11 novembre 2013

Ti voglio tanto bene.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Le thème était l'abandon, une maison vide, un mot laissé avant de partir.

Après avoir lu le mot écrit à la main d’une écriture dessinée et mis en évidence contre une boîte de céréales posée sur la table, il l’a froissé dans sa main puis l’a jeté dans la poubelle, sous l’évier. Il a failli se demander pourquoi, dans les cuisines, les poubelles étaient le plus souvent sous l’évier, mais la question l’a vite  quitté.
Et, même, s'il a trouvé le procédé disons léger, il lui a rendue grâce de ce mot là. Au moins, il avait épargné les cris, les larmes, les portes qui claquent, les armoires qui se vident, les sacs qui se remplissent, enfin, tout ce théâtre qui n'ajoutait jamais rien de bon à une situation déjà suffisamment compliquée, si douloureuse à vivre. Il s'est cependant dit qu'elle aurait pu se dispenser du passage en italien à la fin de son petit message: "Ti amo, ti voglio tanto bene..." Ca c'était peut-être en trop... Tout le monde, dans la maison, savait bien qu'elle était née pas très loin de Morlaix...
Puis, il est allé jusqu’au réfrigérateur, il en a sorti le pack de jus d’orange et s’en est versé un verre. Alors, il  s’est assis devant un bol de café fumant et en voyant les croissants il a avancé la main vers eux pour les toucher. Ils étaient chauds. Elle est quand même descendue chercher des croissants avant, s’est-il dit, donc tout n’est peut-être pas perdu... Oui, il arrive qu'en cas de chute, on se foute pas mal de la taille de la branche... Puis, il a pris son petit déjeuner dans le calme de la cuisine. Dehors, des rafales d’un vent de colère frappaient aux carreaux qui s'en démastiquaient,  les dernières feuilles encore accrochées aux sommets des arbres n’en finissaient plus de lâcher prise et tombaient en pluie sur le vert de l’herbe. Le ciel, si sombre ces derniers jours s’éclaircissait en bleuissant au fur et à mesure que les nuages se balayaient avec rage. Déjà, la pluie giflante du petit matin avait cessé. Finalement, il allait, sans doute, faire une belle journée. Il a bien entendu repensé aux années qu’ils venaient de vivre et surtout à ces six mois d’avant. Il y a repensé avec force en essayant de ne pas trop s’appesantir sur les instants délicats, les querelles stériles, les incompréhensions déroutantes, les conflits étouffés, les différences de point de vue, les craintes à propos de l’avenir, de l’argent qui, parfois fait défaut, les projets à engager, ceux qui sont laissés pour compte, les rêves largués en route, les concessions à faire, celles qui se refusent, la bienveillance qui s’estompe, la colère qui sourd, les ressentiments qui grandissent, les mots qui se raréfient, la tendresse qui durcit, les caressent qui s’absentent, les malentendus qui se crispent et cette fatigue qui accentue tout, finit par tordre l’idéal qu’on s’était inventé et auquel, malgré tout on s'accroche dur comme fer... 
Bref, la vie de couple dans toute sa splendeur tragique.
Ah! Comme il fallait être solide pour encaisser ça...  Ah! Comme il fallait vraiment le désirer encore plus que tout... Ah! Comme il fallait une résistance surhumaine pour ne pas sombrer et lâcher l’affaire dès lors qu’elle s’engageait si mal…
Il en était là de ses sombres réflexions quand il a entendu les marches de l’escalier craquer. Il s'est repris.
Ils sont descendus ensemble comme ils le faisaient les jours sans école. Après leur réveil, le petit venait dans le lit de sa sœur. Là, la plus grande lui lisait souvent un livre ou deux avant de se lever pour de bon. Ils sont arrivés l’un derrière l’autre dans la cuisine et m’ont vu seul assis à la table. Après un temps, ils ont demandé presque d’une même voix :
___ Et maman, elle est où, maman ?
J'ai rassemblé quelques forces qui me restaient et j'ai tenté:
___ Elle est partie pour quelques jours, maman... Heu, elle avait besoin d’air… Mais, je suis là. Nous sommes là, ensemble et on va se battre, on va faire ce qu’on peut pour lui redonner l’envie de nous…
Le petit a coupé:
___ Encore?
La grande a répondu:
___ Hé oui, encore! C'est bien notre veine d'être tombés sur une maman qui a sacrément la bougeotte...


