11 mai 2015

Réflections.

Pour Les impromptus littéraires. Il devait être question de reflets...

D’ordinaire et depuis belle lurette, j’évitais de croiser son regard.
Après toutes ces années communes, nous en étions arrivés à ce point. Le temps est un abrasif efficace. Le temps est un laminoir. Le temps est un destructeur. Massif.
Il fut un temps où lui jeter un oeil ne me déplaisait pas à ce point. Il fut un temps où, à la différence,  je le scrutais, j’essayais de voir si tout allait bien, s’il n’y avait pas quelque chose à tenter pour améliorer ça, si il avait une chance de plaire ou simplement d’être remarqué dans la journée, disons dans la matinée, enfin dans l’heure qui venait, si je pouvais lui faire un peu confiance, si je pouvais lui accorder un vague petit crédit. Il fut un temps où je l’envisageais comme un ami fidèle, et parfois comme un atout, une carte à jouer, un plus.
Mais ce temps là était fini. Bel et bien fini. Heureusement. Lui et moi n’en étions plus là. Ce n’était pas encore le divorce absolu mais nous arrivions déjà à l’indifférence gênée. Nous nous regardions à peine, vite fait, en passant Et, parfois même, sans nous voir, l’œil vague, flou. La mise au point inutile. Un coup d’œil sur l’ensemble et on laisse ainsi. Désormais, chercher à enjoliver était une vaine tentative. C’est exactement l’inverse qui arrivait. Il ne fallait plus toucher à rien. Le mieux était l’ennemi juré du pas terrible. Non mais regarde moi ça... Quelle décrépitude.
Avant, bien avant il y avait une sorte de lueur un peu vive dans le regard, une intensité douce et maintenant ? Avant, bien avant, on pouvait croiser un sourire légèrement grave. Et maintenant ? Avant, il y a longtemps, on avait quelques chances de rencontrer la moue maline d’un doute certain. Et maintenant ? La bougie s’était éteinte. La vie avait mis un terne à tout ça. Exit la lueur, envolé le sourire, effacée la moue. On y croisait plus que le poids des années vécues et des pertes engrangées. On y apercevait plus que les renoncements et les défaites. On y était confronté qu’au désespoir subtil et à la mélancolie tranquille. Les nuits blanches et les années noires avaient tracé leurs sillons ainsi que les jours sans faim et les mois sans soif.
C’est sans doute pour toutes ces raisons que le matin et toutes les heures des jours j’évitais soigneusement de croiser mon regard dans quelque glace que ce soit. Je ne me reluquais plus en face.
La peur d’avoir froid.

Dans le dos.
Oh Nanar, pose un peu ton stylo et viens faire une partie avec nous, va, ça te changera les états d'âme...
Alors, Narcisse se leva, se saisit de sa paire de boules et s'en alla jouer.


11 commentaires:

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

L'inventaire de nos vie, passe par perte et profits bien des rêves,bien des illusions et l'on se voit cheminer sur des routes jonchées de mémoires inavouables. L'enfer dit-on est pavé de bonnes intentions. Heureux les incroyants et pour les autres qu'ils assument, car on ne côtoie pas Dieu impunément !

chri a dit…

@ Roger La vie révèle aussi, il faut être juste avec elle, de biens beaux moments mais ils ne sont pas légions.

M a dit…

Si ton reflet ne te plait plus, écoute tonton Chri et regarde ce qu'il se passe à côté, le sourire reviendra ! La photo est géniale :-)

odile b. a dit…

Beaucoup d'auto-réflexions sur le reflet !
Mieux vaut, pour ce genre d'exercice, ne pas noyer son regard dans un verre ballon vide, griffé, déformant... (elle est terrible, cette photo !)

odile b. a dit…

PS
Être d'abord un bon compagnon pour soi-même. S'aimer pour, au moins, s'accepter tel qu'on est... Sème, semons, s'aimer. Oser se regarder en face... pour éviter d’avoir... "froid dans le dos" (!!!).

odile b. a dit…

PPS
"Le temps abrasif, laminoir... le temps destructeur."
Les mots sont forts, tranchants, implacables, comme le regard !
"La vie avait mis un terne à tout ça" : c'est tristement bien dit...
Pour accueillir Maman, dans les funestes derniers moments de sa vie ravagée, j'avais cru bien faire en installant dans l'entrée un grand miroir. Gravissime maladresse ! Je ne l'y ai pas laissé longtemps... elle aurait été capable de se cracher au visage ou de cogner la glace !

chri a dit…

@ M et Odile Merci! L'image vient d'un joli moment... Un bon restaurant un doux soir d'été sous les platanes des allées ombreuses de Lourmarin avec des amis anciens... Comme quoi l'image n'empêche pas l'bonheur!

odile b. a dit…

Ah ! Les images trompeuses... Voilà bien la preuve prouvante qu'on peut leur faire dire tout ce qu'on veut, suivant les mots qu'on y joint !
J'imagine maintenant que les amis qui accompagnaient ce moment de bonheur d'un soir d'été à Lourmarin étaient loin eux-mêles d'imaginer les réflexions solitaires du photographe-narrateur...
Façade ou miroir, la vie en société n'est souvent qu'un trompe-l'œil...

chri a dit…

@ Odile Ah mais c'est qu'au moment précis où je prends l'image, je ne pense pas du tout qu'elle va illustrer ce texte là! Je suis juste bien à table dans un bel endroit avec des gens que j'aime et je trouve joli le reflet dans la carafe!
Et il se peut même que je sois plutôt en forme au moment où j'écris le texte si noir!
C'est un joli bazar cette affaire! :-)

odile b. a dit…

Ah-mais-c'est-bien-qu'est-ce-que-je-disais de l'usage qu'on fait d'une image en la détournant avec des mots de son contexte d'origine... :)
Le bonjour à Lourmarin de mon cœur quand vous y retournerez !

chri a dit…

@ Odile J'aime tellement tellement cet endroit que j'y vais souvent souvent! Je n'oublierai pas.

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