22 mai 2011

Deux gars de la côte.

Mi Mai, voici venu le temps des balades en vélo. Mi Mai-fin Juin, et un peu en Septembre, c'est la durée de ma saison cycliste. Au même titre que les professionnels j'ai une période de balades à vélo et c'est maintenant. Mi Mai.
Avant il fait trop froid, après il fait trop chaud. On peut comprendre aisément que mon souci premier est de  préserver l'intégrité physique de l'athlète...
Comment ça une saison bien courte? C'est en plein milieu de l'époque des cerises, puis des abricots et enfin des amandes fraîches... Pour Septembre ce sera le temps des figues, des noix et noisettes... Il faut de sérieuses motivations pour arpenter la région en bicyclette à pédales.
Donc hier, première sortie. Je décide pour le tour, l'habituel. Enfin, je décide... Je suis parti sur le coup de la fin d'après midi, disons que je me suis collé un coup de pied aux fesses vers seize heures trente, j'ai regonflé les pneus de l'engin qui, tout l'hiver était resté accroché dans le garage, j'ai viré le compteur dont la pile était morte, j'ai lustré mes mollets, les deux, et je suis parti. Non, je n'ai pas enfilé de casque, je laisse ça aux professionnels et puis, fidèle à Pierre Légaré, je pense, comme lui, que le casque c'est DANS la tête qu'il faut le mettre... Il faisait encore doux, voire chaud. Une mise en jambes sur du plat, vent sur les lombaires, un petit mistral complice, Je n'avais rien prévu comme parcours, je me suis dit on verra bien où tu en es, ne vas pas t'enferrer dans un truc impossible à suivre, garde-toi la possibilité de faire demi-tour si l'envie t'en vient. Je suis d'une bienveillance à mon égard qui, parfois s'approche du complice... Du raisonnable... J'ai assez bien fait. C'était dur.
C'est toujours dur une reprise, on ne devrait jamais s'arrêter. C'est ce qu'avaient bien compris les grands patrons du début de l'autre siècle pour éviter les souffrances des reprises, ils ne donnaient pas de congés aux ouvriers et ne s'enrichissaient pas moins. Les fortunes de ces familles, amoncelées sur la sueur et la peine... Croyez vous qu'ils soient morts de honte, les descendants? Que nenni, regardez les, ils ont encore de la bave aux lèvres...
Voilà ce que je me disais comme ânerie en pédalant, j'avais une vague excuse,  j'étais en hypoxie. Pas comme certains qui dégoisaient des bêtises à tout bouts de champs. Et ces derniers jours on en avait entendu des trains de cargos...
Après le plat, une première côte, celle qui longe le golf... Ah, il y en a certains qui choisissent le bon sport... Se promener sur une herbe rase, assis sur le siège mou d' une petite voiture électrique et en descendre de temps en temps pour, avec une canne filer un coup sur une balle qui n'a rien demandé à personne, remonter dans son engin et recommencer toute une après midi entière... Une belle façon de ne pas voir sa vie passer.
J'arrive au sommet, une petite bascule gentille et ensuite l'attaque de la vraie deuxième côte qui mènera là-haut, sur les hauts de Saumane, face au Ventoux dans le lointain comme un appel: Quand est-ce-que je te vois sur mes pentes? Quand viens-tu me grimper?
Dis donc, toi, le chauve, tu ne lis pas les journaux? On va éviter certains termes si tu veux bien, et puis tu es trop haut et je ne prends aucun produit illicite et je n'ai pas encore besoin de mourir. Voilà ce que je lui répondais, au grand pelé.
Je filais mon petit quatre à l'heure, la vitesse en marchant d'un poney malade ou d'un enfant regimbeur, j'étais sur le plateau moulinette quand j'ai entendu leurs souffles réchauffer ma nuque. Ils étaient deux, ils parlaient fort et pédalaient vite. Ils avançaient, eux. Ils arrivaient à ma hauteur. J'en ai entendu un dire: "Dans l'autre sens c'est moins difficile..." Ma parole, ils se payent ma tête, ces deux crétins. Ils m'ont dépassé en soufflant comme deux baleines blanches poitrinaires, déguisés en coureurs du Tour de France, des maillots de cyclistes d'une discrétion relative, rouges et blancs avec une bonne cinquantaine de marques floquées dans le dos et sur leurs cuisses qui étaient sèches comme des cosses de pistaches, leurs grosses veines bleus gonflées d'un sang probablement impur... Ils traçaient comme des super étendards à roulettes et quand ils se taisaient on entendait comme un sifflement dans leurs sillages, il y avait même des tourbillons de poussières qui naissaient de leurs pneus arrières. Ils ont disparu vite fait au premier virage. Avec leurs casques et leurs lunettes futuristes, je n'ai pas vu leurs visages. Ils m'ont laissé rouge comme un camion de pivoines... Autant d'effort que de colère.
Je me suis reconcentré sur ma souffrance et mes quatre pauvres malheureux kilomètres par heure. J'ai fini par arriver en haut de la côte. Ils étaient encore là, mes deux champions imbéciles posés sur leurs belles bécanes en carbone. Ils buvaient à même leurs gourdes, ils avaient déserrés leurs casques et à mon passage, j'en ai entendu un lâcher clairement: 
__Déjà... Pas trop tôt...
Les benêts, j'ai pensé. Je ne me suis pas arrêté, j'ai entamé la descente vers Saint Didier, son cours ombré de platanes centenaires, sa fontaine d'eau potable fraîche de source, ses bars. Je me suis assis à une table et j'ai demandé deux vichy orgeat que j'ai engloutis en une fois.
Ils sont arrivés peu après, les deux merles. Ils se sont assis à la table voisine. L'un m'a rebranché: 
__Alors, cette côte, elle est raide hein? Elle est dure quand on débute, non?
Je les ai regardé, l'oeil brillant. Je tenais ma vengeance... J'ai pris un temps pour envoyer:
__C'est dur mais je ne suis pas mécontent de moi... Quinze jours seulement après mon amputation de la jambe droite, ce n'est pas si mal... 
"Quand tu as ouvert une brèche, pousse ton avantage!"  Fun Tsu, l'Art de la bataille...
J'ai tenté le coup de grâce:
__Bon, c'est pas tout ça les gars, je suis ravi de parler avec vous, qui êtes si sympathiques, mais j'ai encore deux cent cinquante deux bornes à plier avant de rentrer chez moi... Allez salut, bon samedi!
Et je les ai plantés là.


