06 janvier 2024

Chambre trois cent treize

Ainsi donc tout, vraiment tout allait s’arrêter là, maintenant ou dans peu de temps un jour ou deux, là maintenant, au plein cœur de ce décembre qui venait à peine de commencer…

Chambre trois cent treize, je ne crois pourtant pas aux signes, surtout s'ils sont trop évidents, perfusé, drainé, sondé, monitoré, ouvert en deux puis refermé, affalé sur ce lit blanc, vêtu d’une chemise en papier bleu qui n’en faisait qu’à son col, souffrant du ventre, du bas ventre, des fesses, alouette, j’y étais. Au pied du. 

J’étais entré la veille par les urgences, j’avais mal depuis deux jours, je pensais à une intoxication alimentaire, un Tartare du vendredi plutôt mal embouché, ou autre chose,  au fin fond du lit de la 313 (chambre treize, troisième étage de la clinique secteur viscéral) et j’allais y rester. J’allais mourir. Bientôt. Alors, ici, j’ai eu peur. Une belle peur bien profonde, dense comme une soupe épaisse, je l’ai vue, cette saleté, rôder à l’étage, puis tourner autour de la porte. Et les tout premiers mots qui me sont venus furent : Oh merde pas maintenant, non pas maintenant, j’ai encore quelques trucs à vivre, c’est trop bête on ne meurt pas pour un tartare à moins de lui en avoir fait une belle. J’apprendrais plus tard que ce n’était pas lui la cause de tout ce cirque, mais pour l’instant il avait toutes les faveurs des pronostics et c’est lui qu’on désignait comme le coupable idéal.

Nous étions jeudi environ, j’avais commencé à avoir mal le samedi matin d’avant, le suspect numéro un avait été avalé le vendredi soir. Toute la journée du samedi, je suis resté à moitié couché en me tordant en deux. Des douleurs par vagues, insistantes de plus en plus fréquentes. Des intestins déréglés comme un marché argentin, des envies de vomir, des allers retours aux toilettes. Bref, le grand inconfort. Avec ça nous étions samedi soir, fin des consultations, ce sera pour lundi maintenant mais ça va s’arranger, ça va passer, je ne vais pas continuer à avoir mal ainsi. Erreur. Le dimanche même ambiance. Je suis allé faire deux courses en voiture chez Leroy, j’aurais mieux fait de pas mais je voulais détourner un peu l’attention de la douleur, parfois ça fonctionne… Pas cette fois, je me suis vite recouché. J’ai appelé le lundi matin. J’ai eu un rendez vous le lundi dans l’après midi. La médecine m’a prescrit une analyse de sang que je suis allé faire de suite. Elle m’a rappelé en fin de soirée. Les analyses ne sont pas bonnes Cricri, il y a beaucoup trop de blanc pour que ce soit honnête, je serais vous j’irais aux urgences. D’ac doc, j’irai demain, à l’aube.

Le lendemain, j’ai avalé vite fait mon café, il avait un goût bizarre et je suis parti en voiture vers l’hosto le plus proche avec une gentille lettre de ma médecine traitante expliquant ma venue. J’y étais vers les neuf heures. Une fois ma lettre remise on m’a déshabillé, puis allongé sur un brancard dans un hall avec d’autres, des tas d’autres entassés, qui se tordaient plus ou moins de douleur. Un vieux qui n’avait plus toute sa tête  nous en faisait entendre de toutes les couleurs. Avec sa grosse voix et son accent, il passait de la supplique à l’insulte avec une dextérité de jongleur coréen. Après l’avoir attaché à son brancard, ils ont fini par le piquer pour l’endormir. Ça a fait un bien fou à tout le monde. Vers dix huit heures on m’a emmené au scanner. Une heure après j’ai vu un type se pencher sur moi. Il m’a juste dit : Bonjour, je suis  chirurgien, je vous opère dans une heure. Du ventre ? J’ai supposé.

Il faut prévenir chez moi, je suis parti ce matin en pensant revenir dans la journée. Nous allons le faire m’a-t-on dit. Oui faites le parce que sinon, je les connais ils vont s’inquiéter et ils n’auront pas tout à fait tort… La batterie de mon téléphone était à zéro et je n’avais pas de chargeur, j’étais coincé, je ne pouvais pas le faire moi.

Une heure après un anesthésiste jovial me saluait. Eux, je préférais les voir au réveil. Une heure dix plus tard j’étais enfermé dans un sommeil profond. 

Ils en ont profité pour m’ouvrir en deux vaquer à leurs occupations, nettoyer la zone, réparer les fuites, suturer les trous comme ceux d'une vieille chambre à air,  vérifier qu'on ait rien oublié, prélever, refermer, recoudre, perfuser sonder, drainer. L’affaire était entendue, J’avais eu comme le dormeur du val trois trous rouges au colon droit.

Seulement, moi, je m’étais réveillé. Dans un semi brouillard, j'ai vu passer un gars très élégant avec une grosse écharpe colorée et des lunettes rouges: Je suis l'associé du chirurgien qui vous a opéré, alors vous avez bien failli repartir dans une caisse en bois, vous savez, vous avez eu chaud... Sinon tout va bien? Et sans attendre une réponse, cette pointure psychologue a disparu dans un courant d'air glacial...

C’est seulement après sa visite que j’ai pensé que, cette fois, j’allais mourir. Et j'ai eu peur. Une peur dense, animale, fiévreuse, irraisonnable. Une peur qui nous rend différent quand elle nous quitte. Je ne le savais pas encore mais je n'allais plus être le même gars.

Désormais, je faisais partie de l'équipe de ceux qui l'ont vue de près.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bon courage!
Il faut courir vers l'avenir ventre à terre. Les mots le sentent si bien malgré eux.Prendre soin de lui, l'écouter.
C'est la saison où les fleurs du printemps pointent le bout du nez et nous murmurent un avenir encore une année au moins.


Papy René

Publications les plus consultées