22 mai 2018

Et pluie, plus rien.

Et c’est à l'instant précis où j’ouvris la bouche que le ciel a fini de se fâcher.
On a attendu une bonne heure dans la voiture que le silence revienne un peu, que le vent se calme et que les sacs de grains nous déversent, avec rage, leur contenu sur la cafetière.
De tout ce temps, enfermés, on n’a pu prononcer une seule phrase tellement le barouf dehors était puissant, comme une grande colère divine. Ce sont des gouttes grosses comme des poings qui ont cabossé le capot, qui ont frappé les vitres et ondulé les tôles. On entendait à peine le poste, même à fond. On avait passé un plaid en polaire sur nos épaules. Si ce n’était le déchaînement à l’extérieur, nous, dedans, étions au sec, à l’abri, au chaud. Nous ne risquions rien d’autre que d’être emportés par le cours puissant des flots bruns, épais. On se serait cru au beau milieu d’un torrent en furie, des langues de boue qui descendaient de la colline,  entouraient la voiture en rigolant et, des arbres, c’était les branches qui tombaient. Heureusement que pas une n'a écrasé le toit. Nous qui étions venus là pour la vue et pour nous en dire, nous n’en n’avions pas pour notre argent. J’avais avancé sur le chemin de la Collégiale, à mi pente, j’avais fait demi-tour et garé la voiture sur le bas côté, juste avant le grand virage, en plein face à la vue. J’avais choisi cet endroit parce que je trouvais que ce que j’avais à lui dire méritait un bel endroit. Un endroit qui pouvait être digne d’entendre des choses profondes, importantes, qui allaient peut-être marquer notre vie, du moins une partie. Il fallait qu’on puisse dire dans cinq, dix ans tu te souviens ? On était monté là-haut ce soir où tu m’as dit… La forme vaut parfois le fond, non ? Ce soir là, c’est le ciel et lui seul qui a parlé. 
Nous, on s'est contentés de l'écouter en se caressant un peu, gentiment les avant bras, les bras, en se croisant et décroisant les doigts, en s'embrassant tendrement dans les cous, en s'appuyant les têtes contre les épaules pendant qu'il hurlait. À sa fureur, nous avons opposé notre douceur mais nous avons gardé nos bouches muettes. Pas un son n'en est sorti. Deux cisterciens sous tempête. 
Quand le calme est revenu, quand le vent s’est apaisé quand les gouttes ont minci, j’ai fait une tentative pour ouvrir la fenêtre et, ainsi évacuer la buée qui s’était accumulée, on se serait cru à l’intérieur d’une cocotte vapeur, je voyais à peine le volant devant moi. L’air frais s’est engouffré dans l’habitacle et nous a fait grelotter. J’ai refermé de suite et je l’ai regardée. La clarté était revenue. Elle était belle comme un jour d’automne, elle s’était mis du rose à lèvres et de dessous son vilain chapeau cabossé, filaient des mèches rousses de ses cheveux pourtant coupés courts. Elle portait des bottes de cuir sur un collant de laine marron et un manteau trois quart caramel avec une large ceinture, sans doute en cachemire vu l'allure générale et la beauté du tombé du tissu. Elle me souriait, lumineuse, tranquille. Elle a tourné la tête vers le pare-brise et d’une voix très calme, comme on attend un train sur le quai, elle a dit :
___ Alors qu’avais-tu de si important à me dire ?
J’ai eu peur de la réaction du ciel, j’ai juste pu répondre :
___ Rien rien, rentrons, j’ai un peu froid, maintenant. Une autre fois peut-être...

De peur de changer d'avis, j'ai, comme le ciel, démarré en trombe, projetant des perles de boue sur presque toutes les  feuilles des branches des arbres du chemin…






7 commentaires:

M a dit…

A la fureur opposer la douceur et s'en trouver ... pas si zen que cela vu le démarrage final ! Ou alors, c'est de se sentir comparé à une baguette peut-être (même bon, le pain finit par se faire boulotter)
Sinon "Il faillait qu'on puisse dire...", on sent déjà comme une déchirure !
Mais j'aime toujours autant te lire tant l'évocation est puissante !

chri a dit…

@ M Merci! Il faut vraiment que ce soient d'autres yeux qui lisent... Le nez dedans je suis myope...

chri a dit…

Le nez dans le guidon, je ne vois plus que le gui.

Brigitte a dit…

il a été tellement déstabilisé par le temps qu'il n'a rien pu dire … C'est triste !Heureusement que le cocon de douceur était là pur compenser ...juste un peu .

chri a dit…

@ Brigitte Oui, heureusement qu'il y a toujours souvent quelque chose pour adoucir un peu.

Tilia a dit…

"Deux cisterciens sous tempête".. avec la description qui précède, mon œil n'a pas pu s’empêcher de sourciller, puis de friser à l'idée de deux moines enlacés :-))

Autre pépite, moins amusante car potentiellement mortelle, "les langues de boue qui descendaient de la colline, entouraient la voiture en rigolant"

Votre récit (qui embaume le vécu) m'a remis en mémoire notre aventure d'Yerres (en août 2014) contée à la fin ce billet.

chri a dit…

@ Tilia Merci à vous, je me souviens de votre mésaventure délugienne chez Caillebotte!!!

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