12 février 2013

Les lisières.

Pour les Impromptus littéraires de la semaine. 
Le thème était: Les  lisières...


Jean n’avait presque pas parlé. Il avait juste tendu un trousseau de clé et lui avait dit : Tu y montes quand tu veux, le congélateur est plein, t’emmerde pas à faire les courses, reste autant que tu voudras.

Lui, il l’aurait embrassé. Il  l’a embrassé. A deux bras, et puis il était sorti. Il avait commencé un « merci » mais Jean avait mis un doigt en travers de sa bouche pour le faire taire. Accompagné d’un sourire, le doigt.

Il y avait débarqué deux jours après.
La baraque était en lisière de la forêt un peu au-dessus du village et il la connaissait par cœur. Bien avant eux, c’était une ancienne bergerie qui servait à abriter le troupeau pendant les transhumances, du temps où on les faisait. C'est qu'ici, on était déjà en presque montagne. Eux, ils y venaient en familles depuis des années et des années pendant chaque vacance. C’était devenu une maison familiale mais ils ne savaient même plus à laquelle des deux familles elle appartenait. Devant elle, un vaste pré vert dans lequel les bêtes paissaient le jour, avant d’être mises à l’abri au rez-de-prairie dans l'étable qui était devenue une vaste, rustique mais confortable pièce à vivre. Avec sur le tout le mur du fond une immense cheminée où l'on pouvait se tenir debout. Derrière elle, l’imposante barrière de la première rangée de sapins et puis, très vite le sombre et la profondeur de la forêt qui grimpait jusqu'au col.
Il y était arrivé en fin d’après midi. Il s’était dépêché d’allumer un feu. Il ne chaufferait pas les chambres du haut, il dormirait en bas, devant le feu, s’était-il dit. Très vite, la chaleur avait dissipé l’humidité de la maison que personne n’avait habitée depuis l’été dernier et comme l’automne avait été très pluvieux, les murs semblaient suinter. Il était monté là, avec Pax un bâtard sorti droit de la SPA mais qui ne savait pas aboyer et n’avait pas un énorme besoin d’affection. Du moment qu’un humain était dans le coin, ça lui suffisait. Il avait ouvert une boite pour Pax et lui avait rempli sa gamelle qu’il avait posée dans l’entrée. Pax y dormirait sur une couverture pour l’isoler du froid des dalles de pierres. Avant d’aller se chercher un truc à manger au congélateur, il s’était servi une rasade de ce qu’il avait trouvé dans le buffet. Un alcool comme un cran d’arrêt. Pour lancer la soirée.
Bien qu’il déteste, sans doute un reste de petite enfance, ces heures entre chien et loup, entre jour et nuit, ces heures où le soleil a abandonné les vivants et le noir ne les a pas encore dissimulés, ces instants où on ne sait pas si l’on peut se poser ou s’il est encore trop tôt, où l'on ne sait pas très bien quoi faire de soi ni des autres, il a passé une bonne heure le nez collé à la baie vitrée donnant sur le grand pré. Il a vu apparaître en plein ciel, vers l’Ouest, une demi-lune, ce qu’il a interprété comme un présage. Mais un présage de quoi, il ne l’a pas su vraiment. C’est un homme pas encore saoul mais en bonne voie, qui s’est nourri en cette fin de journée. Il a enfin pu repenser au matin où Lise lui avait demandé de se séparer quelque temps pour y voir plus clair, pour faire le point, parce que c’est un peu flou entre nous, parce que je ne sais plus si j’en ai encore envie, parce que je n’arrive plus à dire si je veux encore me battre, pour nous, pour nous ensemble… Voilà ce qu'il avait entendu ou à peu près. Il n’avait pas ajouté une phrase, ni même un mot, pourquoi faire ? Pour convaincre qui? De quoi? 
Quand on en est là, c'est que ça sent vraiment le roussi pensait-il au fond. Se taire c'était, aussi, n'en pas ajouter. Puisque je ne suis d'accord avec rien autant l'être avec tout... Quel crétin! 
Alors, il avait préparé son sac et s’était barré. Ils n’étaient pas encore séparés mais franchement ça commençait à ressembler à un truc dans ce genre.
C’est peu après son trop long monologue qu’il avait sonné chez Jean, son vieil ami de toujours. Son ami. Et Jean lui avait passé les clés d’ici, où il pourrait rester tant qu’il en aurait besoin.
Dans cette maison, à la lisière des bois.

