25 septembre 2009

Chute

J’étais pour quelques jours dans cette ville qui me parlait au plus profond, puisque j'y étais né en son cœur. La plus belle, pour moi. Enfin, une des plus belles, pour moi et quelques autres.
Celle à qui je pensais souvent, en tous les cas. La ville de référence, la capitale. LA ville. Une merveille traversée par le fleuve. Une, aux ciels changeants, une, aux architectures imposantes, une, aux quartiers comme autant de villages. Une, aux endroits sortis tout droit d'un chapeau de magicien comme les jardins du Palais Royal, la Place des Vosges... Ah... les rues de Buci , de Seine ou du Dragon et mille autres, les passages Brady ou Jouffroy... Une longue balade le long des quais de l'Île Saint Louis... Oh le Bon Marché, un paradis ouaté sur terre...
Bref, Paris, l'amère veilleuse, comme écrit l'autre.
Hier, je m’y promenais le nez au vent comme un chien truffier s’affaire entre les souches des chênes. J’y baguenaudais, les yeux de partout, les oreilles en alerte, entrant dans la moindre cour ouverte, m’arrêtant aux carrefours, me laissant choisir par les avenues, au hasard, m'abandonnant, m'y baladant comme on doit le faire sans d’autre but que la balade. “ Le but est le chemin” et tout le cabas confucius, enfin, vous voyez le genre.
Le souci, c’est qu'au bout d'un moment, ce type de promenade donne soif. Alors, après deux bonnes heures de déambulations, je suis entré dans un rade, un trocsir, un bistrot quoi. Mais, attention, je ne suis pas entré dans le premier café venu. Je l’ai choisi avec soin. Je voulais de l’odeur de friture, de la sciure par terre, et du rouge au comptoir, pas un de ces endroits aseptisés pour touriste anglais où on trempe ses lèvres pincées dans un thé froid, les fesses posées sur un coussin molasse. Je l’ai trouvé assez facilement, Le Balto… Au coin de le rue de l'Arbre sec et de la rue Saint Honoré. Mes grands parents avaient vécu pas loin, j'étais né à deux pas, j'allais à la crèche à trois, je faisais du patin à roulettes à quatre. C'est vous dire si le quartier me disait quelque chose. C'est vous dire si ce qui me coulait dans les veines sentait davantage la Seine que la Sorgue! J’y suis entré. On y fumait encore, en douce, dans le fond…
Il y avait dedans des parisiens de souche, ça se voyait au fait qu’ils auraient tous pu venir d’ailleurs, voire d’assez loin. Certains étaient en bleus de travail, d'autres débraillés, d'autres encore en costard, un vrai troquet, quoi. Une tireuse remplissait des ballons de côte en veux-tu en voilà, les demis s'enfilaient d'un trait et la machine à café n'en finissait pas de souffler. Ça parlait fort, ça s’engueulait, ça s’invectivait et ça riait pas mal, aussi. C’était vivant.
Au zinc, debout, un pochtron, une grande gigue, qui avait dû dépasser, et de loin, les niveaux, dangereux mais plutôt élégant, mince, grand, les cheveux poivre se plaignait de sa moitié en braillant et en prenant tout le monde à témoin, leur tapant sur les bras à chaque rasade, un peu fâché avec la langue, sans doute à cause de ses taux:
___ Ya eu un temps où on s’aimait, elle et moi. C’est à moi qu’elle doit tout, sans moi, elle est rien. Et si vous saviez ce qu’elle me fait vivre, aujourd’hui… Elle me lâche pas , une vraie sangsue, du soir au matin et, maintenant, c'est nouveau, elle veut ma mort mais je me laisserai pas faire, je me battrai jusqu'aux bouts, si j’avais su, je me serais jamais mis avec elle, c'est le diable, c’est une teigne, elle me ne lâchera pas. Si j’en suis là c’est de sa faute, c’est la volonté de cette femme…”
Alors, n’en pouvant plus d’être dérangé dans sa lecture, un type, assis au fond du bar sans lever les yeux de son journal lui a balancé:
“Hey, Villepin de mes deux, va lui dire en face à maman! Enfermez vous dans une pièce et réglez votre affaire entre quatre-z-yeux! Arrête de nous bassiner et de nous pleurer dans les oreilles, tu nous saoules à pleurnicher devant tout le monde comme une fleur coupée…”
D’une seule voix silencieuse, tout le bar a pensé: Bien envoyé…

Table jaune 2 tasses

2 commentaires:

Véronique a dit…

une scène de cinéma que vous nous contez là Chriscot !

( chut, mais dites moi, la prochaine fois que vous y montez à la capitale, faites moi un tout petit signe ... )

chri a dit…

@Véronique: Promis, je ne ferai pas comme vous quand vous descendez vers ici...

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