26 mai 2020

Pardon pour tout

À ce lapin de garenne que j’ai vu bondir de peur à la lisière d'un champ de maïs au passage tout en fracas du Train à Grande Vitesse dans lequel je traversais le pays pour rentrer chez moi
À ce martin pêcheur que mon plongeon dans sa rivière si transparente, si froide et si magnifique a dérangé et fait fuir de son nid pendant de longues minutes
À ce geai que mon passage en bicyclette a fait décoller sous les frondaisons de bord de route
À ces fourmis sur la terrasse à qui j’ai enlevé les miettes tombées sur le carrelage pendant le repas ou sur la colonne desquelles, sans ni les voir ni les sentir, j’ai pu poser un pied ou deux
À toutes les truites dans cette rivière où je suis venu marcher et remuer le sable  troublant leurs terrains de chasse
À toute cette eau potable que je verse dans mes toilettes, à celle que je chlore, javélise, sale et qui surchauffe dans mes piscines d'un bleu artificiel
À ces écureuils, hérissons, insectes divers que ma bagnole a écrasés, heurtés, tamponnés, déchiquetés, aplatis
À ces chiens écrasés dont j’ai lu l’histoire sur des journaux jetables qui ont servi à emballer des poissons morts, à ces arbres abattus qui eux ont servi à fabriquer ces journaux
À ces chiens aimants mais abandonnées l’été venu, jetés aux bois comme des objets inutiles
À ces abeilles que j’ai empoisonnées avec mes pesticides et autres saletés chimiques pour croquer des carottes bien droites, d'un pur orange, à ces produits pour tuer les racines de liseron. C'est pourtant si fragilement joli une fleur de liseron
À ces veaux, porcs, vaches, poulets élevés en batterie sans espace, sans lumière, sans sol, aux os mous sans rien de ce qui devrait faire  leurs vies pour un moment de mon plaisir
À ces oiseaux de mer que j'ai plongés dans des flaques d'un vénéré liquide noirâtre et visqueux parce que mes bateaux qui le transportaient étaient des rafiots pourris pour que je voulais gagner, gagner et gagner encore plus d'oseille
À la barrière de corail, aux lagons, aux atolls, ces écrins de cent mille joyaux dessus et dessous que j'ai bousillé avec mes jets skis et mes hors bords et ma connerie dévastatrice d'humain
À ces endroits sur terre qui par ma faute sont devenus interdits à toute forme de vie: Three Miles Island, Tchernobyl, Fukujima, Bikini, Mururoa
À toutes les lagunes, aux lacs de montagne, aux glaciers, aux collines, aux vallons, aux clairières, aux sous bois, aux mousses, aux forêts, aux criques, aux plages, aux torrents, aux mares, aux étangs, aux deltas, aux méandres que ma grandeur et mon intelligence ont irrémédiablement souillés 
À ces tortues centenaires que j’ai empoisonnées, étranglées avec mes sacs plastiques que j'ai utilisés sans conscience et par flemme
À ces dauphins somptueux et intelligents que j’ai ramené prisonniers, mutilés, morts dans mes filets pour un dos de cabillaud frit
À toutes les pattes de crabe que j'ai amputées pour un si minuscule sourire de contentement
À ces Grands Singes dont j’ai détruit la forêt pour tartiner de la pâte de noisette sur ma tranche de pain grillée
À ces salamandres, et autres batraciens dont les zones humides où ils vivaient ont été asséchées pour y faire passer nos routes et autoroutes et pistes cyclables
À ces éléphants qu’un chasseur nanti a dézingué juste pour accrocher la tête à côté d’autres trophées dans son ranch aux Etats Unis d’Amérique
À toutes ces espèces que mon mode de vie a condamnées
À tous les peuples amérindiens et autres massacrés spoliés, virés de leurs terres par mon désir d'expansion, de conquète, de conversion
À tous les esclaves enchainés, à ceux qu'un dogme à brûlé le plus souvent au nom de l'amour, à tous ceux qui ont été méthodiquement exterminés parce qu'ils étaient eux
À la terre qui est si belle et que j'ai bousillé, à l'eau si précieuse que je gaspille pour que mon Audi 32 et ma Clio 28 GT rutilent, à l'air, qu'imbécile définitif que je suis, je ne pourrais bientôt plus respirer
À tous les George Floyd du monde qui à un moment n'ont plus pu respirer
À tous, à tout ce qui n'est pas cité au-dessus dont je suis également coupable et malgré la lourdeur sans nom de mon dossier qui est accablant, je demande pardon ! 

Pardon pour tout.








1 commentaire:

Nathalie H.D. a dit…

Aaaaargh, oui, c'est vrai, et que faire de tout ça.
Parfois j'ai honte du monde que j'ai contribué à abîmer, même si dès mes premières années de navigation j'ai appris à ne jamais rien jeter à la mer et à vivre avec une frugalité qui cochait déjà toutes les cases de la décroissance, j'ai aussi pris l'avion, fait des centaines de kilomètres en voiture et acheté pas mal de cochonneries en plastique. Aujourd'hui je me sens une grande responsabilité à suivre mes enfants dans leurs démarches zéro déchet ou consommation locale - je leur dois bien ça.

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