21 septembre 2017

Le beau.


Pour tout dire, c’était un type plutôt désagréable, mais quand on s’en rendait compte, il était déjà trop tard, on avait succombé, on était sous le charme.
Il avançait dans la vie comme un renard se balade dans un congrès de poules...
Ah ça, il était séduisant, on ne pouvait pas le lui reprocher le contraire. À ce propos, il avait quand même un gros handicap c’est qu’il était parfaitement au courant de la séduction puissante qu'il diffusait, tant et si bien qu’il n’avait jamais à la forcer. Il savait l’effet que produisait son regard et pas seulement sur les jolies femmes. Il savait que c’est ce qu’on repérait chez lui en premier, avant même d’avoir eu affaire à son sourire, bien avant, d'avoir aperçu son allure athlétique, élancée, bien avant le plat de son ventre surprenant pour un gars de cet âge. Il savait sa décontraction nonchalante, son élégance naturelle et sa mobilité féline. Il pouvait encore marcher des heures, courir des heures, rester debout des heures si c’était ce qu’il convenait de faire sans même que ses chevilles enflent d’un centimètre. Une circulation retour exemplaire. Il ne se trompait pratiquement jamais ni de lieu, ni d’acte, ni de phrases, ni même de mots. N’en eût-il fallu qu’un seul, il se serait servi du bon...
Les vêtements qu'il portait tombaient juste même s'il ne s'habillait pas haute couture. Il était du genre à s'enfiler un sac poubelle et avoir fière allure. À part pour les ordures, ce n'est pas donné à tout le monde.
Il était affable avec les affables, distant avec les distants entreprenant avec les timides et apaisant avec les coléreux. Il n'était pas seulement adapté, il était l'adaptation.
À toutes les situations, à tous les milieux, à toutes les circonstances.
Pour couronner le portrait, il pouvait se poser devant un piano, voire en jouer brillamment quelques mesures, il ne maniait pas si mal une raquette de tennis et tripotait joliment le Rubik’s cube. Il aimait les échecs, il pouvait s’asseoir à une table de bridge sans être ridicule et au scrabble il gardait rarement le Q sur sa réglette. 
Il savait, au goût, faire la différence entre un Saint Estèphe et un Châteauneuf du Pape même s’il préférait le Sancerre rouge. À condition d’avoir quelques œufs et le reste  sous la main, il vous servait en deux temps trois mouvements une omelette aux truffes et à la crème, il savait préparer les jeunes pousses d’épinards et vous levait des filets de sole sans les esclaper. Il n’avait aucune idée de comment élever un enfant mais dès qu’un chat était dans la pièce où il entrait il cherchait ses genoux pour s’y lover en ronronnant comme un diesel au point mort. 
Il faisait partie de ces types qui n’ont peur de rien, ni de personne, pas même d'eux. Eux ne peut pas les intimider puisqu'ils l’aiment.  Dix minutes après être entrés dans un bar inconnu, ils sont capables d'aller derrière le comptoir, servir des coups à tous leurs nouveaux amis pour la vie entière. Même si l’existence ici ne dure que deux, trois heures. À l'aise avec un demi, une coupe, un shoot, une poire ou un ballon de côte... Ce que pas grand monde savait, il ne s'en vantait pas non plus, c'est qu'il avait toujours sur lui un petit carnet recouvert de cuir noir où, l'histoire terminée, il notait scrupuleusement de zéro à dix chacune de ses conquêtes avec une appréciation pour chacune ou presque...
Il ne rappelait jamais mais on l’appelait toujours. J’aurais aimé être lui, mais je n'aurais pas voulu lui ressembler. Au fond, à cause de tout ce qu'il était, je le détestais, viscéralement. Mais pas seulement. Pour dire vrai, je le haïssais surtout parce qu’il faisait naître en moi une violence qui me faisait peur. 
En sa douloureuse présence, je n’avais qu’une envie, celle le gifler abondamment et, ou de lui mordre les oreilles et le nez.

Aussi, je me demandais souvent : si j’étais lui est-ce que je m’aimerais davantage ?


Aucun commentaire:

Publications les plus consultées