04 avril 2021

Et puis, un jour, Charlotte a eu cinquante ans

Au fond, pour dire le vrai du vrai, puisqu’il faut aller jusque là, je vais l’écrire noir sur blanc, une fois pour toutes : Trente cinq ans après, je ne m’en suis pas encore tout à fait remis. Bien sûr entre temps, j’ai eu une vie à vivre que j’ai plus ou moins vécue, enfin j’ai fait comme tout le monde, ni plus ni moins. J’ai croisé des gens, j’en ai perdu, j’en ai rencontré de nouveaux, je me suis fâché avec certains, j’ai été enthousiaste, déçu, aimé, dépassé, énervé, trahi, quitté, inconsolable, touché, fatigué désappointé, étonné, surpris, attendri oui oui tout cela et plus encore. J’ai eu des enfants, je les ai aimés sans savoir si c’était comme il faut, je les aime tout court et cet adjectif est bien insuffisant pour un si grand amour, ils ont pris leur place dans le grand manège et ils ont grandi, ils sont partis vivre leur vie, ils ont eu, à leur tour, des enfants qui, bien que ce soit inscrit dans la logique des enchaînements  restera un triste jour, partiront vivre la leur, j’ai perdu des proches et des lointains, j’ai eu du mal à me consoler de quelques uns avec qui j’ai choisi de continuer à vivre en faisant comme s’ils étaient restés. J’ai écouté un bon millier de fois" Un homme heureux" de Sheller, "Tu ne me dois rien", d'Eicher, "Ne me quitte pas", "Orly le dimanche,  ("Ils sont plus de deux mille et je ne vois qu’eux deux... »), "La solitude", "Puisque tu t’en vas" de Jamait. En boucle, j’ai écouté Romain chanter "Je me souviens" avec le si beau dernier vers: "Les paroles disaient que les gens quand ils s'aiment bien après qu'ils soient morts leur amour continue...", j’ai vu des dizaines de fois des films comme "Lost in translation", "Marie-Jo et ses deux amours" de Guédiguian, "Comment peut-on se sentir si forte d'aimer un homme et si faible d'en aimer deux...", "Manhattan", "Her", "Coup de foudre à Notting Hill", "Un jour sans fin", j’ai lu et relu les bouquins qui m’arrachaient des larmes de sang et me laissaient abattu, exsangue, étendu nu sur le carrelage glacé du salon, je suis passé des centaines de milliers de fois devant chez toi, même en sachant que tu n’y vivais plus, j’ai soufflé une bougie à chacun de tes anniversaires, en parlant de ça,  j’ai déposé un cierge presque dans chaque église où je suis entré avec cette pensée secrète qui a souvent chanté en moi, j'ai été favorable à la paix dans le monde (Mon côté Miss France, fleur bleue, caramel mou, je suis revenu vivre à l’endroit même où nous avions vécu trop brièvement quelques jours heureux, je n’ai jamais eu peur du ridicule en évoquant notre bien trop brêve histoire, j’ai rêvé de toi très souvent, j’ai écrit sur cette histoire, histoire de me rendre la douleur plus douce, ou au moins supportable, j’ai arpenté en long en large et en travers certaines rues où je pensais pouvoir te croiser tout en sachant que si je t’y croisais je tournerais la tête en faisant mine de ne pas te voir, sans doute poussé par la peur de ressentir une trop grande et bouleversante émotion, je me suis baigné un grand nombre de fois dans la même rivière que celle où nous nous étions trempés jusqu’au cou avant de nous dire au-revoir tout en sachant que c’était un adieu, je suis allé plus souvent qu’à mon tour traîner dans les ruelles de cette ville où nous avions passé quelques heures voire quelques  jours à nous courir après, à nous perdre et donc à nous faire  peur, je suis même retourné une ou deux fois fois vers ce lac de montagne que nous avions atteint après une si belle journée de marche. Toutes ces années,  j’ai remis mes pas dans les pas, mon cœur dans le cœur, mes yeux dans les yeux des amoureux que nous étions alors, il n’y a que mes mains qui, depuis n’ont pas touché grand monde et que mes doigts qui ne se sont pas tricoté avec beaucoup d'autres, je n’ai jamais cherché ni à revoir tes proches, ni à te revoir toi, sans doute pour ne pas m’immiscer dans ta vie, ce que je voyais comme un coin dans une bûche et peut-être aussi pour n’avoir pas à endurer une fin de non recevoir, j’ai fait de belles rencontres et manqué quelques trains, j’ai pris des avions pour nulle part mais en étant heureux de monter la passerelle, et, si j'ai aimé partir, j'ai plus encore aimé revenir, j’ai appris à faire la cuisine, j'ai aussi appris à aimer la faire, je connais le fonctionnement d’un lave-linge, je n'aime pas repasser, je sais changer un bouton, recoudre un ourlet, j’ai renoncé aux lingettes, j'ai mis une brique dans la réserve d'eau des wc,  je ne prends que des douches, je me suis allongé sur un canapé dans un austère bureau pendant de longues années, je m’y suis réconcilié un peu avec moi-même en me disant finalement c'est ainsi que j’étais et que ce n’était pas si grave, j’ai grossi, beaucoup, j’ai maigri, beaucoup, j’ai blessé parfois, je me suis laissé pleurer quand j’étais triste, j’ai ri aux éclats quand c’était gai, j’ai  préféré que les ambiances soient chaleureuses, bienveillantes, harmonieuses, j’ai été désolé, j’ai eu peur pour des proches, j’ai oublié des dates d’anniversaires, j’ai tenté d’apprivoiser la solitude en décidant de m’en faire une alliée fidèle, quoique  parfois bien trop exclusive, j’ai perdu des cheveux, des illusions, du temps beaucoup, j’ai attendu, trop, j’y ai cru quelques fois, je n’ai pas encore renoncé, mais un jour, un funeste jour, la terrifiante nouvelle m'est tombée dessus comme une avalanche de pierres, sans s'annoncer, sans prendre de gants, sans ménager, sans prévenir, sans signe avant tombeur: Un jour, hier, Charlotte Gainsbourg a eu cinquante ans… 

Alors, terrassé par l’événement, j’ai fini par admettre que, moi aussi, désormais j’étais vieux mais dans le fond du fond du vrai, certains jours, je suis prêt à jurer cracher, si par hasard on me le demandait, ce qui n'arrivera sans doute pas que je ne me suis pas encore remis ni de toi, ni de notre rencontre, ni de notre totale absence de lien autre que ces quelques jours partagés.







4 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est l'histoire d'un homme presqu'heureux qui mettait des S partout pour augmenter la réalité et ses joies.

:)

chri a dit…

Anne de Nîmes Y en aurait-il qui ne soient pas les bienvenus?

Anonyme a dit…

Oui ! :)

chri a dit…

Ah mincesssss

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