09 juin 2018

Un si joli raccourci.

Nous avions décidé de nous offrir une soirée et une nuit mémorables. 
Nous avions choisi d’y descendre à pied et de n’en remonter que le lendemain. C'était une crique en U, comme elles l'étaient toutes par ici. Bien abritée, protégée des vents dominants, comme dessinée au crayon par un paysagiste de génie, bref, un rêve de crique... Elle n'était accessible qu'en bateau ou bien par un sentier tortueux qui descendait de la route et qui traversait le maquis en contorsions alambiquées. Comme nous n'avions pas de bateau, il ne nous restait que peu de solutions, mais n'en avoir qu'une évite le choix. Et, ça peut aider dans une décision à prendre. Nous nous étions chargés de tout le nécessaire pour que notre nuit soit la moins inconfortable possible. Nous n'avions pas regardé la météo, nous nous en foutions un peu. Et si jamais, il venait à pleuvoir, ici, en cette saison, ce serait un miracle tant tout était sec dans le coin. Même les pierres avaient soif. À la vue du ciel, tout s'annonçait pour le mieux. L'ambiance était à la robinsonnade enfantine. Nous allions dormir dehors, sur une plage, comme seule cette île et quelques milliers d'autres peuvent en proposer. Une eau limpide, transparente... un cauchemar de narcisse. Un sable doux, fin... le rêve absolu des dos malmenés. Nous n’étions pas seuls à la fréquenter, d’autres descendaient parfois du maquis et venaient se baigner aussi mais cette fois elles n’étaient pas présentes.
Au menu du soir ce serait grillades, blanc frais, fromages et fruits, enfin de quoi voir venir la nuit et ses étoiles filantes un peu apaisé. Il nous a fallu une belle heure de marche, en descente douce, plongés dans les parfums des cistes, de la myrte, des lentisques et des arbousiers, griffés aux mollets par les ronces, mais des griffures qui valaient le coup, pour une fois. Arrivés en bas, nous avons installé notre campement comme des princes définitifs.
La nuit était presque déjà là. Nous allions nous offrir des souvenirs inachetables.
Avant d'allumer le feu, nous nous sommes trempés dans le vert de l'eau, puis nous avons mangé et bu. La nuit, maintenant, était noire comme une encre de poulpe. Le ciel au-dessus commençait à scintiller. L'un de nous a proposé encore un bain. Il n'était que dix heures du soir, nous avions deux heures d'avance mais nous nous en foutions. Nous nous sommes déshabillés et nous avons plongé et éclaboussé la plage de nos rires.
Le ciel s'était illuminé d'étoiles. En revenant du bain, sur la plage silencieuse, nous avons levé les têtes vers la coupole de diamants. C'est Paul, les pieds souillés, qui nous a fait remarquer que, sur la toute merveilleuse langue de sable phosphorescent, des bêtes à cornes, aussi, venaient se vautrer… 
___ La vache, j’en ai partout entre les doigts de pied! C'est dégueulasse!
Nous autres, en chœur:
___ Paul chéri, tu te fais du mal! Viens donc finir ton verre...
Le rosé l'avait rendu grandiloquent. Il se mit à déclamer comme un shakespearien déjanté:
___ Alors, nous voilà, nus, humbles, humides, dans l'obscure clarté, la tête dans les étoiles et... les pieds dans la merde...
Un assez joli raccourci de notre misérable condition, au fond.


4 commentaires:

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Une chute imprévisible, mais, inodore pour moi. La descente avait été paradisiaque, mais on ne touchait pas encore le fond. Ce chant glorieux du campeur plus fort que tout le monde, et qui chante, les deux pieds dans la merde , n'est-ce-pas la définition fleurie, de notre coq gaulois, trouvée par le grand Coluche ?
Mais ton histoire, est avant tout, pour moi, un plaisir de lecture, et pour toi, un autre plaisir si important dans ta vie : celui d'écrire.
Merci Christian.
Bon week-end en toute amitié.
Roger
P.S. Sur ma page GOOGLE + une création land art, ancienne mais jamais présentée.

chri a dit…

Oh Merci merci Roger d'avoir pris le temps de venir par ici!

Brigitte a dit…

Ahh la chute !Par contre quelle belle soirée quand même .
Bon week-end

chri a dit…

@ Brigitte Plus dure elle sera! Merci à toi aussi, les voeux.

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