28 septembre 2018

Comme une petite quarantaine.

Ainsi donc s’achèvent, là, sous mes yeux ébahis, ma bouche ouverte et ma mine vaguement contrite quarante années. 
Je suis obligé de me répéter ces deux mots: Quarante ans. Depuis le 14 Septembre mille neuf cent soixante dix huit où je suis monté à l’annexe du Clos de Bouges, sur le plateau qui était encore une friche, les derniers bidonvilles venaient à peine d’être démantelés. C’était un pailleron d’un seul étage dans le haut de la campagne banlieusarde de Champigny sur Marne. Val de marne. 9.4.
Quarante ans. Quarante 30 Juin où l’on souffle mais aussi quarante quinze Août à partir duquel on se met à moins bien dormir à cause de la venue prochaine de septembre…
Dans ces quarante ans, vingt cinq au même endroit et le reste en vadrouille.
Les treize dernières en balades régulières à cause d’un statut de remplaçant. De ci de là, ici ET là pour une semaine, pour six mois, pour un an mais presque toujours dans la même partie du zoo, la plus agitée, la moins paisible, donc celle que la plupart veut quitter.
Les chefs y sont inégaux, il y en a de bons et de très bons, il y en a de mauvais et de très mauvais. Ils sont eux aussi pressés au sens du citron. Leur vie ne doit pas être drôle tous les jours. Pour la plupart,  leur goût du pouvoir et leur fatigue d’en saigner les a poussés. Ils seront aussi logés et mieux payés. Les plus mauvais se terrent dans leurs bureaux inaccessibles, ils ont peur de tout et confondent souvent autorité et autoritarisme, rigueur et entêtement, franchise et brutalité entre autres. Les autres font avec ce qu’ils sont. J’en ai connu de magnifiques, prêts à tout.
Les compagnons croisés furent des gens comme on en trouve dans toutes les compagnies. Là, des bouses humaines et ici de belles personnes. Pas plus ni moins que chez les tireurs à l'arbalète. Mais assez souvent en bisbilles entre eux. Incapables de composer, de concessionner, voire même seulement de parler entre eux en adultes responsables et posés ce qu'ils étaient sensés transmettre. 
Pourtant, un des avantages avec ce genre de boulot à cet endroit c'est qu'on n'a que très peu de compte à rendre à part à soi-même, on ne voit que très rarement les patrons. Le dernier que j'ai vu c'était en l'an... deux mille. Il y a donc dix huit ans. On peut se sentir comme une vieille maîtresse, délaissée. 
Quarante ans et pas le moindre petit blâme pour une gifle ou un petit coup de pied aux fesses, rien, pas un geste déplacé, pas un acte de contrition ou une seule excuse publique demandée, pas un seul tribunal convoqué. Une prouesse?
Quarante, cela semble tellement irréel. Pffuuuiiittt, le temps d’un souffle, c’est fini, ces quarante années sont passées, elles sont derrière moi. Plus à vivre, à jamais, vécues…
Voilà quarante ans, nous vivions alors  dans un autre monde. Je n'avais pas encore d'enfant, Giscard était président, j’avais des cheveux à m’en faire une queue, je courrais les vingt bornes en une heure et demie, j’allais bosser en deux pattes, je descendais dans le sud en train couchettes. Dans les cinémas on voyait Les moissons du ciel de Terence Mallick, Jacques Brel n’avait plus que  quelques jours à vivre, on ne téléphonait que d’une cabine ou de chez soi, on longeait la Loire pour aller à Oléron, Nike venait de naître, Renaud chantait pour la première fois à Bourges, chemin des Âmes du purgatoire sur les hauteurs d’Antibes, il n’y avait pas d'immeubles, que de longues serres en châssis de bois pleines de fleurs,  j'avais mes quatre grands parents et des kilos en moins… Un autre monde.
À partir de lundi, j'emménage dans une nouvelle case. Après avoir été célibataire puis marié, puis divorcé, actif, je vais m'installer dans "inactif". Mais, petit gars, inactif n'empêche pas d'être remuant... Celle d'après, j'ai bien regardé c'est... décédé mais il n'y a pas encore de date prévue. Enfin je ne pense pas. C'est plutôt délicat. De l'administration qui administre pas un mot, rien. Ni au-revoir, ni merci. Comme je n'attendais rien, j'ai été comblé.
Alors, même s’il a pu m’arriver de souhaiter cette date ardemment, de parfois certains jours de mi-décembre,  l’envisager comme une lueur dans la nuit, un  abri dans la tempête, une gourde à Gobi, c’est au pied du Ventoux qu’on voit le cycliste,  aujourd’hui, avec ce couperet, il n’y quand même pas de quoi être trop enjoué parce qu’en la considérant lucidement, si tout va bien, l’étape suivante sera de signer mon admission dans un EHPAD quelconque et si tout devait malheureusement mal tourner, c’est arrivé à certains de mes amis, de ce côté là, on est jamais à l’abri de rien, ce sera, un sinistre jour d'hiver cérémonie au funérarium.

Aussi, je vais regarder les quelques jours qui arrivent un poil de travers, je vais me mettre un peu à l'écart comme pour une petite quarantaine.
Au moins le temps que je m'y fasse. 

Quarante ans ce n'est pas rien.


6 commentaires:

Tilia a dit…

Pour moi aussi ça fait 40 ans Ô_ô
Quarante ans que j'ai quitté le 8-4 pour le 9-2 (7 ans) puis le 7-8 (33 ans) Une sacré métamorphose, croyez-moi !

Vous, inactif ? ça m'étonnerait ;-)
Allez, je vous la souhaite longue et heureuse

chri a dit…

@ Tilia Merci, merci, merci!

Brigitte a dit…

Mais c'est fou ce que ça passe vite et après encore plus !!!
Cela fait bien longtemps que j'y suis d'abord forcée suite à un accident de la route(en 84) et puis l'on s'habitue vraiment très bien … Si si je t'assure tu vas voir, tu n'auras pas assez de temps pour faire tout ce que tu envisages.
Allez belle et heureuse

chri a dit…

@ Brigitte Oh non pas plus vite encore! Merci de tes voeux

Slevtar a dit…

La semaine 1 vient de s'achever. C'était comment ?

chri a dit…

@ Slevtar: C'était animé! Avec les petits à Paris... Je vais me poser un peu, maintenant! Bises à vous.

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