03 novembre 2013

Si lents cieux.

Pour les impromptus littéraires. Le thème de la semaine était le silence mais le mot ne devait pas être écrit.

Ils sont sortis du refuge alors qu’une faible clarté époussetait l’horizon. Ils se sont équipés sans un mot,  exécutant les gestes comme des marionnettes au bout d'une ficelle. À trois heures du matin, quand on en a dormi deux on est  rarement bien éveillé. Ils avaient levé les yeux au ciel et s’étaient convaincus que la journée serait belle. Le vent qui, hier encore, les obligeait à baisser les bustes en marchant, avait calé. Au dessus d’eux, un tapis d’étoiles toujours brillantes n’allait pas tarder à s’éteindre. Ils ont bu en café, ils  se sont chargés de leurs sacs si lourds et se sont mis en route. Ils en avaient pour six heures avant d’arriver là-haut. Ils connaissaient l’itinéraire par cœur et ils auraient pu l’emprunter les yeux fermés. Ils y venaient au moins une fois tous les deux ans. Ensemble, les deux seuls il faut lire. Ils prenaient trois jours de leurs vies et ils montaient là-haut. Une promesse qu’ils s’étaient faite, à laquelle ils n’avaient jamais dérogé depuis son adolescence et cette saloperie de maladie qui avait failli l'emporter. Ils n'avaient trouvé que ça pour remercier le ciel. Quels que soient les évènements de leurs vies, ils avaient toujours dégotté trois jours pour se retrouver. Tous les cinq six ans, ils changeaient de lac mais l'idée restait la même: Passer trois jours ensemble, là-haut comme les trois jours et nuits qu'il avait passé l'un entre la vie et la mort, l'autre à ses côtés. 
Ils ont marché quatre heures avant la première pause. Leur progression baignait dans le calme tranquille d’un paysage à couper le souffle et même s’ils le connaissaient sur le bout des cils, ils ne se lassaient pas de l’admirer. De temps en temps ils s’arrêtaient, s’essuyaient le front suant et regardaient autour d’eux puis se fixaient émus, souriant certains d’avoir vu les mêmes magnifiques choses. Alors, comblés, ils reprenaient leur sentier sans avoir prononcé un seul mot. Du reste, les mots étaient devenus inutiles, ils s’effaçaient humblement devant tant de beautés. Et les bruits même s'estompaient. Pendant la montée,  seuls les accompagnaient les sifflements stridents des marmottes prévenant de leur avancée et de temps à autre le bruissement lointain du flot d’un torrent qui, sur l’autre versant, s’écoulait. Leurs âmes, peu à peu, comme le ciel, s’épuraient…
Ils sont arrivés aux rives du Laramon vers le plein du midi. En dessous d’eux, le lac, celui qu'ils venaient voir, leur but, comme une évidence bleutée aux reflets argentés. Le ciel entier s'y reflétait. Une merveille absolue. Ils ont posé leurs sacs et se sont assis à même le sol, les dos contre les pierres. Ils ont sorti des sacs un thermos de thé et des barres de céréales et les ont entamées.
Puis, déchirant d'un trait la chape,  l’un des deux a lancé dans l'air tremblant :
___ Y a pas à dire, c’est beau.
L’autre après un long moment a répondu :
___ Au fond, tu es un sacré foutu bavard, toi.
Puis, est venu:
___ Les chats ne font pas des fraises...

Alors, ils ont souri.


25 commentaires:

Anonyme a dit…

chut !
j'ai lu, j'y étais .. que dire de plus Christian ?
certains paysages imposent oui le silence et j'aime çà.

véronique a dit…

zut j'ai cliqué sur "anonyme"
voulais je inconsciemment rester silencieuse :o)

véronique a dit…

et puis quelle photo encore ! ou est ce ?

chri a dit…

Merci Véronique! C'est le lac dAnnecy vu de la plage de Talloires...

Tilia a dit…

"Les chats ne font pas des fraises."
Silence.. la queue du chat balance :))
Dans un premier temps, auréolé de mystère, le taiseux est attirant. Ensuite, à moins d'être de la même nature que lui, son éternel silence devient vite lourd à supporter. Contrairement à celui des hautes cimes, le silence de l'être aimé ne doit pas être total. Sinon, pourquoi donc aurait-on inventé le langage des signes à l'intention des sourds (pardon, des mal-entendants) ?
Au commencement était le Verbe.. parait-il.

chri a dit…

@ Tilia
C'est le verbe être qui était au commencement?

