06 octobre 2014

Des senteurs.

Lui, il est allongé sur le côté dans une chambre insipide, les bras bleuis par les aiguilles, reliés à une poche au-dessus, le corps amaigri, simplement recouvert d’un drap d'un vieux jaune. Elle, elle est assise tout près du lit et lui tient la main, ils se parlent en deux souffles ténus et de temps en temps, entre deux, il esquisse, un vague sourire.
___ Oh mon Dieu ! Il y en a tant et tant…  Tu sais, il y a celle d’une route goudronnée après une pluie d’orage dans la moiteur de l’été, celle d’une plage sur la côte atlantique après le passage d’une dépression, celle de la peau d’un ventre de bébé sorti du bain, crémé de frais, celle d’un bouillon de queues de langoustines au gingembre bloblotant en casserole, des marais salants se vidant à la descendante, d’une grappe de seringats, ou de chèvrefeuille ou de lys en fleurs, des suaves alizés portant en eux les senteurs épaisses d’une végétation tropicale, d’un plateau d’oursins juste ouverts en deux, celle d’une sauce tomate maison réduisant à feu doux dans le noir culotté d'une vieille poêle, d’un bouquet de romarin juste coupé, de la peau tendue d’un cou de cheval caressé, d’un petit bois de buis sur pieds, d’une épicerie ancienne, du parmesan fondant sur des raviolis fumant de chez Perrin, celles du maquis, puissantes, enivrantes, qui nous saisissaient aux narines quand nous approchions de l’île, des ruelles d’un petit village de Margeride un soir de début Novembre, celle d’une petite victoire d’orgueil, si vaine, si inutile, celles d’une bergerie de chèvres en Lozère, d’un cabanon d’ostréiculteur des maritimes Charentes, du raisin piétiné au moment des vendanges qui envahissent les villages de viticulture, d’une prairie dense d’herbe grasse de Savoie haute, d’un verre à peine servi d’un Saint Amour guilleret, d’un sous bois gorgé de champignons au début d’un novembre bienveillant, d’un filet mignon de porc aux coings transpirant en cocotte, de la neige à peine tombée sur la plaine, celle des feux de broussailles ou de feuilles mortes et celles de cheminées confortables aux soirs humides, d’un four à pain chaud gavé, en pleine cuisson, d’un vin liquoreux ambré au fond d’un verre tulipe, d’une herbe fraichement coupée, de l’eau vive de la rivière en bas, d’une pinède sur Sainte Marguerite au cœur d’Août, de la soupe au lard et légumes de l’Antoinette qui mijotait doucettement le temps de nos balades, celle du lac où nous nous baignions, de la maison vide tout l’hiver et dans laquelle nous entrions au Mai triomphant, de ton parfum d'un créateur japonais dont je disais qu’il sentait l’huitre et l’air marin, celle de ton cou, du creux de tes deux coudes, du plat de ton ventre et de l’intérieur délicat de tes mains douces… 
Ce sont toutes celles-là qui vont me manquer le plus et quelques autres…
Et, oui, oui, même celles des volutes bleues de blondes que je n'aurais jamais dû allumer…




13 commentaires:

Laurence Chellali a dit…

Merci pour ce délice de sensations ! A garder en mémoire, toujours ... :)

chri a dit…

@ Laurence Plaisir, Laurence, plaisir pour moi à aller chercher ce qui sent... bon.

Véronique a dit…

et oui les senteurs ... premier de nos sens mis en éveil ! juste à notre naissance.
L'odeur de notre mère.
Et pourquoi certaines odeurs justement font rejaillir des souvenirs ..
moi, c'est l'odeur des jardins d'orangers ou bébé ma mère me promenait, loin. Et puis, petite fille, l'odeur des sacs papiers dans lequel mon gouter m'attendait.
Allez savoir pourquoi ... en somme des bons souvenirs.
il est superbe votre texte aujourd'hui ... les deux derniers sont des merveilles, vous mettez nos sens en alerte :o)

chri a dit…

@ Véronique Oui, le sens dont les traces s'impriment le plus puissamment dans nos caboches... Merci Véronique...

M a dit…

Celle des livres, celle fauve et délicate du chat... tant et tant ...
Mais le contexte ....

chri a dit…

@ M Je ne voulais pas faire trop long... Mais oui, plein d'autres...

Tilia a dit…

Un texte à afficher dans les bureaux de tabac.
Heu.. j'oubliais, c'est déjà marqué partout "le tabac tue" !

Question odeurs, il y a les bonnes et les mauvaises. Tout le monde ne les ressens pas de la même façon.
Les pommes par exemple, les "pink ladies" (dames roses en VF) précisément, celles que mon cher et tendre préfère et qu'il entrepose dans le séjour là où se trouve mon ordinateur. L'autre jour, il les avait posées dans le compotier de la table centrale, juste derrière moi. Et bien j'ai dû les exiler sur la petite table au fond de la pièce, tellement leur odeur d’acétone me déplait. Lui, il trouve qu'elles sentent bon, moi pas !

chri a dit…

@ Tilia Je vais aller acheter des Pink Ladies et pas seulement pour leur nom!!!

Anonyme a dit…

celle des poivrons qui grillent, du café du matin dans l'air gavé de pluie...
Bon, je te le dis, tu fais chier avec ta façon de me plomber mes petits matins. Je viens là me remettre d'une dure semaine, et paf, comme d'hab.
Marie.

chri a dit…

@ Marie Mais quoi c'était que du bon celui-là!

odile b. a dit…

Cloué sur un lit, dans le noir, perdu dans des miasmes putrides, sans voir et sans entendre, retrouver la subtilité des senteurs imprimées là, au fond de soi : voilà le meilleur, le plus secret, le plus beau, le plus subtil, le plus intime des remèdes pour la Grande Évasion...
Des trésors cachés qui remontent en surface.
Une belle page !

odile b. a dit…

PS
Avant de faire la visite du quartier des tanneurs, on vous remet une poignée de menthe fraîche, en guise de masque à gaz... :-/
Le joli sac en chevreau que j'en ai rapporté va me coûter cher en parfum... :-//

chri a dit…

@ Odile Merci pour le belle page! Un sac en chevreau? Ca sent son petit scandale, ça... Lui faire passer l'hiver dehors, à l'abri, mais dehors?

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