15 septembre 2019

Il t'arrive

L’automne, c’est par la peau qu’il te vient.
Vers la fin d’Octobre, selon l’endroit où l’on vit, il arrive assez souvent qu’on puisse encore manger dehors, même le soir, mais une fois la nuit  tombée, il  faut se couvrir la nuque et les épaules d’une petite laine, d’un châle ou d’un pull car on ressent oh pas depuis très longtemps, un jour ou deux seulement, une fraîcheur assurée qui dégringole des arbres et  pousse à se couvrir ou à moins s’éterniser. On ne peut plus siroter en s’attardant aux terrasses, en attendant que des pluies étoiles défilent dans le noir comme au cœur d’Aout. Après la dernière cigarette, le dernier verre, on doit alors bouger car le frais s’avance et gagne. Maintenant, au petit matin, quand les volets sont poussés, il arrive qu’on ne puisse plus distinguer le fond du jardin tout entier plongé dans une brume dense que, seul, le soleil réapparu dissipera. On la sent même au dedans des maisons cette brume qui vient avec le frais, les murs et les carrelages en rendent compte. En attendant que le thé infuse, il te naîtra même une envie de flambée que tu contenteras. En attendant, nous aurons à penser au ramonage à faire, au bois à couper, aux bûches à fendre. Veiller à ce que la maison soit prête pour l’hiver. Maintenant, les jours sont comptés avant les premiers vrais froids. Ils commencent par raccourcir salement et ça se voit. Les nuits s’habillent de froid. Il va falloir s’encouettiser.
L’automne c’est par les oreilles que tu le reconnais puisque les champs et les bois te sont maintenant interdits. Annexés par des hordes de tueurs armés en tenues de camouflage, ces bandes de petits garçons vaniteux (la nature, elle va voir c'est qui le patron!) qui jouent à la guerre contre les bécasses en ne leur faisant aucun quartier. Ils tirent sur tout ce qui porte poil, porte plume, vole, court, nage, vit gibiers comme chiens et autres chasseurs juste pour le plaisir de les tuer. Celui de ces courses affolées supendues, brisées net  comme ces chiffonnades de chevreuil perces par les plombs. L’automne est aussi un bain de sang.
L’automne c’est par les yeux qu’il t’attrape :
Ça commence assez tôt par les feuilles des grands platanes qui se marronnent et chutent, détachées par les vents du soir. Alors, les verts du figuier généreux commencent à jaunir. Dans les bois tout se teinte jour après jour, heure après heure, la nature prend feu. Le vert s’efface, lève le camp, débarrasse le plancher, déguerpit, fondule dans les ors. Puis, dans les vergers, les cerisiers se mettent à flamboyer de rouge comme si leurs feuilles baroudaient d’honneur avant de tomber. Les vignes, assez vite leur emboitent la palette rougie de sang. C’est tout le paysage qui se colore. C’est le temps où l’on monte sur les collines, les buttes, les remparts pour embrasser des yeux, comme ils le méritent ces paysages nouveaux. Le vert s’efface. Partout, ça flamme, ça s’ocrise, les fumées montent des feux, la terre devient un trésor étincelant. L’automne est le temps des flambances.
L’automne c’est par le nez qu’il t’arrive.
Dans les ruelles encore tièdes, des jardins aux murs toujours chauffés par le soleil du milieu de jour, commencent à monter des odeurs de feux de feuilles. Presque dans chaque parcelle, les broussailles coupées s’enflamment. Au soir, au dessus des maisons des anciens, leurs os déjà transis, quelques cheminées se mettent à fumer. Ça sent la suie chaude et la soupe de courge. L’automne est une saison de fumée. Plus loin de la ville, dans les forêts octobrales, c’est l’humide et l’humus qui dominent et les champignons popisent du chaud d’après la pluie. Ces senteurs de pourriture noble sont annonciatrices de recherches et de ramassages, d’après midi de marches et de parcourages attentifs des forêts. Dans ton panier, il y aura de la place pour les noix, noisettes et autres arbouses si tu vis où elles tombent. L’automne est une saison de cueillette.
L’automne c’est avec le palais qu’il te flatte :
Au marché du dimanche, une fois le brouillard dissipé, une fois l’humide vaincu, apparaissent les premières girolles, puis selon l’endroit où tu as la chance d’habiter ce seront les premiers cèpes en premières poêlées. Viendra bien vite celui des châtaignes grillées et le soir celui des soupes oranges de potirons. Les coings se cueillent et se mêlent aux filets mignons rissolants, les pommes maintenant mûres s’unissent au boudin pendant que les confitures s’éteignent de cuire. Figues, mûres, arbouses les bocaux se remplissent et s’entassent dans les armoires pour voir venir l’hiver.
L’automne c’est le cœur qu’il te serre.
Finies les longues soirées à trainer aux étoiles, il te faut quitter plus tôt la terrasse et te mettre à l’abri, t’enfermer dans le dedans qui protège au lieu d’être encore au risque, ouvert au monde, à la brise qui passe, au dehors, à l’autre qui vient.
Il te faut te vêtir davantage, les matinées sont fraîches désormais. Il te faut repartir, t’envaliser, t’en aller, quitter ici, reprendre le pont, repasser la frontière, t’exîler, décendrer les foyers, fermer la maison, dégonfler les bouées, protéger les fenêtres, vidanger les tuyaux, caréner les bateaux, retourner au chagrin, dire au-revoir à ceux qui restent, boire un dernier verre, refaire la route, revenir.
L’automne est un temps d’odeurs, un rempart, un dernier souffle, contre la nuit, le froid, le gris, le sommeil, le silence, la tristesse et la pluie. 


4 commentaires:

Brigitte a dit…

Oui en effet il arrive doucement, à peine perceptible . Les changements se font lentement mais implacablement … Bientôt une multitude de couleurs chaudes s'accrochera aux feuilles . Le sous bois sent différemment ,l'humidité est dans l'herbe le matin ,des champignons sortent de ci,de là ,les cyclamens font leur apparition et se transformeront en un magnifique tapis rose et blanc odorant à certaines heures du jour.
Bonjour l'automne et bonne semaine

chri a dit…

@ Brigitte Oui, il vient! Merci de tes voeux, les miens en retour!

Bonheur du Jour a dit…

Très joli texte.

chri a dit…

@ Bonheur du jour Merci, vous avez fait le mien!

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