07 août 2013

En descente.


C’est au moment précis où il est sorti du bureau de son oncologue préféré que l’idée folle lui est venue...
Il venait de ne pas hurler de joie en apprenant que cette fois on ne parlait plus de rémission mais de… guérison. D’une certaine manière, il avait eu de la chance avait ajouté l’autre. Lui, se disait seulement qu’il avait gagné. Enfin.
Et pourtant, au départ de tout, ses affaires avaient été très mal engagées… Une vilaine tumeur, détectée un peu tard. S'il en était passé à deux doigts, ce sont quatre années de sa vie qui, elles, venaient de s’écouler. Pratiquement seize saisons de combats acharnés… Quatre ans presque perdus à jamais. 
Enfin pas tout à fait vraiment… Il en avait plus appris sur lui pendant cette période qu’en quarante ans de vie.  Pour combattre cette saloperie, ne pas se laisser coucher par elle, pour ne pas se laisser ni envahir ni anéantir, il était allé chercher en lui des forces qu’il ne savait pas posséder. Il s’était découvert guerrier... d’entre les guerriers. Quoiqu’il ressente, quelles que soient les douleurs, les « désagréments », comme on disait pudiquement des chimios, il avait été vaillant. Debout et vaillant. Il avait fini par faire l’admiration de son entourage et même de l’équipe soignante qui en avait pourtant connu des luttes mémorables.
Lui, ça avait été simple depuis le début, depuis l’annonce des ses résultats, il avait un cancer, bon d’accord, mais il allait le terrasser. Point final. Ce n’est pas cette saloperie qui l’abattrait. Repoint.
Avant même de perdre ses cheveux, il s’était rasé et s’était surnommé Yul. Il avait fait une coquetterie d’un effet secondaire. Il avait joué sur le même registre tout les temps de sa bagarre. Pour en arriver à ce jour où l’autre lui avait annoncé qu’il était guéri.
C’est en remontant dans sa voiture, qu’il avait pris la décision : Puisque guéri, je suis, dans un an, jour pour jour je monte le Ventoux à vélo.
Il avait vu un reportage à la télévision sur le Géant de Provence et l’attrait que cette montagne avait pour ceux qui pédalent qu’il avait trouvé que c’était un beau challenge, un autre objectif à atteindre. Certains sont faits comme ça et ne peuvent vivre sans. Il allait s’en offrir un, il allait se renseigner, puis s’y mettre. Il avait une année pour y parvenir. Il ne fallait pas perdre de temps.
Toute cette année, il avait roulé à chaque fois qu’il le pouvait il avait fait trois ou quatre sorties par semaine de plus en plus longues en durée, de plus en plus dures en dénivelés. Il s’était fait une jolie bande de potes à qui il avait raconté son histoire et qui avaient décidé de l’accompagner. Ce serait pour  Aout prochain.
Tout s’était passé comme il avait prévu. Il n’était pas du genre à transiger, il n'était pas de ceux qui prennent les tangentes, qui esquivent.
L’avant veille ils avaient débarqué dans la petit village au pied du mont. Ils étaient une petite dizaine, leurs femmes étaient restées à la maison. La veille ils avaient fait une sortie de reconnaissance sur les cinq ou six premiers kilomètres, à faible allure, pour sentir le fauve, tranquilles. Le bon jour, ils avaient décidé de monter plutôt vers la fin de l'après midi afin d'éviter le plus fort des grosses chaleurs. Ils étaient partis du dernier village qui précède la montée elle-même. Une vingtaine de kilomètres avec des pentes à un pourcentage effrayant mais ils s’en fichaient pas mal, ils étaient en forme,  entraînés et surtout prêts à souffrir.
Quelques heures après, quelques litres de sueurs plus tard,  ils étaient arrivés presque ensemble en haut dans une sorte de joie profonde. Ils avaient réussi. Ils avaient bu, regardé le paysage de là-haut qui coupait le peu de souffle qui leurs restait. Ils s’étaient essuyés, chaleureusement embrassés, ils avaient mangé une ou deux barres de céréales puis ils s’étaient tus en se regardant avec admiration. Surtout, ils l’avaient regardé lui avec une admiration immense. Finalement c'était grâce à lui, tout ce bazar.
Puis, le jour déclinant, il avait fallu repartir. Ils lui avaient dit de prendre de l’avance, à lui l’honneur d’entamer la descente.
Et c’est un type profondément heureux, bourré d’endorphines qui s’était avancé dans la première pente. Il s’était laissé glisser sur le bitume comme un oiseau prend son envol… 
Peu après le troisième virage, grisé par sa vitesse et le vent qui le rendait si vivant il en avait fermé les yeux de bonheur…

C’est sans doute pour cette raison, ont dit les sauveteurs, qu’il n’a pas vu la moto montant vers lui à pleine puissance…

 ________
Vaucluse Matin.
Ventoux: deux morts dans une collision.

PUBLIÉ LE VENDREDI 02 AOÛT  À 23H26.
Deux hommes ont perdu la vie ce soir, vers 19h30, sur les flancs du Mont Ventoux. Il s'agirait d'un cycliste et d'un motard qui se seraient percutés de plein fouet à environ trois kilomètres du point culminant. Ils sont décédés sur les lieux.



6 commentaires:

Michel Benoit a dit…

Un véritable cancer, ce Ventoux...
On devrait raser toutes les montagnes.
o.O

chri a dit…

@ Michel Oui, les aplatir!

:O)

Brigitte a dit…

Il est mort heureux ...C'est déjà énorme, peut importe le moment ...

Anonyme a dit…

Si ça se trouve, tout le long de la montée, il se chantait "plus près de Toi".
Marie.

Anonyme a dit…

oui, je me la chante chaque fois que je laisse le volant à mon fils -)
Marie

chri a dit…

@ Brigitte C'est un peu con pour lui, quand même!

@ Marie Ah... tu la connais?

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