13 février 2017

Vous les flammes.

Oh pardon. J’ai fait,  gêné. Excusez moi.
Ce n’est rien, vous n’avez pas fait exprès ?
Je n’ai pas réussi à savoir avec certitude si elle avait envoyé un point d’interrogation après le mot exprès mais j’aurais mis ma main à couper qu’elle en avait posé un. Un petit, discret, qu’on pourrait avoir quelque  peine à percevoir. Mais il y était, certain. En me reculant d’un pas dans la file d’attente, je venais de marcher sur un de ses deux pieds. Elle portait des sandales à hauts talons superbes, avec une fine bride de cuir noir, qui habillaient ses deux jolis pieds aux ongles magnifiquement rouges. Quand elle s’est retournée, j’ai remonté le tout, d’en bas, lentement et j’ai embrassé (du regard) la plus jolie silhouette que j’avais jamais vue. On était en Avril, il faisait doux, les robes et les bourgeons étaient de sortie. Même pour aller au cinéma. La sienne était légère comme une soie fragile avec de minuscules fleurs en motifs répétées, une ceinture fine à la taille, un sac sur une épaule nue, des cheveux très courts, presque ras, bruns, presque noirs, ses oreilles vêtues d’une simple perle de culture très claire, sa nuque si embrassable. Très attirante, en tous les cas. Ce qu’on appelle, avant même de la connaître, une beauté fraîche, gaie, pimpante. Sans aucune moquerie. Elle était belle comme ce printemps qui s’amène. Et je lui avais écrasé un pied. Quel crétin. On allait voir le même film, elle s’est assise au dernier rang, pile dans le milieu de la rangée, là où j’avais l’habitude de me placer.  Je n’allais pas changer mes coutumes pour une fille fût-elle une beauté renversante. Je me suis assis à côté d’elle, mais j’ai laissé un siège entre elle et moi.  Ca se faisait dans les salles un peu vides. On voulait bien être ensemble dans le noir mais pas les uns sur les autres, on avait ses limites. On ne se serrait qu’entre connaissances. Avec tous les autres, on se laissait une distance, on s’accordait une avancée possible, une sécurité. Dans ce monde, on avait gardé les cochons avec personne. En vrai, aller vers l’autre ce n’était pas si facile, c’était même tout un sacré bazar.
 Une fois installés, j’ai regardé droit devant moi. Tout le film. Pas une seule fois je n’ai jeté un œil vers elle. C’est là que j’ai compris qu’il se passait un truc. J’étais tendu comme les câbles d'un téléphérique et ce n’était pas le film polonais en noir et blanc sur la vie d’une nonne sous la neige qui allait me relâcher. Une merveille de film et un si beau prénom. Sur le générique, je me suis mis à comploter. Il faut que je lui parle, il le faut. Je dois y arriver. Oui, parce que les rencontres j’avais plutôt l’habitude de ne pas les faire, voyez. J’étais du genre à laisser passer mes chances, à ne même pas les voir quand elles se pointaient, en tous les cas à ne rien comprendre. L’anneau je ne l’avais pas eu souvent au bout du bâton, si je peux me permettre. Mais cette fois, cette fois, ne serait pas comme les autres. Je vais me jeter à l’eau, je vais me lancer, je vais me débrouiller pur qu’on aille boire un verre, avoir un 06, un prochain rendez vous.
Elle était désolée mais elle devait retourner à son travail, elle y avait laissé son smartphone, elle ne connaissait pas son numéro, (je m’appelle rarement vous savez) elle n’avait pas une minute à elle, mon boulot si prenant, alors, forcément, deux heures encore moins… Vous comprenez, n’est-ce-pas ?
Pendant qu’elle me lançait sa tirade, au beau milieu de la foule du parvis du complexe huit salles, elle me souriait gentiment avec une étincelle de malice bienveillante dans l’œil. Moi, je la fixais bêtement…

Elle, elle regardait, presque étonnée, les flammes de l’amour dévorer lentement les ventricules vides de mon petit cœur d’artichaut.








