15 septembre 2016

Soixante quatorze.

Pour Les impromptus littéraires. Le thème était: A partir de cette citation de Henri-Frédéric Amiel "Chaque paysage est un état d'âme", j'aimerais que vous parliez de votre paysage et ou de vos paysages/état(s) d'âme.

À chaque fois que j’en ai besoin, je reviens là.
Je m’installe, me pose et regarde. Ça m’apaise, me distrait et me comble. Au début je fixe droit devant moi. Petit à petit apparaissent, au loin, au dessous du bleu, souvent parcouru de balles de coton blanc immaculé, les courbes des montagnes du Semnoz, puis du massif des Bauges, et, là-haut le sommet du Roc des Bœufs. Alors le regard descend le long de la vallée d’Entrevernes, où, par temps clair, je vois les colonnes montantes des fumées de cheminées de quelques fermes perdues sous le col de la Frasse, jusqu’au château Dhéré d’abord, si massif puis celui de Duingt qui trempe ses douves dans les bleus profonds du lac parcouru par les traces blanches des bateaux …
Alors, je passe des heures au dessus des alpages et des forêts sous mon aile orange,  à voler dans le jardin des buses et des choucas, dans les chuchotements chéris du vent sous la toile.
Je me pose et je suis assis sur le ponton de Talloires, les pieds dans le bleu, un cygne blanc glissant à quelques mètres de moi sans me voir.
Je me pose et je ne suis plus là où je suis, je suis ailleurs, dans le cadre choisi, dans le paysage élu, je ne suis plus en moi, plus ici…
Les planches de Talloires sont un ponton d’embarquement pour ailleurs, pour plus tard, juste pour rendre ici et maintenant supportable.
J’en ai besoin assez souvent en ce moment puisque je vais devoir passer deux ans là, sans espoir de sortir ailleurs que dans la cour de promenade où les murs sont si hauts, si gris.

Deux années entières, une peinture glauque, écaillée pour tout paysage, couloir B, deuxième étage, cellule 74.


6 commentaires:

M a dit…

Ça fait rêver ! Enfin ce serait bien mieux sans cette fichue peinture qui s'écaille...

chri a dit…

@ M Talloires c'est beau et la prison c'est pas gai... Lumineuse, cette participation! Je parle de la mienne évidemment.

Brigitte a dit…

Le paysage est sublime ...mais la cellule ne fait pas autant rêver ..Forcément !

chri a dit…

@ Brigitte A éviter, forcément!

Nathalie H.D. a dit…

Voir le ciel - il ne reste plus qu'à se l'imaginer quand celui de la cour est quadrillé d'un filet.
Talloire, oui, c'est un bon choix. C'aurait pu être un lagon aussi. Ou une plage bretonne. Enfin il faut de l'eau en plus du ciel. Pour moi.

Jolie chute. Mais triste.

chri a dit…

@ Nathalie Je suis d'accord, il faut de l'eau, aussi.

Publications les plus consultées