02 avril 2014

A l'anglaise...

Il n’a soufflé un brin que lorsqu’il a débouché en tête au sommet de la dernière bosse. 
Toute la dernière montée il l’a faite en apnée ou pas loin. Il n'avait décroché le croate et le vénézuélien que vers le haut. Il était rouge comme une tranche de thon albacore et désormais bien entamé mais en tête. Il entendait déjà les hurlements qui venaient d’en bas, de la ligne d’arrivée. Alors, il s’est vu soulevant son engin pour la quatrième fois en passant LA ligne. Les autres étaient loin derrière, il ne sentait pas leurs souffles rauques dans son dos. Une fois encore, il les avait dégoûtés. Décidément, ils n’étaient pas de la même espèce. Lui, était un surhomme. Un de ceux qu’on admire et qu’on soupçonne, aussi. Mais on n’avait jamais rien trouvé de répréhensible. Il était d’un autre moule, d’un de ceux qu’on ne rencontre que très rarement. Dur au mal, presque insensible à la souffrance il était capable de supporter des séances d’entrainement deux fois plus éprouvantes que les autres et des produits que seul son médecin particulier connaissait et en course ça se voyait... Là où les autres flanchaient, lui commençait à s’animer. Il finissait par les écoeurer. Alors, ils lâchaient prise et le laissaient partir seul. Devant.
Et lui terminait sa course, boueux comme les autres mais passant la ligne en levant son vélo au-dessus de lui comme un trophée. Premier comme d’habitude.
Dans une généreuse campagne anglaise, grande banlieue de Londres, baignée de verts pimpants, la course qu’il allait gagner dans quelques minutes serait sa quatrième médaille d’or olympique d’affilée. Sa quatrième. Douzième année d’un règne sans partage. Et entre temps, il avait tout raflé. C’est simple il n’avait perdu que les courses auxquelles il n’avait pas participé. Alors, il a pris le temps de revoir ses triomphes, de se les remémorer, de se rappeler les podiums, les interviews, les images de toutes ses victoires et c’est là que tout a commencé à merder. Dans l’avant dernière portion de descente, une pente un peu plus raide encore tout cela lui a semblé d’un dérisoire à pleurer, d’une vanité folle.  Toute cette gloire, approchée de près lui est soudainement apparue absolument déplacée, si inutile. A-t-elle empêché qu’il soit quitté ? Non. A-t-elle empêché que ses enfants s’éloignent de lui ? Non. L’a-t-elle assuré de la sincérité de ses amis ? Non. L’a-t-elle rassuré sur sa propre valeur ? Pas plus. A part un confort matériel que lui a-t-elle apporté qu’il ne puisse pas perdre ? Rien. Rien. Rien. Alors, un sentiment de vide immense l’a attrapé à la gorge, lui a coupé le souffle et  raidi tous les muscles. Aussi dur qu'un cube de béton vibré.
Aussi, il n’a pas été fichu de négocier le dernier virage, il a coupé droit dans la forêt, il s’est échappé de là. Bien entendu, il n’a pas franchi la ligne. Il a continué de pédaler ses forces revenant au fur et à mesure qu’il s’éloignait de la foule hurlant.
Il n'accrocherait pas la quatrième à son cou. Pourquoi faire? Les trois autres breloques ne l'avaient pas rendu plus heureux.

Un pêcheur à barbe blanche du plein Nord de l'Ecosse l'aurait aperçu quinze jours plus tard qui, assis sur un rocher dans les environs de Rhiconish, un large sourire aux lèvres avant de s'attaquer à la  raideur de la côte menant droit au sommet de la Grande falaise, plongeait ses mollets meurtris dans les bouillons brassants d’une flotte gelée...


7 commentaires:

Anonyme a dit…

Je le comprends, y'a peu d'endroits qui portent à la contemplation autant que les lacs d'écosse.
Marie.

Brigitte a dit…

Tout ça pour ça !!! Et finalement s'apercevoir que là n'était pas vraiment le bonheur ...mais déjà en prendre conscience quel pas énorme .
Dommage je ne connais pas l'Ecosse

Laurence a dit…

Ah la vanité !!!!!
Mais elle est rarement seule et s'accompagne souvent des encouragements des autres qui cherchent un héros. J'aurais bien aimé voir la tête des spectateurs lorsqu'il a filé tout droit, les commentaires. J'en rigole toute seule :)

Tilia a dit…

Belle manière de dénoncer la compétition à tous crins. Celle qui est en train de mener le monde à sa perte, doucement mais sûrement, droit dans le mur..

chri a dit…

@ Marie J'irai voir, un jour!

@ Brigitte Moi non plus :-)

@Laurence Parfois elle nous assassine!

@Tilia Mais au pied du mur qui voit-on?

M a dit…

Taillé pour pédaler, le vélo sur le dos, ça finira bien par arriver. En haut, tout en haut de la dernière falaise, peut-être même en bas... Le saura-il ?
Nonobstant, je l'aime bien ce highlander d'adoption : savoir faire les choses parce-qu’on les aime, sans doute parce-qu'on ne sait pas bien faire autre chose, mais avant tout parce-qu'elles nous font nous sentir vivant sans porter préjudice aux autres...

chri a dit…

@ M Je l'aime bien aussi comme un cycliste truffier...

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