16 commentaires:

chri a dit…

Xavier Oustalniol Bon on peut se dire que c'est pas encore le printemps; alors c'est même pas vrai. 😉


Jacqueline Oustalniol
Mais c'était celui de l'année dernière...et pour une fois qu'il se lançait ! Pourquoi tu crois pas ? J'adore la revue... "du bas vers le haut" ! Et j'imagine ce qu'en aurait fait Tex Avery. Merci Chris, c'est plus frais et léger, bien besoin de ces respirations en ce moment.

Anonyme a dit…

Je la reconnais cette note !
Je me souviens que j'aurais bien aimé être elle :)





Papy-avec-son-jean-troué-et-ses-bottes-de-jardinage

chri a dit…

@ Papy Pourtant elle est toute neuve... (la note....)

M a dit…

Ça rime avec quoi déjà, artichaut ?
Cette histoire me rappelle quelque chose... "Soleil vert" quand j'ai réalisé le fond de l'histoire,je n'ai pas pu retenir un (petit) cri d'effroi! Mon voisin a franchi le siège conventionnel sans plus de cérémonie !!!! Il était charmant, brun aussi mais pas seulement au niveau capillaire, bref beau moment étudiant ! Je me souviens même que les seringas étaient de la partie !

chri a dit…

@ M Content du bon souvenir revenu! C'est déjà ça, c'est déjà ça ... -:)

chri a dit…

@ M PS Ca rime avec gaspacho?

Laurence Chellali a dit…

Ah ! Quel bonheur de venir dans ces pages et de lire cette histoire si attendrissante de coeur d'artichaut. Merci Chri pour ce moment de pure bienveillance !!!

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Savoureux. Comme d'habitude, c'est peine perdue d'en avoir, des habitudes, en te lisant. Tout est neuf, poétique,et le suspens nous tient en haleine jusqu'au bout pour connaître la fin de cette histoire de ciné ,d'espoir vécu entre deux inconnus. A propos du 06 qui n'existait pas quand je suis né, même le téléphone restait attaché aux murs de la maison pour ceux qui en possédaient un. Il y avait 3 numéros à faire pour joindre un abonné en passant son appel par un abonné.Fallait se débrouiller autrement pour faire connaissance. Une chose existait déjà, très répandue, l'histoire d'amour.
Bon, on a gardé le principal en améliorant les outils de communication. Tout le monde y gagne-t-il ? Je ne sais pas.
Très bon week-end à toi, cher Christian.

An toute amitié.

Roger

chri a dit…

@ Laurence Merci de ta venue!

chri a dit…

@ Roger Merci de ta lecture bienveillante!!! Amitié

odile b. a dit…

J'adore le duo : 
- "Elle me souriait gentiment avec une étincelle de malice bienveillante dans l’œil" 
- "Moi, je la fixais bêtement…"
Ah ! Que cet accent circonflexe en guise de chapeau a bien sa place ici... Bê-ê-ê !

Pardon pour le manque de compassion, mais je souris aussi de la trouvaille des pôvres "ventricules vides du petit cœur d’artichaut". Crop mignon ! (mon correcteur d'orthographe a tenté de remplacer par : "Cro-Magnon"...)

chri a dit…

@ Odile Merci à vous, vraiment!

odile b. a dit…

Z'êtes pas rancunier !!!
Les flammes, ça part avec une allumette :)

chri a dit…

@ Odile Pourquoi? Je devrais l'être, rancunier? :-)

odile b. a dit…

Pac'que j'avais ri de l'air "bêêête" du gars et de son "p'tit cœur d'artichaut"... mais, en fait, c'est vrai que ça ne vous touche pas... :
d'abord, le gars, c'était pas vous, œuf corse !... et puis, c'était pas de la vraie moquerie méchante de ma part... seulement un peu de taquinerie "bienveillante" ;)
Vous avoir compris moi ?

chri a dit…

@ Odile Ah si le coeur d'artichaut, je prends et l'air bête aussi mais comme c'est une fiction...
Et je avoir compris vous M'dame!

Publications les plus consultées