Vincent se sentait à la lisière, de ce qui n’était pas encore, tout à fait un... lisier.
Mais, ça viendra, pensa-t-il froidement. 
Ça viendra.


Chiken cloud...

17 commentaires:

Tilia a dit…

Jean et Lise, encore un couple bancal !
Aragon aurait-il raison ?
Je préfère croire que les couples heureux n'ont pas d'histoire, ou du moins ne l'écrivent pas :)

chri a dit…

@ Tilia C'est amusant que vous l'appeliez Lise... Elle n'est pas prénommée! Mais c'est sans doute parce qu'elle l'a quitté Lise, hier...
Et le Jean, lui prête seulement sa maison.

Laurence a dit…

Pfiuu... Il me donne le bourdon ton héros. Et en plus, il ne m'est pas plus sympathique que cela ... juste une intuition me diras-tu ;) Mais les héros, ce n'est pas fait pour être forcément sympathique, c'est fait pour réagir et là ... en plein dans le mille !

M a dit…

En termes de border-liners je préfère les petites touches pour éviter de m'y frotter trop fort plutôt qu'un bain lysergidien dont on ressort... essoré. Enfin aujourd'hui !
Beau texte qui fait surtout sentir la colère.

chri a dit…

@ Laurence Désolé pour le bourdon...
@ M Un bain lysergidien? Merci pour le mot!!! Mais rien ne vaut un bain debout.
Le thème était les lisières: j'ai visité!

Unknown a dit…

Jean et Lise, c'était j'enlise bien sûr, ce qui convient bien au lisier-lisière je trouve.

Bon il est mal parti notre Jean, c'est sûr. Que va-t-il faire de ce temps en suspension? Probablement rien. Il redescendra dans la vallée pour trouver qu'elle est partie ou qu'elle lui demande froidement de faire ses bagages. Une parenthèse avant de replonger dans le cloaque. Peut-être un jour reviendra-t-il au chalet avec une nouvelle belle ? Je le lui souhaite.

Brigitte a dit…

Fin d'une histoire ,était-elle belle?
Bonne fin de semaine

chri a dit…

@ Nathalie Oui, oui, on le lui souhaite!

@ Brigitte Au moins cette certitude possible: ce n'est pas parce qu'elles finissent qu'elles ne sont pas belles, les histoires!

Anonyme a dit…

tiens, ça marche aujourd'hui. Lise, ça vient du Lituanien "lisa" qui signifie "ornière". Pas étonnant qu'il se soit embourbé !
Marie

chri a dit…

@Marie: Ma fille s'appelle Lisa... Une ornière, ma fille? C'est le froid qui t'égare?

Brigitte a dit…

Oui mais tu vois, j'ai du mal à imaginer une belle histoire prendre fin ...Mon côté romantique peut-être ???
Cela existe certainement ...
Bonne journée

chri a dit…

@ Brigitte Mais déjà TOUTES les histoires finissent d'une façon ou d'une autre... Bonne journée aussi!

Anonyme a dit…

m'enfin, où avais-tu la tête ?
(non, ne me dis pas)
Marie

chri a dit…

@ Marie Tu as raison... Vaut mieux pas!

Brigitte a dit…

Hé oui toutes ,ont une fin ,c'est inévitable car c'est la vie ...Pfttt

M a dit…

Il vint sans Lise et finit... plumé comme le poulet de la photo ? Parce que c'est l'effet qu'il donne celui là !!!

chri a dit…

@ M Ah enfin quelqu'un mange du poulet et passe par ici!!!

Publications les plus consultées