Malheureusement, je n'ai pas pu voir leurs deux visages d'abrutis taquins cyclistes, de honte, se décomposer.
C'est une des  limites de l'exercice...






10 commentaires:

Brigetoun a dit…

me sens très loin de me convertir à la joie du vélo

Tilia a dit…

Trop superstitieuse pour écrire une réplique pareille, mais sûr que c'est le truc qui tue !

véronique a dit…

je lis votre histoire et qu'est ce que c'est bon de rigoler, "que je m'dis" ... je n'arrive pas à savoir si vous êtes meilleur dans le mélo ou dans le rigolo Chriscot !
en tout cas, une fois encore, pas besoin d'images .. j'arrivais même à vous suivre avec ma bicyclette électrique !

nathalie a dit…

Merci pour cette réjouissante histoire. Aaaah ces répliques dont on rêve, celles qui cassent, et qui cassent et qui cassent !

Généralement elles me viennent quelques heures plus tard, je les réserve à mes amis.

J'ai la faiblesse d'espérer que d'autres ont l'esprit plus vif, pour nous venger tous !!!!

(je me suis reconnue dans l'effort, sur le plat le long du canal de Carpentras - c'est dire où j'en suis, moi !)

chri a dit…

@Nathalie Ces répliques, je les envoie ici! Mais le Canal de Carpentras... ça monte dans un sens, par le fait...

@Véronique: Savoir que j'ai fait rire me fait sourire.

@Tilia: J'aurais aimé avoir l'occasion de l'envoyer!

Anonyme a dit…

Faut pas faire ch... Légaré sur son vélo, il a un casque spécial coup d' boule.

slev

Nathalie H.D. a dit…

C'est vrai, un canal ça monte dans un sens :-)
Je me sens mieux tout à coup.

J'aime bien l'idée du casque coup de boule. Non que j'en aurai jamais l'usage j'espère. C'est juste l'idée...

chri a dit…

En Provence, du casque pétanque, on doit s'en servir quand on taquine le petit?

Christine a dit…

Ca s'appelle une chute et elle est réusssie!

Je déteste le vélo, Chri. J'ai dû épuiser toutes ses joies (et ses douleurs) pendant mon enfance: j'ai fait les quatre cents coups sur mes biclous (j'en ai brisé deux tout de même! plus celui d'un copain "La Riette" qui est revenu de nos folles escapades formellement interdites par nos paterne avec sa monture en pièces détachées à cause de moi). Je n'aime plus ça: et je ne sais trop pourquoi. Peut-être pour ne pas ruiner tous ces souvenirs douloureusement délicieux ou simplement parce que je ne retrouve plus la saveur et les parfums du sirop de ma campagne normande!

J'ai entendu Zaza Fournier hier soir très tard sur une radio: elle vient de sortir un album pas mal qui n'a rien à voir avec le premier qui parait-il était réaliste et dont je n'avais jamais entendu parler. je suppose que le titre Les Passants que tu as mis dans ta liste Deezer en fait partie?
Bonne journée et en cette Ascension, ménage ta monture...

chri a dit…

@ Christine Je suis d'accord, le vélo ça fait mal aux jambes mais on avance et voit du paysage... Les passants est un titre de Zaz mais pas de Zaza Fournier que je ne connais pas encore très bien.
Merci de tes voeux de we. Ce sera sans bicyclette, ils nous ont mis Novembre après Mai cette année...

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