10 mai 2011

Crocodile, la vie...

Il marche sur le pont qui ensaute le fleuve. Il marche lentement comme un homme qui a du temps devant lui. Ou qui saurait le prendre, c'est à dire se l'offrir.  Il a le temps, rien ne le presse, rien ni personne. Parfois, il s'arrête et se penche au parapet en métal pour regarder au-delà des tourbillons noirs du courant. Il se dit qu'il n'aimerait pas du tout y être prisonnier. Il essaie de compter les chances qu'il aurait de s'en sortir et puis il abandonne ne s'en accordant aucune. Il marche sur ce pont ou plutôt cette passerelle au plancher de bois. Il flâne, le nez au vent comme un épagneul. Il regarde sans voir, il voit sans regarder.
Puis, il y a elle.
Elle est accoudée sur le fer de la rambarde. Une silhouette fine, les deux mais sur son visage pour s'y cacher. En passant à sa hauteur, il s'aperçoit qu'elle pleure. Elle pleure et ajoute au noir du fleuve le sel de ses larmes qui se perdent à grosses gouttes dans les remous.
Elle est belle comme un naufrage et sombre comme une âme damnée. Elle a le dos scindé en deux par une longue natte noire qui tient ses cheveux en laisse. En la voyant, il s'est  dit que tout n'est pas perdu puisque elle a pris le temps de cette coiffure. Il s'approche et lui parle. Elle lui dit tout comme on donne tout à un inconnu de passage et de préférence.
Ma petite mère, si c'est pour cette raison et seulement pour celle là que tu es là sur ce pont à regarder en bas et t'arracher toutes ces larmes, je ne vais pas te dire: que du temps perdu, que du liquide gâché, mais figure-toi que je vais le penser assez fort...
Pourrait-elle entendre que quelle que soit son intensité,  sa douleur finirait par s'estomper, qu'elle en reviendrait à en sourire un jour et qu'elle finirait par la trouver bien exagérée cette douleur exprimée? Pouvait-elle entendre que tout passe? Les amours, les hommes, les souffrances. Pouvait-elle entendre que le temps se charge de tout?
Dans toute une vie, que faisons nous d'autre que rire ou pleurer? Et parfois les deux en même temps. Qui a, au moins un jour  aimé, sait bien ce que je veux dire... Avec avoir vient très vite le désir ou la peur de perdre. Les deux reviennent au même.
Maintenant, je suis à peu près certain, vois-tu ma belle, que les gens sont interchangeables. A condition que tout ça se tienne un peu, que ça reste dans le même panier, dans un environnement pas très éloigné, dans une banlieue proche. Si je suis avec une telle, je pourrais tout aussi bien être avec une autre qui, elle même, serait très heureuse avec un troisième... Regarde bien autour de toi, lui ai-je dit, et change les couples, vois bien si certains ne s'accorderaient pas aussi bien avec d'autres... Les bras dans lesquels tu te jetais hier se sont fermés mais il y a des milliards d'autres bras prêts à s'ouvrir. Ne les ignore pas! Tout cela, le temps s'est bien chargé de me le faire savoir... Et tu es en train de l'apprendre, toi aussi, jolie demoiselle qui pleure sur un pont. Elle a reçu ces mots comme si je lui avais offert une quenelle d'aloé véra.
Son visage s'est éclairé, elle a alors relevé la tête.

En vrai, elle souriait, déjà, au très beau jeune homme qui, vers eux, là-bas, s'avance...





14 commentaires:

Brigetoun a dit…

son sourire m'a surpris un temps(qui a jamais été consolée par ces raisonnements, au moins sur le moment ?), mais ce qui le provoque arrive vite, brièvement, en jolie chute

Lautreje a dit…

le fleuve en rigole encore ! ainsi coule la vie ...