Tilia a dit…

Plutôt le verbe "parler" :)
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. » (Jean I, 1)
Dans le texte grec, ce qui est traduit par le Verbe dans certaines éditions de la bible, c'est le Logos (la Parole).

chri a dit…

@ Tilia Merci de répondre si sérieusement à mes bêtises!!!
:-)

Tilia a dit…

Pour moi, Chri, vos écrits sont choses sérieuses. J'aime bien tenter d'imaginer le commencement de l'univers.

Moins sérieusement maintenant, faites tourner votre photo du lac d'Annecy de 90° dans le sens horaire, cela donne une image étonnante, je trouve.

chri a dit…

@ Tilia Alors merci de les prendre au sérieux! J'ai fait c'est surprenant! Vous y voyez quoi, vous?

Brigitte a dit…

Il est dit que le silence est d'or mais trop de silence étouffe ...
Devant un tel paysage ,il s'impose de lui-même !!!
Annecy et son lac ...Superbe photo
Bonne semaine

chri a dit…

@ Brigitte Merci à vous!

M a dit…

Rien de mieux qu'une jolie grimpette pour vider les sacs lourds sur les pentes et se retrouver un peu plus limpides tout en haut, au chaud des sentiments partagés.
J'aime beaucoup l'expression "ils le connaissaient du bout des cils "

chri a dit…

@ M Merci, M!

chri a dit…

@ M PS Je connais d'autres trucs mais ils sont inabordables!

Tilia a dit…

La photo du lac tournée de 90°... j'y vois un moine encapuchonné, méditant avec les deux mains croisés dans ses manches et la tête penchée vers l'avant.
Mais l'habit ne fait pas le moine.
C'est peut-être l'Esprit de la Montagne sous un déguisement...

chri a dit…

@ Tilia Oui c'est également ce que j'y voyais! Un fantôme des nombreux moines ayant vécus au bord du lac...

odile b. a dit…

Accord parfait. Belle complicité qui se passe de mots...
L'un et l'autre retenant leur souffle, les cinq sens en haleine, abasourdis par le calme,
bouche bée devant tant de beauté, de paix et de tranquillité, muets de béatitude...
Piano, forte, mezzo forte... on l'entend, le silence qui s'impose.
La photo illustre bien le propos.

odile b. a dit…

PS
La montagne, et particulièrement un lac de montagne invitent à la contemplation et laissent sans voix...
J'ai le souvenir de beaux moments comme ça, goûtés dans le calme avec nos deux garçons, jeunes et pourtant habituellement tapageurs. On était tous devenus addict aux randonnées en Vallée de la Clarée (Névache, celle d'Emilie Carle, dans le Briançonnais), avec, chaque fois, un lac pour but. Chaque fois, c'était l'extase, la récompense après la montée difficile. On pique-niquait souvent sans un mot.
J'ai le souvenir de ce panneau de bois, près des chalets de Foncouverte où avait été gravé le "Cantique de louanges de Saint François d'Assise"
"pour Messire frère soleil, pour soeur lune et les étoiles, pour frère vent, pour l'air et les nuages, et le ciel pur, et tous les temps, pour soeur eau, pour frère feu, pour soeur notre mère la terre...")

odile b. a dit…

PPS
(Émilie CarleS avec un S)

Je reste admirative et pantoise devant v
otre galerie de photos, découverte via Les Impromptus. Promenade jubilatoire où je me suis régalée en retenant mon souffle !...

Laurence a dit…

Heu ... je vais parler mais tout doucement ... et puis non, ça ne sert à rien. Je souris et ça suffit amplement !

chri a dit…

@ Odile Vous m'aplatissez le coeur!

@ Laurence Un sourire, juste! Je prends volontiers!

chri a dit…

PS Odile La vallée de la Clarée est une des mille merveilles du monde! Un monde d'avant les mondes où des enfants blonds gambadent dans les prés fleuris auprès de chiens patauds et souriants...

odile b. a dit…

Ça veut dire quoi : "aplatir le cœur" ???
- qu'il était gros, avant ?
- qu'il était chiffonné ?
- c'est pas... "écraser" le cœur, au moins ?
- ou... le "crever" ?... :-(
Je repasserai voir ce que vous en dites plus clairement :-)

chri a dit…

@ Odile Le serrer si vous préférez! Pour dire que vous m'avez touché, quoi!

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