Alors, je me suis levé et je suis allé vite fait dans la salle de bain m’essuyer le visage et surtout les yeux qui commençaient un peu trop à rougir…






11 commentaires:

*Terre indienne* a dit…

J'ai bien accroché avec le début. Ce côté très "Chri" avec une gestuelle qui s'accroche au quotidien, qui se fout du fond triste ou dramatique, les personnages un peu grinçants que vous aimez décrire, mais j'ai moins aimé la chute, car les enfants du coup remplissent la maison qui, vu le thème, devrait rester vide. (et vous avez réussi, malgré les croissants chauds, à me faire ressentir le vide de la maison).

Voili voilà, bonne journée Chri!

M a dit…

Ce qui me touche particulièrement ici, c'est la rupture dans la mise à distance. Tu passes au "je" comme un uppercut et on arrive au cœur du sujet, sensible s'il en est...
Alors, arrive l'identification, et avec elle, l'émotion.
Parfois, je me demande comment tu sais tout ça, tellement tu touches juste ! Je sais qu'on invente rien, que ces choses là sont partagées par beaucoup... J'admire quand même !

Tilia a dit…

M a tout dit et moi aussi j'admire ce texte. Il me touche d'autant plus que tous mes petits-enfants ont plus ou moins vécu ce genre de situation, à la grande différence que c'est leur père qui a fait la valise.
La vie n'est pas un long fleuve tranquille.

chri a dit…

@ Terre Indienne Merci, ce que je ne voulais pas c'est aller dans le "théâtre" des cris et des pleurs... A moitié réussi, alors...

@ M Et Tilia Merci, merci. Oui, on n'invente pas grand chose!

Tilia a dit…

J'ai oublié : jolie stilleven, la photo :-)

odile b. a dit…

Interprète qui peut !... :-/
Un p'tit mot placé, cette fois-ci, non pas sur la porte du frigo, mais... à côté des croissants chauds... De quoi faire passer la pilule ou... dégoûter à tout jamais des viennoiseries...
Évidemment, le plus hard c'est de pour réagir au moins mal face aux petites têtes blondes qui n'y sont pour rien, mais qui, pour autant, n'en perdent pas une miette... (des croissants, comme de la situation...)
Ah : "l’idéal qu’on s’était imaginé et auquel, malgré tout, on s'accroche..." !
Dites ces mots Ma vie et retenez vos larmes...
L'oeil demeurant, malgré tout, sensible aux feuilles mortes qui se détachent (qui se ramassent à la pelle...), mais aussi à la pluie qui cesse, au ciel sombre qui s'éclaircit et même bleuit... L'essentiel devenant alors l'espace bleu entre les nuages, annonciateur "d'une belle journée"... De toute manière, pas beaucoup d'autre choix que de prendre le temps... "comme il vient" !

odile b. a dit…

Se délecter de beau. Se faire une belle table, avec ou sans viennoiseries, pour le p'tit dèj :-)

chri a dit…

@ Odile Merci...

Brigitte a dit…

Lorsqu'il y a séparation ou abandon de l'un des parents ce sont toujours les enfants qui trinquent !!!
Et ça: "c'est pas du juste" dirait mon dernier petit fils ...
La vie est cruelle parfois,souvent, cela dépend des périodes de la vie.
Bonne soirée

Laurence a dit…

Bonjour Chri !

J'avoue que j'ai été un peu déroutée à la lecture de l'histoire. Quoi, un mot d'adieu ? Mais en même temps des croissants chauds, un mot d'amour ? Oui, c'est bien cela, une femme décidément inconstante (ou disons qui ne sait pas ce qu'elle veut) qui en fait voir de toutes les couleurs à sa famille. Elle est triste cette histoire ...

chri a dit…

@ Laurence.
Toutes les séparations sont un peu tristes... Les mises ensemble sont plus joyeuses, oui.

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