Le soleil venait à peine de
disparaître derrière la verrière de l’immense Palais. Là bas, vers l'embouchure du fleuve, il commençait à plonger dans la mer. Le ciel de la ville était, ce soir
particulier, d’une splendeur unique. Dans l’air étonnament doux de ce début du
mois de Mai, flottait une invisible mais perceptible brume de bienveillance.
Les gens se souriaient, heureux d’être là où ils étaient. En harmonie avec le
ciel. Leurs pas comme leurs gestes ralentissaient, le temps les freinait, ils
levaient même les yeux aux nuages, ce qui d’ordinaire n’arrive jamais. Ils
prenaient le temps d’admirer le spectacle offert et ils se regardaient semblant se
dire : C’est beau, n’est-ce-pas ? Et ça l’était. Vraiment.
C’est dans l’ambiance douce
de ce paysage de printemps qu’une femme dans la quarantaine joyeuse marchait sur le quai, rive droite. Il n’y avait pas besoin de la connaître pour savoir qu’elle
s’était habillée avec attention, qu’elle n'avait pas enfilé ce qui lui était tombé sous la main. Elle s’était faite
belle avec élégance. Il faut dire que ça ne lui était pas difficile, elle
faisait partie de ces femmes qui peuvent tout porter mais à qui tout va. Au visage, elle portait un léger sourire disons naïf. Elle
se sentait en accord avec le ciel et savait maintenant que si on se tournait
sur son passage, ça n’était pas pour la moquer, mais bien pour en profiter
encore un peu. D’avoir conscience de l’effet qu’elle faisait lui procurait une
joie paisible et une confiance relative. Elle était comme une qui irait à un
rendez-vous important et ressentait un mélange trouble d'envie et d'appréhension.
Du reste, elle allait à un
rendez vous important.
Elle avait retrouvé son nom
sur internet et lui avait envoyé un mail. Il avait répondu assez vite bien
qu’ils ne se soient pas vus depuis vingt ans. Ces deux là ne s’étaient pas
quittés fâchés. Il n’y avait eu, entre eux ni
cris, ni larmes, ni menaces, ni ultimatum, ni déchirements… En
vrai, ils s’étaient quittés sans se le dire. Sans se dire qu’ils se quittaient.
Quand il avait déménagé, ils avaient simplement, douloureusement, peu à peu,
cessé de se voir puis de se téléphoner, puis de s’envoyer des messages courts, puis des courriels. Ils avaient même cessé de se souhaiter leurs anniversaires... Ils étaient allés, ainsi, d’échanges intenses et profonds à plus d’échanges du tout. Ils avaient navigué chacun de leur côté du bruit au silence et c'est lui qui avait
fini par envahir tout leur espace. Du bruit, on peut toujours en poser un petit,
dans un coin, une sonnette qui tinte, un chien qui aboie mais du
silence ? Une fois qu’il est là, dense, intense il n’est plus question
d’en ajouter ne serait-ce qu'une pincée, elle n’apporterait rien, elle ne changerait rien. Alors, ils avaient fini par
se résoudre à la densité de ce rien… De
vous à moi, ils s’étaient tus.
Jusqu’à ces dernières
semaines aucun des deux n’avait tenté
un jour de briser ce silence établi. Ils avaient traversé sans vraiment les vivre d'autres histoires, ils avaient vécu autre chose l’un sans
l’autre, l’un sans les mots de l’autre, l’autre sans la parole de l’un. Jusqu’à cette possible rencontre comme une retrouvaille, comme une espérance, comme un possible, un soir de Mai sur les bords de Seine parce que c’était un endroit où,
ensemble, ils aimaient marcher les coeurs dans les mains.
C’est là qu’elle allait.
Elle était à l’heure. Pile, souriante à l'idée de ce qui allait venir. Elle a attendu. Un moment, un long instant. Que le
ciel noircisse entièrement. Que la ville s’éclaire absolument. Que la foule se
dissolve, que la nuit s’avance... Vaincue par la déception et le froid, elle a renoncé. Elle est rentrée. Il n’est jamais arrivé. Il n’a plus jamais donné
signe. Il n’a plus répondu à rien venant d’elle… Il a sans doute eu peur de réveiller tout ça. Le silence est un anesthésiant puissant.
25 commentaires:
C'est du lourd, un concentré de ce que ton écriture maîtrise parfaitement : le plaquage. Et le lecteur a beau remettre la balle au centre, se dire bon, 20 ans c'était peut-être trop court, attendons 10 de plus, il sait au fond de lui que la partie est jouée. Imparable.
@ Slev Keske je suis content de te lire! Vous récupérez un peu de temps? Ca avance?
Ce qui signifie que leur histoire était vraiment terminée ...
J'ai noté une ou deux tournures qui me semble-t-il alourdissent la lecture de ton récit ...
