13 novembre 2009

S'en souvenir.

C'est une chaude fin de journée d'été, on avance dans le sirop de l’air comme dans une étuve étouffante, la rivière nerveuse étale sa fraîcheur sous terrienne, elle se donne des allures de jeune fille à l'approche de la ville pour qu'on oublie le gouffre d'où elle vient, elle offre sa nuque aux murs costauds des digues, une mère cane y surveille du coin d'un œil ses trois canetons curieux et agités, le vert des peupliers joue avec d'autres, ceux des algues ondulantes, une couleuvre d’eau comme une route de montagne s’insinue dans le clair de la vive, le soleil déclinant allume les dessous d’arbres d’un rose naissant, des bleus de libellules s'attardent sur des coupelles de verts, un souffle léger étincelle des tourbillons éphémères, un couple de hollandais rougis et embiérés s’en reviennent de baignade en parlant fort, des insouciances s’éclaboussent de leurs rires en cascades, d'un autocar géant débarquent des cyclistes belges au bronzage un peu ridicule, un chien fou follet charge une compagnie bruyante de poules d’eau, une cloche lointaine sonne les vingt heures et la tombée du jour, la mouche leurre de laine d’un pêcheur, droit dans ses cuissardes, habillé comme un sous-bois, planté dans le plein des draps du courant secoue, à grandes volutes, la moiteur de l’air, des intrépides crient en se pendant au bout d’une corde centenaire attachée à un platane aussi vieux qu'elle, puis se lâchent pour se bassiner dans le frais, quelques rainettes dérangées par les passages sautent dans la lumière et disparaissent à fortes cuisses sous les chevelures vertes et ondoyantes, les cigales amoureuses répètent pour le récital d’avant nuit, l’ombre d’un geai passe au tellement ras de l’eau que le bout de ses ailes s’enmouille, de la guinguette, pas loin, portées par une brise légère, arrivent des odeurs de cuisine qui ensalivent les bouches et parlent en œillades aux papilles, le bleu clinquant d’un Martin Pêcheur affole les alevins livides, une truite en chasse s’attarde derrière la cache d’une pierre, une chorale de crapauds en désirs, accorde ses voix pour un concert rauque, des peaux douces d'amants amoureux se caressent des souvenirs pour les soirs de solitude, une femme d’un autre âge soigne son arthrose dans une flaque de lumière et d'eau, un large chapeau de paille sur la tête pour moins souffrir du chaud, des martinets joyeux planent et viennent flanquer leurs becs à la surface comme des canadairs à plumes légères, un canoë de presque comanche glisse, laissant derrière lui des vaguelettes silencieuses qui s’en vont s’adoucir sur les berges comme des paumes de mains de mère, le musclé du frais nous passe entre les jambes et pousse à l’étonnement, alors, rafraîchi, séché puis réchauffé au soleil encore donnant, une cigarette aux lèvres on se pense qu’on vit un bel instant, on remercie le Partage de l’avoir offert, on se congratule, en silence, de savoir le vivre et de derrière une île, arrivent les notes d’une musique chaloupée, elles atteignent les oreilles attentives, en les tendant davantage, on entend la voix d'un Claude malheureusement épuisé mais qui fait mouche :
"L’eau de cette rivière fofolle mais pas farouche, l’eau si fraîche et claire vous met l’eau à la bouche, là on peut s’asseoir en l’écoutant jazzer, en cascadant sur les pierres usées… On s’y fond, on y ondule, là, quand on retrouve l’air libre, on sent que rien n’est plus beau que vivre… "
Ici, on engrange, pour les jours plus difficiles, la peau douce du bain béni, le cul posé sur une pierre, le pied droit battant la mesure comme un Mingus d'Assise allumé par les derniers feux du jour, un sourire vaguement niais accroché au coin des babines, comblé, une fois n'est pas coutume...

A 082
On a bien fait d’engranger… C’est maintenant, entre deux gifles de vent, trois claques de gel, dix coups de frais, qu’il nous vient l’envie de nous souvenir avec gourmandise de ces tendres soirées d’été passées…

7 commentaires:

yvelinoise a dit…

Le pêcheur à la mouche, aperçu tantôt est parfait à présent, plus vrai que nature, une icône !

Le reste aussi est bien peaufiné.
Le chien manquait dans le tableau.

Par ici il abandonne subitement son maître pour aller chasser des canards longeant tranquillement la Seine, puis il ressort de l'eau comme un fou et immanquablement vient s'essorer à côté de moi, au lieu d'aller rejoindre son maître en train de le siffler trente mètres plus loin. ;-/

chri a dit…

Les chiens s'ébrouent souvent tout tout près des humains... Leur côté domestique? Une volonté de nous réconforter? Leur espièglerie?

Lautreje a dit…

cent souvenirs à mes yeux, à ma bouche, pour toujours y revenir...

Anonyme a dit…

Au premier frimas, imprimer ce texte, ouvrir la fenêtre, prendre une pincée de ses lignes, émietter dans l'air frais, patienter quelques secondes.
Une onde tiède monte aux joues, picotements aux bouts des doigts, puis chaleur, puis sourire. Fermer la fenêtre. Vous pouvez sortir.

Slev

chri a dit…

@L'autre je: Y revenir mais sans tristesse.
@Slev Vous regrettez un peu de n'avoir presque jamais froid, hein? Dites?

Véronique a dit…

c'est un lieu que je crois reconnaitre ...

l'été prochain, il faudra vous souvenir de ces belles journées d'hiver aussi

chri a dit…

@Véronique: Ah ben dans ce sens là, ça ne fonctionne JAMAIS! Il n'y a pas un jour d'été où je me dise vivement cet hiver qu'on se gèle et qu'il fasse nuit à trois heures de l'après midi dans un blizzard de toundra... Mais alors JAMAIS!!!

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