11 octobre 2016

Sa première.


Un homme d'un certain âge marchait lentement dans une  ville. Il regardait autour de lui comme s'il voulait pouvoir se souvenir de chaque visage croisé, de chaque vitrine aperçue, de chaque sentiment éprouvé. Dans quelques instants, il y serait. Et puis, c'était un lundi après-midi, il s'est assis sur un banc tout près de l’endroit où il avait rendez vous dans le quart d’heure à venir. Il avait toujours tellement peur de passer à côté des choses qu'il était, le plus souvent, en avance à ses rendez vous. Quels qu’ils soient. Celui là, il l'attendait depuis, environ, deux  semaines. Soit quinze jours à ne penser qu’à lui, à ne vivre que pour lui, à n'avoir que lui en tête. Celle qui lui avait donné, il s'en souvenait précisément, était plutôt jolie, rousse aux cheveux très courts, avec de grands yeux verts clairs et une voix posée, assurée et rassurante, si rassurante. 
Quinze jours à en rêver, à s’en réveiller la nuit, à n’en plus pouvoir se rendormir.
Enfin, il y était. Presque.
Nous étions en début de semaine, d’après midi, d’automne… Une avalanche de débuts, quoi. L'homme marquait une pause comme on fait avant de traverser un carrefour. Il s'arrêtait pour regarder autour de lui, il marquait le pas pour prendre le poul, la mesure.
L’atmosphère était sereine, l’air était doux. Les feuilles des platanes de l’avenue commençaient à roussir gentiment, quelques unes se détachaient de leurs branches et s'amoncelaient à venir en encombrer les caniveaux.
Si, en plein soleil on ressentait la chaleur de cette lumière éclatante, on  sentait bien, dans le fond, une fraicheur nouvelle qu’on avait fait semblant d’oublier.
On le voyait aux vêtements portés sur les trottoirs. Pour les femmes,  finies les jupes ou les robes légères, les chemisiers à manches courtes et les sandales à brides fines, les premiers manteaux étaient sortis des armoires et, ici et là, quelques paires de bottes commençaient à arpenter les bitumes. Pour les hommes rien ne changeait ou presque, ils continuaient de s’habiller n’importe comment. L’été faisait comme si, mais personne n’était dupe, on était en train de changer de monde. Les jours avaient déjà considérablement raccourci et, désormais, il n’était pas si rare d’assister au coucher du soleil en rentrant chez soi. On marchait encore dans les rues à  l’heure où le miracle se produisait. Les terrasses se désertaient un peu plus tôt chaque soir et le pas des gens s’était accéléré. On entrait dans une saison où on ne trainait plus le soir.
Il s'est assis sur le banc d’en face pour vivre pleinement l’instant, pour profiter de ces minutes sans rien, pour se réjouir de la lumière si tranchante, de la douceur encore confortable, du ciel sans nuage, de ces minutes de paix après ces dernières semaines si éprouvantes. Il a sorti d'une de ses poches, un paquet de cigarettes neuf, il en a allumé une  qui, à la première inspiration lui a arraché tout ce qui lui servait à respirer. Il ne l'a pas  fumée jusqu'au bout. C'était sa première depuis une bonne dizaine d'années... 
Mine de rien, ici sur ce banc, un homme se mettait en ordre de bataille pour ce qui l'attendait. Si nous allions basculer dans une autre époque, il allait, lui aussi franchir une étrange frontière.

C'est ainsi qu'en début de semaine, un homme s'est assis sur un banc, à la croisée de ses chemins, pas très loin de l’endroit où il avait rendez vous  pour sa première chimio.


12 commentaires:

Christine a dit…

Drôle de rendez-vous. Je ne suis pas sûre qu'on en souhaite de pareils ! L'automne est déjà si symbolique. Heureusement ce personnage-là est tres sensible à cette lumière si particuliere et si douce. A ces changements infimes.

chri a dit…

@ Christine Merci Christine

M a dit…

J'étais partie sur :
"Je ne sais rien de vous
Sinon que la lumière
Que dépose l'automne
Sur votre chevelure
A des reflets si fous
Que les arbres sont fiers
De poser, je soupçonne
Dans la même peinture"
Ou un truc dans le genre (on ne se refait pas)
J'aurais dû le savoir, n'empêche la chute est encore plus dure !!!
Peut-être aurais-je été
charmée ou moins colère
s'il c'eut agi entre autre
je ne sais pas moi, d'un rendez-vous avec
...un inspecteur du fisc ?
mais l'impact aurait été moins... plus... moins radical ?

chri a dit…

@ M Le départ était superbe...

odile b. a dit…

Les premières feuilles qui s'envolent puis tourbillonnent et recouvrent la terre, c'est poétique, romantique, nostalgique. Autant en emporte le vent. C'est la vie qui va. 
Les derniers cheveux, dans leur chute, dénudent la tête, c'est l'tourbillon d'la vie qui va et puis s'en va, d'une langueur monotone... Les sanglots longs des vies au long de l'automne...

chri a dit…

@ Odile Et vous, comment va?

Anonyme a dit…

ça me rappelle un type qui disait "moi, j'ai pas de cancer, j'en aurai jamais, je suis contre".
Marie.

chri a dit…

@ Marie Oui, alors qu'il savait qu'il en avait un.

Tilia a dit…

Plusieurs fois que je reviens lire ce texte et que je me dis qu'une telle chute pourrait être inquiétante. J'espère que ce n'est pas le cas.

chri a dit…

@ Tilia Non pas pour moi, mais pour un tas d'autres gens malheureusement ça l'est.

Nathalie H.D. a dit…

Comme Tilia j'ai eu une vague terreur que cette histoire soit basée sur des faits réels très proches de toi. Ravie d'apprendre qu'il n'en est rien.

chri a dit…

@ Nathalie La fiction comme on croise les doigts pour éloigner le mauvais sort.

Publications les plus consultées