fois de peur qu'elle passe à côté ce qui aurait quand même été  dommage devait-il se dire. Il en gloussait même de plaisir tant le trait lui semblait fin et sa vilaine blague à peine éculée... Chaud, torride dis-je. Jusqu'à l'aveuglement. Le gentil papa, poule prévenante était devenu en deux secondes et un appel de portable un coq bouillonnant. Un père moderne, que ce Timberland des TGV...
Dans le wagon, profitant de son absence passagère, ses trois trésors se bagarraient en hurlant comme des chiffonniers hystériques.
Tout, peu à peu, reprenait sa vraie place...L'illusion se dissipait comme une brume évanescente.



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