Anonyme a dit…

(je vais rattrapper mon retard en commençant par cette crocodile).
Tiens, "il " ou "elle" c'est pareil. On dit crocodile, point. Juste à nager dans le fleuve, peu importe ce qui y tombe, surtout les larmes, ça, la croco adore, c'est sa petite cerise sur le gateau. Elle n'aime pas quand le type intervient sur le pont et que la fille se met à sourire. Un jour elle montra sur le pont et pleurera toutes ses larmes de croco, et si le beau jeune s'approche, alors ils verront tous ce dont elle est capable ... avec sa longue natte brune qui apparaitra soudain.

slev

Tilia a dit…

"les gens sont interchangeables"...
Tiens, tiens ! comme ça on serait tous des clones les uns des autres...
Voila une idée qui ne me plaît guère, je préfère en rire qu'en pleurer !

signé Odile

Captcha : hylogyr
comme illogique et hilarant
hihihi ;-)

chri a dit…

@Tilia: Pas des clones, non mais des proches!

chri a dit…

@Tilia: Pas des clones, non mais des... voisins proches, des amis, des liens quoi...

véronique a dit…

Je ne peux m'en empêcher Chriscot, de copier/coller ces paroles là .. mais un doute sur la fin " avec le temps on n'aime plus" .. envie de dire on aime autrement ! mais difficile d'anticiper quand on est au fond du gouffre de cette douleur là, de ce manque, de cet abandon ! .. beaucoup n'en reviennent pas.

" Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie le visage et l'on oublie la voix
Le cœur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller
Chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
L'autre qu'on adorait, qu'on cherchait sous la pluie
L'autre qu'on devinait au détour d'un regard
Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit
Avec le temps tout s'évanouit

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
Même les plus chouettes souv'nirs ça t'as une de ces gueules
A la gal'rie j'farfouille dans les rayons d'la mort
Le samedi soir quand la tendresse s'en va toute seule

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
L'autre à qui l'on croyait pour un rhume, pour un rien
L'autre à qui l'on donnait du vent et des bijoux
Pour qui l'on eût vendu son âme pour quelques sous
Devant quoi l'on s'traînait comme traînent les chiens
Avec le temps, va, tout va bien

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie les passions et l'on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid

Avec le temps...
Avec le temps, va, tout s'en va
Et l'on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l'on se sent glacé dans un lit de hasard
Et l'on se sent tout seul peut-être mais peinard
Et l'on se sent floué par les années perdues
Alors vraiment... avec le temps... on n'aime plus"

chri a dit…

@Véronique: Certains n'en reviennent pas d'autres en reviennent très bien et pourtant la souffrance a pu être profonde et forte et d'autres, aussi, les plus nombreux aiment à nouveau... Un(e), différent(e), un(e) autre, pas pareil que le premier mais pas loin et tout recommence d'une autre manière mais "ça" recommence... Jusqu'au bout...
Si c'est pas être optimiste, ça!

chri a dit…

@Véronique, Ferré a sans doute voulu écrire on n'aime plus, celui là ou celle là mais il n'a rien dit sur le/la prochain(e).

odile b. a dit…

Mon prénom me gêne un peu pour intervenir... Si je verse une larme, on ne me croit pas, et si je ris, on me lance un grand : "Jeu teu couocodile" ! Alors, je choisis de laisser l'eau passer sous le pont... Avec le temps, allez savoir...

Anne Vanderlove chantait :
"Il pleut
Sur le jardin, sur le rivage
Et si j'ai de l'eau dans les yeux
C'est qu'il me pleut
Sur le visage."
Et elle terminait par :
"Qu'on me laisse à mes amours mortes!
Qu'on me laisse à mes souvenirs
Mais avant de fermer la porte,
Qu'on me laisse le temps d'en rire.
Le temps d'essayer d'en sourire"

Le soleil, ça sèche les gouttes de la dernière averse et ça transforme l'eau de mer en gros sel et, avec le gros sel, la soupe est mois fade...
Pourrr sûrrr !

Un bon week-end à vous, Chriscot, au soleil !

chri a dit…

@Merci beau cou, Odile mais zici, ce ouiquènde il pleut des larmes de... Caïman!

chri a dit…

@Odile: Merci de vos voeux, les miens en boomerang.

marcel a dit…

C'est vrai que croque Odile, c'est de circonstance. Qu'en dirait DSK ?

chri a dit…

@Marcel: Attendons de savoir s'il a vraiment tenté de croquer quelqu'une le croco....

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