11 avril 2015

Les lésions délicates.

Pour les impromptus littéraires de la semaine. Le thème était la  délicatesse des liaisons.


C’est aussi de ça dont j’étais tombé sur le champ fou, foudroyé, raide, amoureux. 
D’elle, en premier, je n’avais vu que cette minuscule trace un peu plus rouge juste sous la ligne noire des sourcils, sur la peau délicate et presque blanche des paupières. D’elle, d’abord, je n’ai saisi que ça, une petite cicatrice de rien, trois ou quatre points tout au plus, un trait fin de deux malheureux centimètres, trois nœuds doubles, quelques grammes de fil en somme et c'est cette lésion délicate qui a bouleversé toute ma vie qui, avant ça, avait l'allure paisible d'un champ fleuri d'Avril.
Ce reste de blessure légère, intensifiait son regard, le soulignait, faisait décoller l'imaginaire.
Elle, celle qui la portait  était une amie de ma future femme qui passait à la maison en savoir un peu plus sur le mariage dont la date s’amenait à grands pas. Je ne l’avais jamais vue auparavant, enfin je ne l'avais jamais remarquée ou alors je n’y avais jamais prêté attention mais ce soir là, pardon...
J’étais dans l’entrée, j’avais ouvert la porte au premier tintement, elles étaient là, belles dans la lumière de l’entrée, souriantes comme deux saintes béates,  elle et sa cicatrice. Alors, je les ai vues et un pan de ciel m'est tombé dessus, j'étais pétrifié, brulé, consumé. J’ai bafouillé : bonjour et pour le bafouiller, celui-là, il en fallait quand même. J’ai réussi après quelques tentatives à articuler un malhabile : vous venez quoi pour ?
Elle a chanté : Je suis une vieille amie d’Aline, je viens aux nouvelles pour votre mariage, je peux la voir ? Elle est là, n’est-ce-pas j’ai vu sa voiture.
Oui, entrez, installez vous faites comme chez moi. T'étais cuit mon pauvre, elle venait de s'emparer de ta vie au cas où tu ne l'aurais pas remarqué. Sans avoir rien fait, juste en étant là, devant toi, elle te tenait. Serré. J’étais en nage. Je lui ai proposé un thé ou autre chose ou tout ce que tu vous voulez, je te vous l’offre. Demandez. Elle s'est assise sur le rebord du canapé, le dos bien plat la nuque droite, les jambes serrés, les pieds un peu sur le côté... Une danseuse je me suis dit. Elle a posé son sac sur les coussins et  elle m’a regardé avec un demi sourire puis, elle a exécuté, sur une musique silencieuse, une petite danse gracieuse et magique avec deux de ses mains et un chignon express un peu ébouriffé s’est dressé sur sa tête comme une sculpture contemporaine, élaborée. À grimper. Je ne suis pas tombé amoureux, je me suis dressé, élevé, agrandi en amour pour elle. Là, de suite. Ici, dans cette pièce. Elle était belle comme un jour neuf.  Et pourtant, mes genoux bien moins vaillants que mon coeur, m’ont lâché, j’ai glissé vers le sol, le dos appuyé contre le mur et je l’ai regardée, c’était joué. Mais c'est la vie qui est faite ainsi,  on est exposé en permanence, on ne peut jamais se croire à l'abri. De rien. Tout peut toujours arriver, tout le temps. Je voyais bien qu’elle me dévisageait vaguement amusée mais dans son regard, il y avait aussi une intensité que, je ne suis pas tout à fait dingue, j’ai bien sentie. 

Deux jours après, dans les pleurs, les cris, les renoncements, les hurlements le minuscule trait qui m’avait conquis et tout ce qui était autour, devenait un mois à peine avant mon mariage, une liaison délicate et ma vie un formidable chant de batailles…






16 commentaires:

Brigitte a dit…

Ou comment la vie peut basculer rien que pour une petite cicatrice ...
Euh ...Sinon des petites cicatrices j'en ai plein... des plus grandes aussi !!!
Nan c'est pour rire .
Bon week-end

chri a dit…

@ Brigitte :-) Bon we aussi!

odile b. a dit…

Heu... encore des jeux de mots...
Lésions Délicates ou... Liaisons Dangereuses ?
ou... LSD (psychotrope hallucinogène) ?
:D

odile b. a dit…

PS
C'es esssprès que y'a deux beux gros soucis dans le bouquet sur la table ???
:D

chri a dit…

@ Odile Je veux de ce que vous prenez!!!!

odile b. a dit…

=> Pour répondre à la question :
- c'que j'prends?
- le temps d'en rire, plutôt que d'en pleurer et en plus, j'prends pas cher !... :D)))
J'allais demander grâce pour les fôtes : "c'es(T) essprès" et "deux be(A)ux gros soucis"... mais je vois que y'en a un, ou peut-être même deux autres, de soucis, en triste état... Si, si : à l'arrière-plan du bouquet, même que ça se voit, en reflet, dans la vitre du buffet, et que les autres fleurs jaunes - des giroflées ? - sont, elles aussi, bien mal en point, et que l'eau du vase mériterait bien d'être changée... La lumière de la photo est jolie, bien sûr, et l'ombre projetée en forme de cœur sur la table tout à fait admirable... C'est très romantique et romanesque de tomber en pâmoison devant une jolie fille, mais pendant ce temps, les fleurs se fanent dans l'eau croupie... :D
À part ça, c'est comment, l'air du "chan(T) de batailles" ???

odile b. a dit…

PS
Pareil que pour les coquelicots, je trouve les soucis bien précoces, à cette saison !

chri a dit…

@ Odile Je ris bien! Merci à vous.. Pour le chant, regardez bien juste avant les cris, les pleurs, les hurlements si ça ne fait pas un vrai chant de batailles ça, je ne sais pas ce qu'il vous faut!!!

:-)

Ghislaine a dit…

Il faut oser c'est courageux de revéler cela !
C'est bien écrit ! j'M

chri a dit…

@ Ghislaine Merci mais ça peut être une fiction, aussi...

Tilia a dit…

Lésions et liaisons, en plein dans le sujet.
Cette fois, pas question de vous le refuser ce texte-là, il est passé haut la main les doigts dans le nez ;-)
Car il le mérite amplement !

chri a dit…

@ Tilia! Avez vu! Merci à vous.

M a dit…

J'adore quand le texte s'étoffe !
C'était l'amie-test, elles sont terribles celles-ci (même si elles n'y sont pas toujours pour grand chose...)

chri a dit…

@ M Oui c'est pratique ici... J'ajoute, j'enlève, je remets, je sale un peu plus, bref je m'amuse... Revenue, donc

Anonyme a dit…

Hé ben, la grande forme je vois. Je vais faire lire ça aux gamins qui me répondent "c'est trop dur" quand je leur file ce genre d'exercice.
Marie.

chri a dit…

@ Marie Merci Marie!!!

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