Ils venaient de passer quelques jours dans un pays si beau qu’il éloignait des peurs de l’effrayante bêtise et des malheurs du monde. Comme c’était un pays de montagne, ils y avaient dépensé pas mal de temps à monter. Dépenser, le verbe n’est pas tout à fait correct. Ils s’étaient plutôt enrichis à monter : Monter à la chapelle, monter à la bergerie, monter au Lac … À propos de cette merveille, celui-là on ne le nommait pas. Il n’avait pas de nom pour les gens d’ici quand vous disiez que vous alliez au lac, tous ceux d’ici savaient de qui, oui de qui, vous parliez. C’était LE lac. Pourtant, il y avait plusieurs étendues d’eau dans le coin mais de lac comme lui, il n’y en avait qu’un. On y montait comme on va à un rendez-vous amoureux. Espéré, attendu, souhaité, désiré, même. Quand on était du pays, on n’y montait pas qu’une fois dans une vie, on y allait régulièrement, plusieurs fois dans la même année. Il fallait le voir en tenue d’été, puis en tenue d’Automne, en manteau d’hiver et en robe fleurie de Printemps. Chacune des saisons avait une beauté particulière. On ne pouvait y aller qu’à pieds, donc, les gens d’ici tant qu’ils pouvaient y montaient, tant que leurs jambes leur permettaient, tant que cela ne leur était pas devenu impossible, ils y grimpaient. Ils auraient sans doute pu se contenter de leurs souvenirs puisqu’ils y étaient allés si souvent mais non, ils voulaient tous admirer de leurs yeux ses nouvelles robes, ses nouveaux visages, ses nouvelles lumières sans cesse réinventées. Mais plus que la beauté du lieu ce qui était aussi remarquable ici, c’était la beauté intérieure des gens. Comme si la magnificence du paysage influait sur les âmes. C’était comme un théorème, un si beau pays ne pouvait pas engendrer une âme moche. Aussi, la plupart de ceux qu’on y croisait étaient souvent aussi beaux que les paysages dans lesquels ils vivaient. Alors, après avoir admiré la verticale de Rochecline, les pentes douces vers le lit du Verdon naissant, la cascades et les bassines de la Lance, les plateaux de Chasse ou la montée vers le Col des Champs, la beauté arrondie de l’Encombrette, les miroirs du Lignin, on se réjouissait des rencontres faites dans le village fortifié à l’intérieur des remparts censés empêcher les passages ou les invasions mais qui ne protégeaient plus désormais que de la chaleur en été. Cette fois, on y avait croisé Jean Claude une belle quatre-vingtaine qui, avec son épouse d’origine asiatique « faisaient le jardin ». Le plus beau c’est qu’ils le faisaient pour les autres parce que Jean-Claude et elle, s’il était d’ici, né ici, les deux ne vivaient pas là. Ils venaient de loin, même. Ils ne venaient que pour voir des tombes et « faire le jardin », pour le rendre encore plus joli, exactement de l’autre côté de la terre. C’est en Nouvelle-Zélande qu’ils passaient leurs vies, c’est là-bas qu’ils résidaient et d’où ils débarquaient une fois par an pour entretenir la maison et soigner le jardin fleuri construite par son père qui reposait maintenant au petit cimetière du village. Ils nous ont longuement parlé de leurs rosiers, des fleurs magnifiques qu’ils donnaient, de leurs parfums entêtants et du bonheur qu’ils avaient à les voir.
De l’autre côté de la terre ils se sentaient responsables de deux ou trois rosiers…
Quand on dit que ce pays est si beau qu’il peut éloigner de l’effrayante bêtise et des malheurs du monde c’est aussi à Jean Claude et son épouse qu’il le doit…
