09 juillet 2018

Cette fois.

Cette fois, putain, c’est du sérieux. 
En psy, ça lui avait coûté deux avant- bras, mais il avait du apprendre à vivre avec l’idée qu’il ne mesurerait jamais un mètre quatre vingt… Il en avait profité pour travailler l'idée d'accepter de perdre les cheveux du dessus mais pas ceux des narines, ni ceux des oreilles puis de faire avec celle qu'il était finalement devenu: un vieux. 
Maintenant, il devrait se convaincre qu’il était ventru? Qu’il n’avait rien vu venir surtout pas ce truc là, devant, qui lui avait poussé. Bien sur, en contrepartie il avait arrêté de fumer. La belle affaire. D’accro à la nicotine, il était passé  à ce qui se mange. Plutôt salé que sucré bien qu’une tatin affriolante ne le laissait pas de glace. Oui, au chocolat. En mousse. Mais bon, il avait pris et cet été là ça suffisait. Surtout qu’il faisait un boulot où le corps à son importance et là il était l’image parfaite du : Faisez ce que je dis mais pas ce que je fais.
Il venait de s’offrir trois pantalons en soldes et il les avait pris la taille au-dessus. Stop. Il avait dit stop. À partir de maintenant, je perds.
Il le fallait. Pour lui-même et surtout pour lui-même. Se détester moins?
Il avait profité de l’été pour se faire un programme rigoureux, lui qui l’était si peu, qui pouvait se résumer à : Activité physique et salades. Dans l'ordre.
Un jour bicyclette, un jour course à pied et tous les jours salade. Les bannis lèvent le doigt : Vin de toutes couleurs, alcool de tous degrés, pain de toutes les céréales, fromages de toutes les régions et même de l’étranger…
Du temps de sa flamboyante jeunesse chevelue, il courait comme un garenne. Il n’aimait pas trop ça mais il le faisait puisque ça ne lui coutait pas. Ce qu’il aimait, lui, c’est avoir couru… Sentir cet état de fatigue musculaire, sentir ses poumons ouverts comme des chakras aux quatre vents, sentir chacune de ses cellules bondées de rouges globules, se savoir transpirant sous l’effort… Mais après, pas pendant. Pendant il s’ennuyait, il lui fallait penser à autre chose. Terminer une nouvelle, attaquer la première phrase d’une note, entamer un poème, ciseler un paragraphe, là oui il courait sans lourdeur. Ah il en avait écrit des conneries en cavalant ! Ah il en avait aligné des phrases en gambadant… Et cet été là plus qu’aucun autre.
Il se levait, il avalait un café noir, un jus d’orange orange et zou en route… Roule, roule petit bolide, va, bouge, cours, ahane, souffle, grimpe, pousse, tire, sue, fatigue toi, crève toi…
Ce matin là, c’était vélo. Il avait son tour qui partait de chez lui et y revenait en passant par des coins superbes, deux ou trois figuiers qui donnaient des fruits magnifiques (pour le sucre et le régal…), une fontaine qui elle donnait une eau si fraîche qu’on en buvait trois fois plus que nécessaire, soit disant non potable mais pas un cycliste ne passait à proximité sans y remplir un bidon, voire deux. Il avait quitté la plaine et venait d’attaquer la longue montée vers Le Beaucet cinq kilomètres de raide qui faisaient taire les bavards. Les deux derniers traversant dans une forêt de chênes lièges, plutôt isolée et peu fréquentée. Une droite interminable qui montait direct avec à gauche, quand on était en forme on regardait le panorama sur la plaine du Rhône, mais la plupart du temps on gardait les yeux fixés sur la roue de devant.
C’est après la petite bosse, puis le replat qui permet de respirer un peu mieux que ça lui est venu. Une douleur dans le bras gauche. Si forte qu’il en a lâché le guidon. Il est allé valser comme un tout fou dans le touffu des chênes. Il a fait quelques pas en s'enfonçant dans le vert. Son engin est resté dans le fond du fossé. Lui s’est tourné et s’est appuyé contre un tronc puis s’est laissé glisser au sol. Il ne voyait plus la route. Putain ce qu’il avait mal. Si mal qu’il a fermé les yeux. Dormir, il voulait juste dormir un peu et il repartirait.
Quel imbécile de partir sans son portable… Pour une fois que cet engin aurait vraiment servi à quelque chose. Tu es où ? Pour une fois, il aurait aimé répondre à cette question.
Oh non pas maintenant, j’ai deux trois trucs encore à faire, j’en ai deux trois petits à voir grandir un peu, il y a deux trois endroits où j’aimerais aller et deux trois autres où je veux retourner, j’ai deux trois personnes à voir, pas maintenant… Ça pour mincir, je vais mincir… Ça pour être sec, je vais être sec... Oh non.

Cette fois-ci, c’est du sérieux, fini de faire l'enfant de coeur, si je m'en sors et que j'en ai besoin, je pourrais même me faire payer un fauteuil électrique par un footballeur! Ils signent des chèques à tours de bras en ce moment, ne s'était-il pas empêché avant de tomber dans les pommes sous l’effet de la souffrance accrochée à sa poitrine comme une pince à sucre à son morceau…




Image prise sur le net.

8 commentaires:

M a dit…

C'est toujours pareil ! Un délice de te lire le sourire aux lèvres et immanquablement le sentir s'évanouir peu à peu pour finir dans une flaque ou presque... Celle là, à chaque fois, elle me transforme la dorsale en glacier et le cœur en image (du net). Bref je ne te remercie pas !

chri a dit…

@ M Pardon, pardon mais je suis si content de faire de l'effet!

Brigitte a dit…

Oh noooonnn! Mais c'est un régal à lire .

chri a dit…

@ Brigitte Merci! Ça fait plaisir à lire!!

Anonyme a dit…

oui oui, mais je jurerais que je l'ai déjà lu, non ?
Marie

Anonyme a dit…

Tu as complètement raison. Je vois les choses comme toi. Moi aussi je m'ennuie en courant, nageant, vélocipédant,gymnastiquant etc... Mais pas aux Pilates ni au Tai Chi. Un grand karatéka interviouvé sur France Culture récemment expliquait que le karaté requiert la même attention sur les gestes et empêche la ratiocinationet qu'il en avait besoin. C'est mieux que la méditation avec Christophe André.
Quand je t'ai connu tu n'étais pas ventru. Tu venais de passer 2 ans à retaper ta maison. Hé bien bricole ! Construit une maison en bois ! Creuse une ligne de nage ! Adopte un chien ! Tiens le mien s'est encore fait opérer de la patte à cause d'un épié dans les contrées sèches que j'habite. Mon véto est très maigre...Est-ce un signe ? Beau texte drôle et touchant en tout cas.

Papy René

chri a dit…

@ Papy Comme je ne reçois pas de notification quand quelqu'un poste un commentaire, je découvre celui-là...
Quand tu m'as connu, je fumais et surtout, j'avais quelques années de moins...
Pour être maigre il faut ne pas manger. Et moi, je suis gourmand... Ca va être dur!
Un chien? Non merci a cause des vétos justement et des poils et des aboiements et des crottes et des odeurs et des croquettes et des...
Merci pour beau drôle et touchant les trois, c'est pas si mal!

chri a dit…

@ Marie Oui, oui.

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