22 février 2017

Le pantalon de Paul.

Il a pris une grande inspiration, il a bloqué tout l’air englouti dans ses deux malheureux petits poumons  et il franchi la porte, aveuglé, à la fois par le soleil, qui l’a frappé en pleine face et par la honte qui, elle, l’a, d’un coup, submergé.
Paul s’est retrouvé seul dans la cour de l’école qui faisait comme un grand rectangle ceint de murs, dix minutes avant la récréation de dix heures. Six vieux marronniers taillés de près y donnaient au printemps une ombre protectrice, en automne des projectiles parfaits et de feuilles à dessiner, mais là, on était en février et pas une feuille sur aucune branche, pas un marron dans aucune poche. 
Dans les classes des étages du dessus, les autres pouvaient plonger leurs regards sur lui. Sans les voir, surtout parce qu’à cet instant il ne regardait que ses pieds,  il les a sentis s’agglutiner aux fenêtres et sans les entendre il a su qu’ils commençaient à rire de lui. Paul a fait les premiers pas, les mains sur la tête comme elle le lui avait ordonné. Enfin, les premiers pas, il fallait l’écrire vite parce qu’il ne pouvait pas vraiment s’agir de pas. Disons qu’il a avancé. Deux tours, elle avait dit. Vous m’entendez, Paul, deux tours complets et ne trichez pas. Je vous surveille. Elle l’avait vouvoyé. Oui, en ce temps là on pouvait vouvoyer les gamins mais les humilier, également.
Quand elle l’avait surpris un peu plus tôt en classe en train de farfouiller sous la table, elle avait interrompu le cours, comme elle savait si bien le faire. Tout le monde craignait ça. Elle était crainte pas seulement parce qu’elle était la femme du directeur mais surtout parce qu’elle avait une réputation de sévère. De vielle vache, oui. Ça, on ne le disait que sur le chemin du retour, et encore quand on était loin très loin de l’école, de peur qu’elle ne nous entende. Il ne l’avait pas vue, elle était arrivée par derrière, par l’autre rangée, il ne l'avait pas entendue non plus, elle collait des coussins de feutre sous ses semelles de chaussures exprès pour ça. Ils venaient de finir la dictée du matin, ils relisaient et elle soulignait les pièges probables, les fautes possibles. Il y en avait une ou deux à chaque ligne et lui n’en manquait aucune. Après ce mauvais moment, en revenant de la récré, ils avaient gym et Paul, lui, c’est ce qu’il préférait. Parce que ça bougeait, parce qu’on ne restait pas assis des heures entières, parce qu’on ne s’y ennuyait pas autant qu’avec l’autre là… Alors il avait voulu s’enlever le pantalon long, en velours sous lequel en s'habillant le matin, il avait mis un short, justement pour la gym. C’est à cet instant qu’elle avait fondu sur lui comme une buse sur un campagnol, comme un éclair sur un marronnier. Elle avait hurlé:
Mais Paul, vous êtes malade ? Que faites vous avec votre pantalon baissé ainsi sur les chevilles pendant la correction de la dictée ? Un silence de plomb fondu avait envahi la classe, tous les regards s’étaient tournés vers lui, il avait été comme un lapin nain sous une volée de flèches.
Mon ami, oui, elle disait mon ami mais ils n’avaient pas du tout la même conception de l’amitié. Mon ami, donc, pour votre punition vous allez me faire deux tours de cour les deux mains sur la tête et gardez donc votre pantalon sur les chevilles, ça va nous amuser. Deux tours vous m’entendez ? Que nous ayons le temps de bien rire.

Paul avait eu envie de mourir ce matin de Février.

En rentrant chez lui, il était allé dans le fond du jardin avec un sac plastique plein et une boite d’allumettes. La mère de Paul s’est longtemps demandé ce qu’il avait bien pu lui passer par la tête pour que ce gosse foute le feu à son pantalon.

10 commentaires:

Pastelle a dit…

Petit sadisme ordinaire de personnes qui ont un tant soi peu de pouvoir, même sur des tout petits... Et tant de dégâts parfois...

M a dit…

Voilà ! Décidément, comme touilleur de souvenirs est ce qu'il existe un prix pour ça ?
- 5 ans
- Classe unique d'une vingtaine d'élèves
- Très curieuse du programme des "grands"
- Mission : lignes d'écriture
- Accomplie, et donc du temps pour écouter aux portes du futur
- M, tu as le nez en l'air ! Travaille et arrête de bailler aux corneilles
- J'ai fini m'dame
- Recommence, ça ne te fera pas de mal
- ... (tout bas) J'ai pas envie
- Comment ?
- J'ai pas envie, j'ai fini !
- Pardon ??? (zavez déjà entendu un pardon menaçant ? Moi c'était la première fois !)Recommence et ne discute pas !
- NON ! (ben oui, déjà !)
- Bien, on verra ça en fin de matinée
- 5 ans, on oublie vite le danger...
- Midi
- M, viens ici !
- Et là, elle m'a attrapée par les cheveux -ceux qui blanchissent en premier, ceux qui font si mal, ceux qu'on a du mal à discipliner tellement ils sont petits et tendres - elle m'a installée sur ses genoux...
- Robe relevée, culotte baissée en un tour de main et devant les 20 : fessée. Personne n'a moufté.
Ma mère, qui n'a jamais laissé passé un caprice, étonnamment n'y a pas décelé de ressemblance... Merci maman d'être venue la voir pour lui demander si la fessée était un outil pédagogique indispensable et l'humiliation un but à atteindre...
A l'inverse de Paul, personne ne s'est moqué, merci pour ça aussi !

