En arrivant dans l’immeuble, l’enfant avait attrapé une boule rouge et
brillante accrochée au sapin installé dans le hall pendant l’après midi et
l’avait enfouie dans sa poche. En attaquant les dernières marches avant le
dernier étage, il s’était dit que ce soir, ils seraient peut-être là avant lui
et puis après avoir fait le silence sur le palier, il avait su que ce serait
comme les autres soirs. Alors, il avait sorti sa clé de son cartable et il
avait ouvert la porte, puis il était entré. Il avait sorti la boule de sa poche
et l’avait posée là sur la commode. C’était bientôt Noël et pour lui rien ne changeait.
Il avait filé dans la cuisine, à l’aide d’une chaise il avait attrapé
le pot de saleté à tartiner, une tranche de pain qu’il avait recouverte de pâte, il avait
ouvert le frigo, en avait sorti une bouteille de jus d’orange et il s’en était
vidé une longue rasade puis, sa tartine à la bouche, il avait traversé le long
couloir menant à sa chambre. D’un coup de pied il avait poussé la porte et il
était entré. Madame Flamand avait dû venir dans la journée, tout était si bien
rangé. Le petit bonhomme avait englouti sa tartine après avoir allumé le
superbe écran plat qui trônait sur un meuble et assis par terre sur une
moquette épaisse après avoir coupé le son, il s’en était désintéressé. Il avait
renversé la boite en métal dans laquelle il y avait ses figurines préférées, il
avait ouvert plusieurs livres, il avait descendu sur le sol une
étagère entière de peluches, il avait sauté sur le lit pour lui redonner un
aspect un peu moins ordonné et puis assis à nouveau, dans le silence de sa
chambre, il s’était ennuyé. Il n'aimait pas les soirées, mais il aimait encore moins les soirées d'hiver. Les autres saisons, il pouvait encore monter à l'étage au-dessus et jouer dans le jardin en terrasse, voir le vol des oiseaux, être dehors. Il s'y ennuyait moins. Enfin moins que ce soir. Il attendait un appel de sa mère. Tous les soirs,
vers dix huit heures trente, son portable sonnait. Il savait que c’était elle,
il savait aussi qu'après ce serait l’heure de la douche. Parfois, il en recevait un autre au
moment d’éteindre les lumières, mais celui-là n’était pas certain. Il dépendait
du temps qu’elle pouvait lui consacrer. Dès qu’elle avait raccroché après deux
ou trois phrases rapides pressées par le temps manquant, il allait à la salle de
bain et se lavait puis se mettait en tenue de nuit. Alors, vers les dix
neuf heures c’est la porte d’entrée qui sonnait et derrière, la voisine de
l’appartement d’à côté, Madame Krispolls, comme il l’appelait, s’y tenait un
plateau à la main. Il ouvrait, elle entrait et sans se baisser pour
l’embrasser, elle allait poser le plateau sur la table basse du salon. Il y
avait dessus son repas du soir. Un bol de soupe, deux morceaux de ce pain
suédois croquant et puis d’autres trucs à manger. Cuisinait bien la Krispolls? Se faisait livrer? Elle repartait presqu’aussi
tôt en lui disant de ne pas veiller, de se coucher à l’heure convenue et elle
disparaissait.
Voilà comment se passaient tous les soirs d'école de ce petit bonhomme là. Le
matin, il se réveillait seul, se levait
seul et sur la table de la cuisine, un autre plateau l’attendait. Il pouvait aller embrasser ses parents juste avant de partir mais s’il ne les réveillait pas c’était aussi
bien. Un taxi l'attendait en bas de l'immeuble pour l'emmener à l'école de l'autre côté du parc. En aucun cas il n'avait le droit de le traverser seul. Si le taxi ne venait pas, il devait remonter chez lui. Il n'avait jamais osé braver cet interdit, mais du toit terrasse, là haut il observait souvent la masse verte des arbres de l'immense parc. Un jour il le traverserait à pied cet océan Terrifique, je me le jure... Le vendredi soir, ses parents recevaient dans des diners interminables et là, il ne pouvait pas rester à table avec tous il fallait qu'ils parlent entre adultes. Il devait donc aussi les
laisser dormir le samedi matin et ne les voyait apparaître que vers onze heures
pour un « brunch » qu’ils prenaient ensemble et c’était un des rares
moments de la semaine, voire le seul où ils étaient réunis, mais il sentait bien que sa vie ne
les intéressait pas vraiment. Alors, il n'en disait rien.
