13 octobre 2009

Sa main.

Lui, menaçant:
Ma main! Dis, ma main, petit morveux, tu la veux, ma main?
J’avais pas vraiment envie de répondre à cette question, je ne voulais pas lui faire plaisir, voilà tout. Et y répondre c’était lui offrir cette joie. Par dessus tout, j'étais perdant d'avance, comme d'habitude. Soit je disais non et ils était conforté, alors, j’y avais droit, soit oui et je me la prenais. J’ai choisi de me taire. Evidemment, il n’a pas aimé mon silence. Il y a entendu du mépris. Bien sur que j’en avais mis mais je l’avais caché putain bien! Il l’a débusqué ce teigneux et sblam, une beigne. Une seule. Aucune autre n’a suivi, pour cette fois. Parce qu’il avait frappé trop fort? Qu'il s'en était rendu compte? Qu'il s'était fait peur? Non, non, c’était comme les autres, mais après elle, d'un coup, il s’était reculé. Une preuve qu’il n’était pas encore entré en colère. Il ne fallait pas qu’il y arrive. Ne pas pleurer, ça ça le fâchait direct, ne pas pleurer. Je savais par habitude de quoi il était capable quand il atteignait cette marche là, celle de la rougne.
Et voilà, on risquait ça souvent. Ce qui c’était annoncé comme une gentille après-midi tranquille, entre nous, on ne peut guère faire plus peinard, allait se transformer, comme souvent en tornade tumultueuse. Les éléments, enfin ses deux bras, allaient se déchaîner. Eviter ça, le faire redescendre. Je me suis approché de lui et je lui ai pris une main, une des deux, celle qui pendait, celle qui n’avait pas frappé. Et je l’ai serrée. Il a bien essayé de l’enlever, mais il n’a pas pu. Je la tenais trop fermement. Alors, j’ai pu m’approcher de lui. Il s’est tourné vite fait mais j’ai vu une larme couler d’un de ses yeux. Je l’ai vue.
On y retourne? J’ai dit, mine de rien.
Il a grogné un truc que j’ai pas très compris mais ça voulait dire: Brandon, on rentre, t'as des trucs à faire pour ces cons de l'école...
J’ai fait: Oui, on rentre, d’accord. J’ai un peu froid. Je savais qu'il avait soif à nouveau, mais j'ai pas voulu lui parler de ça. Pas maintenant.
Ce que je me demandais en roulant c’est s’il avait vu que je l’avais vue, sa larme. Je préférais que non. C’est pour ça que j’ai été si vite d’accord pour rentrer. Ne pas le fâcher. Faire que l’armistice dure un peu. Toute la soirée? Ne pas non plus exagérer. Sans qu’on sache vraiment d’où, ça revient vite chez ces gens là et moi, lui, je le connaissais depuis douze ans. Faut dire, à sa décharge que je suis pas facile, que j'en fais des conneries, mais douze ans de gifles, ça commence à faire un bail quand on en a treize.
Je suis remonté sur mon biclou et j’ai foncé devant lui, je lui ai ouvert la voie.
En pédalant comme un forcené, une rage dans chaque mollet, en serrant les dents, je me disais: Bien sur, qu’il m’aime, mon père!
A sa façon, mais il m’aime, je le sais, j’en mettrais... sa main au feu.

Vélo Jaune L'isle

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Même sans en connaître l'auteur, j'aurai dit Je ne vois pas qui d'autre aurait pu écrire ça comme ça.
Ma main à couper.

Slev

chri a dit…

@Slev: Merci, ci! Il y a des notes qu'on montre alors qu'on n'en est pas tout à fait content et puis d'autres... Celle là, je ne dis pas qu'elle est bien, mais je l'aime beaucoup!

amichel a dit…

"L’homme pense parce qu’il a des mains."
De la nature
Citations de Anaxagore

et panse aussi ici

Anonyme a dit…

Cheramichel, c'est Grégoire de Nysse qui a écrit cela. Un détail, aprés une note rude et elliptique.

chri a dit…

@Anne D'Anaxagore ou de Nysse c'est bien pansé.

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