chri a dit…

@ Pastelle Oui, petit sadisme grands dégats... Merci de votre commentaire.

@ M Et en plus même pas l'excuse de la colère...

odile b. a dit…


La construction de vos récits est toujours surprenante. Dans les toutes premières lignes, le décor est planté, le gamin semble rentrer depuis l'extérieur dans cette cour de récré où l'on imagine déjà, à défaut de marrons, de bonnes et joyeuses parties de billes ou de ballon ; c'est, du moins, ce que j'ai cru d'emblée. Le mot "honte" vient tout de suite anéantir cette perspective et l'on apprend, par un flash back, que le p'tit Paul sort du bâtiment intérieur de l'école vers la cour, et pourquoi et comment il se retrouve ainsi seul et en "mauvaise posture", humilié, sous le regard des autres derrière les carreaux. La suite pour lui, sur la cour de récré, ne sera pas la partie de gym qu'il attendait avec tellement d'impatience... Affreuse mégère, impitoyables gamins.

"Petit sadisme ordinaire de personnes qui ont un tant soi peu de pouvoir, même sur des tout petits... Et tant de dégâts parfois..." : Pastelle a tout dit en peu de mots

La culotte de Paul me ramène à tous ces souvenirs d'enfance qui remontent en surface comme la crème sur le lait ou comme les bulles à la surface de l'eau... parfois avec des relents d'amertume et de frustration cachés bien creux. 
J'en ai connu aussi, de ces humiliations, à la p'tite école... Punie pour un bavardage,collée derrière le tableau noir ou coincée sous le bureau de la bonne sœur, suffoquant à l'odeur de ses chaussettes puantes, ou encore - frayeur de ma vie - enfermée "au cachot noir", le placard où pendaient les capes noires des sœurs... ; j'ai fait des tours de cour avec mon cahier sur la tête parce que, au bout de dix lignes d'essais, je n'arrivais toujours pas à calligraphier comme il le fallait la lettre K majuscule à l'anglaise et à la plume sergent-major ; j'ai reçu, aussi, des coups de règle sur les doigts... Et encore, je ne vous dis pas tout... Ça s'oublie difficilement.

Pas question, alors, de venir se plaindre à la maison où, à coup sûr, on m'aurait dit : "C'est pour ton bien"... En c'temps là, les parents n'auraient jamais eu l'idée de venir donner des claques à l'instit ! Dans notre campagne de pur style "Guerre des Boutons", on a bien ri, mais on en a ravalé aussi...
Pour le p'tit Paul, on manifesterait dans les rues aujourd'hui...

chri a dit…

@ Odile Vous écrivez: "La construction de vos récits est toujours surprenante." Le plaisir que vous me faites!!! J'essaie, à chaque fois, vous savez en deux pages, il faut tenter de surprendre!
Pour le reste, j'ai eu droit à tout, comme vous! Quand on avait fait une bêtise, on se retrouvait devant le directeur, le mari de l'autre, et il lui arrivait d'attraper à deux mains les cheveux des tempes et de nous lever jusque sur la pointe des pieds, alors deux baffes simultanées nous claquaient le visage, de chaque côté, sur chaque joue, pour accompagner la descente! On ne pouvait même pas tendre l'autre!!!

odile b. a dit…

Ah ! c'était la femme du Directeur... Couple d'enfer, ces deux là :{
J'essaie d'imaginer la scène : soulever par les cheveux et, illico, relâcher en donnant deux fois deux baffes...
Bougre de sadique... il avait la main leste et de l'entraînement... :{{

chri a dit…

@ Odile Oui, oui, la paire! J'ai leurs noms!!! :-)

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Oui, le sadisme. Que dire de notre instituteur, une brute épaisse, qui en mal d'inspiration pour punir, arracha l'oreille d'un petit copain en voulant le souler de terre. Il perdit son poste d'instit, et mon copain, son oreille.
Me concernant, je ne peux pas raconter puisque ma scolarité se déroula sous les coups, à l'école et à la maison ! C'est pourquoi ton histoire me parait " soft ".
Amitiés.
Roger

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Il fallait comprendre " le soulever de terre " .

chri a dit…

@ Roger Oui au regard d'un arrachage d'oreille la mienne est soft!!! Mais il a perdu son poste quand même!

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