Ce soir là, assis contre le montant de son lit, il racontait sa journée à un
tricératops en plastique vert quand il a vu sur le rebord de la fenêtre, à l’extérieur, un chat
noir se frotter à la vitre. La bestiole allait et
venait le long du carreau et semblait miauler à chaque fois qu’elle faisait
demi-tour. Bien qu’il n’ait absolument pas le droit d’ouvrir cette satanée fenêtre, on
était au sixième, il n’a pas hésité longtemps. Avec un immense sourire, il a
grimpé sur le fauteuil du bureau et l’a ouverte. Le chat, un tout jeune chat, a
sauté sans la moindre hésitation dans la chambre et est venu se frotter à ses jambes. L’enfant l’a laissé
faire. Puis la bestiole a sauté dans ses bras et s’est mise à ronronner comme
une chaudière au fuel. Le gamin s’est alors aperçu que le petit noir avait
une étoile dorée comme peinte sur le plastron. Une jolie étoile à cinq
branches toute brillante sur la fourrure noire. Un chat peint s'est-il dit ça n'est pas banal et ça l’a fait
sourire. En vrai, il était tout heureux de cette présence. Il est allé dans la
cuisine, il a posé une noix de crême à l'huile de palme sur une soucoupe et l’a apportée au chat
qui l’a léchée. Et puis, ils ont joué. Jusqu’à l’arrivée de La Krispolls. Juste
avant d’aller lui ouvrir, le gamin a mis le chat dehors. La voisine repartie,
l’enfant est revenu voir à la fenêtre mais le chat n’y était plus. Le gamin a
passé une sale journée : Et s’il ne devait pas revenir ? Et s’il ne
le revoyait plus jamais ? Il n’a réapparu que le lendemain soir. Et ce
n’est que là que l’enfant s’est aperçu qu'il n'avait pas affaire à un chat
ordinaire. Après avoir un peu joué ensemble, après la noix de pâte à tartiner,
les deux se sont posés un peu. C’est à cet instant que c’est arrivé. En le caressant,
l’enfant a pensé à un jouet qu’il aimerait tant avoir... Alors dans un pfffouiit
éblouissant, l’objet est apparu sur la moquette de la chambre. Un peu surpris
et quand même apeuré, l’enfant a, un peu plus tard retenté la manœuvre et même résultat. Quand il
caressait le chat noir en pensant à un jouet, le jouet apparaissait et le
bonhomme pouvait jouer avec. L’arrivée du plateau du repas a fait disparaître
tous les jouets nouveaux sous le lit du gamin. C’est le seul endroit qu’il a trouvé
pour les cacher mais la voisine ne rentrait jamais dans sa chambre. Et puis des
jouets, il y en avait déjà tellement
qu’on ne risquait pas d’en remarquer quelques uns de plus.
L’enfant a très vite trouvé le parti qu’il pouvait tirer de cette
rencontre avec le chat. Il allait en apporter à l’école et se faire des tas
d’amis. Le lendemain, il a glissé sous son blouson deux ou trois jeux vidéos qu’il avait obtenu en caressant le chat la veille au soir. Quand il a franchi la porte il a juste
entendu un pfffuiit et s’est senti plus léger. Les jouets avaient disparu. Il a
réessayé le lendemain et là encore, ils se sont comme évanouis. Les jouets ne
passaient pas la porte. Il devait les laisser dans sa chambre. Il devait être seul à jouer avec eux. Il ne
pouvait même pas le raconter à ses poteaux de l'école, ils ne l’auraient pas
cru. Peut-être même qu'ils l’auraient traité de vantard. Donc, il devait garder pour
lui tout ce qui arrivait avec le chaton. Vis à vis des autres, ça n’avait, alors, plus grand intérêt.
Il a été déçu quelques heures. Mais quelques heures seulement. Quand
il est rentré, le soir, le chat était là derrière la vitre et l’attendait. Puis le
soir suivant, puis encore le soir
d’après. Le vrai miracle de cette affaire bien plus fort que tous les jouets de la terre c’est qu’il avait maintenant une présence sûre, un ami avec qui
jouer, sur qui compter et qui pouvait compter sur lui. Evidemment, il s’en est occupé comme
il le fallait. Il a partagé son plateau repas et surtout, surtout il n’a plus jamais ressenti ce terrible sentiment de solitude
qui l’étreignait quand il rentrait de l’école.
Ce n’est que la veille de Noël que l’enfant s’est aperçu qu'en même temps que ses dons, le chaton noir avait perdu la petite étoile dorée sur son plastron...
