11 mars 2020

Mon vide grenier avec R.

Le dimanche ici, avec les amandiers, ce sont les vide-greniers (ce pluriel délicat) qui fleurissent. Les vide-greniers (je l’ai, rien à vide, normal, un s à grenier) sont un peu comme une déchetterie étalée à l’horizontale où des gens, qu’on appelle les vendeurs posent sur le sol tout ce que toi tu jettes et où d’autres gens, qu’on appelle les acheteurs , achètent tout ce que toi tu jettes… Certains allant même jusqu’à acheter un truc chez l’un et le revendre illico chez eux. Le sens des affaires, des vocations de traders…
Le matin de bonne heure, les vendeurs débarquent sur le lieu du vide g., une place de marché un centre de vieux village, un parking, un terrain de sport de la ville, ils ont loué un emplacement qui se mesure en mètres carrés, ils installent une bâche, une couverture, une table et ils y posent de vieilles saletés plus ou moins cassées, plus ou moins anciennes, sorties droit de leurs caves, garages, jardins et ils vont passer la journée là, à attendre qu’on leur achète leurs poubelles. Le soir venu, pour la plupart ils laisseront les invendus sur place : On va pas ramener ces merdes quand même.
Il a sorti trois cantines militaires en métal du coffre de sa bagnole et les a posées par terre. Alignées. Puis il les a ouvertes. Dans l’une, il y avait des carafes, verres, bouteilles publicitaires pour une marque d’apéritif bien bue dans la région. Tellement bue qu’elle l’était à la majorité absolue… La firme possédait une île, un circuit automobile et était responsable d’un gros nombre de couperoses d’effondrement cérébraux et donc de décès. La deuxième contenait des tee-shirts aux images de groupes de punk rocks rebelles et la troisième les vinyles de ces mêmes groupes. Le type me disait quelque chose mais j’ai mis un peu de temps à mettre un prénom sur son allure. Il a sorti un siège pop up Lafuma, s’en est allumé une, ce n’était pas sa première, ce ne serait pas la dernière et il s’est avachi dans son fauteuil et a semblé descendre son store intérieur. Ah mais oui j’y étais c’était lui. Je l’ai salué d’un geste de la tête. On allait passer la journée côte à côte, j’ai eu du mal à croire que c’était lui mais je l’ai regardé en coin avec sa barbe blanche ses tatouages sur les avant bras son jean plutôt troué, ses chaînes à la ceinture, ses santiags hors d’usage, son tee shirt Nirvana. C’était bien lui. Le gars du coeur duquel était sorti: "Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie et l'aimer même si le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants et les mistrals gagnants..." 
J’étais sur le stand voisin de R. Je savais qu’il avait une maison ici, je savais qu’il arrêtait de boire depuis dix ans, je l’avais souvent aperçu le dimanche au marché, assis derrière un verre à la terrasse d’un restaurant en bordure de la promenade la plus fréquentée comme si on le mettait là en exposition. 
Du reste il semblait se laisser volontiers photographier tout en ayant le regard absent, pour ne pas dire vide… J'ai eu droit au même regard et tout le long du jour, je me suis demandé:
Quels vents soufflaient dans son grenier ?


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me souviens d’un acheteur, qui en ces lieux si bien décrits, avait craqué pour un lustre en fer forgé... des bougies bleues avaient remplacé les classiques ampoules ! Ce lustre éclairant notre amicale soirée sous la tonnelle avait fait plus de dégâts qu’une douzaine de pigeons...
Le lustre est-il revenu sur un étal de vide-grenier (s?) ? Vous le saurez dans le prochain épisode ... de J. à C. Pas si anonyme que çà

chri a dit…

@ J. Non non il est pendu au garage. Il ne s'est pas suicidé, hein il est juste comment dire: En attente.Et moi, m'est revenu un spectacle de Renaud au Grand Rex avec un grand arbre sur la scène... Une bien belle soirée...

Publications les plus consultées