Je ne serai peut-être pas la seule, du moins je l'espère ,à te faire la remarque .
@ Brigitte Qui sait quand une histoire est vraiment finie?
Dites moi lesquelles que j'améliore, si possible!
J'ai lu, jusqu'au bout, espérant une happy end et puis...mais la vie, c'est aussi comme ça, pleine de rendez-vous manqués, écourtés, reportés. L'histoire st très belle malgré tout.
Roger
Un silence tellement opaque, (que même la musique de "C'est pour dire" ne joue plus ) du moins a-t-elle pris "conscience de l’effet qu’elle faisait", ça compense un peu sa déception.
Bon, mais comment pouvez-vous imaginer qu'une femme dans la quarantaine soit moquée en raison de son âge ? enfin, c'est ce que j'ai compris...
J'oubliais : "étonnamment" serez plus correct, pour "l'air étonnement doux" :)
Encore une histoire qui n'aura pas lieu - histoire courte d'une aventure avortée. Remarquablement écrite, on l'aimerait plus longue. Mais une fois de plus les personnages ne se trouvent pas, ou se craignent trop pour oser vivre quelque chose ensemble. Plutôt le rien que la douleur du contact. Le ciel prend des couleurs magiques mais ils ne les verront pas ensemble...
@ Tilia Merci pour le a! Je vire mon correcteur orthographique qui ne m'a rien dit, lui.
On pouvait la moquer à cause de son sourire naï
f mais vous ne pouviez pas le voir, il est venu après votre passage...
@ Nathalie C'est exactement ça! J'ai eu un bon ami qui s'appelait Francis Beaumes... Il était escrimeur et kinésithérapeute en région parisienne...
Pour filer la métaphore rugbystique... Et la troisième mi-temps, hmmm ?
@ M ???
Chri tu as fait des corrections???
Je ne retrouve plus ce que j'avais remarqué ce matin !!!Bon alors c'est que je ne devais pas être suffisamment réveillée ,désolée.
Sinon à la place de "mais à qui tout va "j'aurai mis "et..... "
Et j'écrirais "lever les yeux" non pas "aux nuages "mais "vers les" .A voir et en toute modestie .
Bonne soirée
@ Brigitte Alors c'est que je n'ai pas trop mal "corrigé"! Merci, en tous les cas!
Ah je comprends mieux .
A plus
et moi, naïve étais certaine qu'ils se retrouveraient et que tout recommencerait comme avant, comme il y a vingt ans ...
j'ai jamais bon dans vos histoires Chri ! c'est pas juste ...
(la photo ... oh la photo ! comme j'aurais aimé la faire celle ci ! )
@ Véronique Depuis le temps que vous les lisez, vous devriez savoir qu'elles se finissent rarement comme ce serait bien!
L'image c'est quai de Seine vers l'ïle de la cité...
et ben, va falloir changer tout çà Chri !
@ Véronique: Trop tard!!!
Vingt ans après, encore enferrés dans un silence mortel... :(
"Mal à dire" = cause de tant et trop de maux et maladies...
Souhaiter que ce mannequin articulé déboulant les escaliers à toute allure, n'aille pas se jeter dans la Seine, son baladeur sur les oreilles.
>>> pas étonnant qu'il n'entende plus rien d'autre, avec ses écoutilles bouchées... :((
Me too, j'aurais aimé faire cette photo !
PS - HELP !
Suis prête à voter en short, mais, trop tarte, chais pas comment faire...
Pourtant, étonnamment (2n+a+2m), j'ai lu et relu la notice for use...
Toujours un peu bouchée pour cocher les cases... Mailez-le-me-le.
Dans le sens où pendant ce temps là (la 3e mi-temps), les protagonistes se détendent, parlent d'autre chose, plutôt que de ruminer sur la défaite, ou la partie médiocre, ou les "si" font une pause ; ou chacun essaie d'apaiser les tensions,...
Et c'est le sport auquel m'a fait penser le com' de Slev !
Capilotracté ? Sans doute...
@ M C'est plutôt bien vu! Il nous faudrait trois vies! A coups de vingt ans par ci vingt ans par là!!!
@ Odile en bas du texteBus Stop ou deux jours entre autres, il y a une case vote il suffit de cliquer dessus!
Merci pour tout!
Bah alors Odile j'y suis bien arrivée donc c'est aussi à ta portée ,Si si je t'assure .
Chri trois vies ? Une me suffit ,je trouve ...
Bon week-end Chri
@ Brigitte J'en vivrais bien trois moi... Deux autres derrière celle-là pour faire d'autres erreurs!
c'est un peu court, tout de même. Avec un titre comme vingt ans après, dumas faisait trois mille pages...
Marie.
@ Marie Oui, mais moi c'est Après vingt ans... Et puis je ne suis pas Dumas! A peine Ducon! :o)
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