Il ne l’a pas cherchée, il savait, désormais, où la trouver. Il savait que c'est en eux qu'elle brillait...
PS: Si ce petit conte avait la chance de plaire à quelqu'un ou quelqu'une qui aurait le talent et voudrait l'illustrer qu'il ou elle ne se gène pas...
PPS: Dans quelques jours il sera trop tard...
PPS: Dans quelques jours il sera trop tard...
20 commentaires:
très jolie chute, mais c'était déjà très bien avant
Pôv ti gaminou si seul ...Merci le chat .
Bonne fin de semaine
Les chats sont tous un peu magiciens. Je me souviens des étincelles de celui que j'avais étant enfant lorsque je m'enfermais avec lui pour le caresser et contempler ce feu d'artifice miniature qui jaillissait de sa fourrure.
Avec son don de matérialisation des souhaits, le vôtre a au moins trois grades au-dessus :)
Pas difficile de visualiser le décor de ce joli conte. C'est fort bien décrit. Un sixième sans ascenseur, c'est forcément un immeuble haussmannien. Enfin, c'est comme ça que je l'ai vu et que je le peindrais si j'en avais le temps.
« Il ne pouvait même pas le raconter à ses camarades d’école, ils ne l’auraient pas cru. » C'est un peu comme pour les rêves durant le sommeil : impossible de les partager réellement avec qui que ce soit. Sauf que les rêves, ont peut toujours les raconter. Ce que vous faites parfaitement, Chri. Merci pour celui-ci.
@ Tilia Merci à vous!!!
Je voyais, moi, une sorte de loft New Yorkais (graphiquement ça me séduit davantage!) avec un jardin en terrasse et des parents très très occupés qui laissent ce p'tit bonhomme grandir seul...
Une jolie douceur et puis je regarderai mon chat avec encore plus de bonheur !
Pile sur le thème de l'autre site d'écriture !
Belle soirée Chri
@ M Merci M! J'en connais un qui va être content! Mais quel est l'autre site?
"Au clair de la plume" Je suis jalouse tellement je rougne de ne pas avoir eu l'idée du jeu de mot et de ne pas avoir sû m'extraire de l'image !
@ M Il n'est venu qu'au milieu de l'histoire! Peut-être trop évident!
ah ! le voilà le joli conte de Noël Chri ! merci
cet amour là suffira t il à combler le terrible vide ? j'espère ...
une belle histoire et j'ai pris beaucoup de plaisir à la lire !
@ Véronique Merci. De belles fêtes à vous et aux vôtres...
Chat alors...
Ya qu'le p'tit bout d'la queue du chat
Qu'a pu peindre ça !
Jolie peinture (= jolie plume), en tout cas !
Ne pas chercher meilleure illustration : cette étoile dorée est un vrai porte-bonheur, à placer tout en haut du sapin, un talisman précieux, capable de tout transformer.
Pour cette fin d'année, comme pour celle qui vient, je forme pour vous les mêmes voeux qu'Apollinaire :
"Un chat passant parmi les livres..."
Qu'importe... en dilettante ou en short, au clair de la lune ou "au clair de la plume"...
Un chat a des pouvoirs magiques, il est capable de tout.
@ Odile Merci! Je suis d'accord avec vous pour les chats!
je kiffe le chat!
@ Anonyme: Alors je suis content!
J'aime tout ,le choix de vos personnages , cette amitié qui les apprivoisent , la ptite touche onirique ,cette étoile ,qui brille comme l'espoir au fond de la poitrine..
Merci Mr Chri pour toute cette poesie que vous mettez dans vos discours..
Passez de Bonne Fêtes bien sur..:)
@ Clo Merci à vous. Belles fêtes également!
C
Oh comme j'ai aimé ce conte!!!! Je n'ai pas réussi à voter. Est-ce trop tard?
Et l'illustration?
Dans quelques jours? C'est quand?
Joyeux Noël Chri!
@ Terre indienne: Mais il n'y a pas à voter pour lui, juste le trouver sympathique...
On vote pour les deux autres nouvelles en dessous chez Shorteditions jusqu'au 31, je crois!
De belles fêtes à vous
Un beau conte à peine irrél pour certain mioche hélas, j'espère que le chaton a des frères et soeurs pour apporter un peu de chaleur dans ce désert affectif... (madame Krisrol ne peux pas faire un p'tit effort et adresser un sourire et un bisous de temsp en temps ?)
j'aime les contes...et celui-ci me plait bien !
bon Noël
@ Josette: Merci, Josette!
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