05 novembre 2014

Et pluie... Plus rien.

Et c’est à l'instant précis où j’ouvris la bouche que le ciel a fini de se fâcher.
On a attendu une bonne heure dans la voiture que le silence revienne un peu, que le vent se calme et que les sacs de grains nous déversent, avec rage, leur contenu sur la cafetière.
De tout ce temps, enfermés, on n’a pu prononcer une seule phrase tellement le barouf dehors était puissant, comme une grande colère divine. Ce sont des gouttes grosses comme des poings qui ont cabossé le capot, qui ont frappé les vitres et ondulé les tôles. On entendait à peine le poste, même à fond. On avait passé un plaid en laine sur nos épaules. Si ce n’était le déchaînement à l’extérieur, nous, dedans, étions au sec, à l’abri, au chaud. Nous ne risquions rien d’autre que d’être emportés par le cours puissant des flots bruns, épais. On se serait cru au beau milieu d’un torrent en furie, des langues de boue qui descendaient de la colline,  entouraient la voiture en rigolant et, des arbres, c’était les branches qui tombaient. Heureusement que pas une ne s’est écrasée sur le toit. Nous qui étions venus là pour la vue et pour nous en dire, nous n’en n’avions pas pour notre argent. J’avais avancé sur le chemin de la Collégiale et à mi pente, j’avais fait demi-tour et garé la voiture sur le bas côté, juste avant le grand virage, en plein face à la vue. J’avais choisi cet endroit parce que je trouvais que ce que j’avais à lui dire méritait un bel endroit. Un endroit qui pouvait être digne d’entendre des choses profondes, importantes, qui allaient peut-être marquer notre vie, du moins une partie. Il faillait qu’on puisse dire dans cinq, dix ans tu te souviens ? On était montés là-haut ce soir où tu m’as dit… La forme vaut bien le fond, non ? Ce soir là, c’est le ciel et lui seul qui a parlé.
Nous, on s'est contentés de l'écouter en se caressant un peu, gentiment les avant bras, les bras, en se croisant et décroisant les doigts, en s'embrassant tendrement dans les cous, en s'appuyant les têtes contre les épaules pendant qu'il hurlait. À sa fureur, nous avons opposé notre douceur mais nous avons gardé nos bouches muettes. Pas un son n'en est sorti. Deux cistérciens sous tempête. 
Quand le calme est revenu, quand le vent s’est apaisé quand les gouttes ont minci, j’ai fait une tentative pour ouvrir la fenêtre et, ainsi évacuer la buée qui s’était accumulée, on se serait cru à l’intérieur d’une cocotte vapeur, je voyais à peine le volant devant moi. L’air frais s’est engouffré dans l’habitacle et nous a fait grelotter. J’ai refermé de suite et je l’ai regardée. La clarté était revenue. Elle était belle comme un jour d’automne, elle s’était mis du rose à lèvres et de dessous son vilain chapeau cabossé, filaient des mèches rousses de ses cheveux pourtant coupés courts. Elle portait des bottes en cuir sur un collant de laine marron et un manteau trois quart caramel avec une large ceinture, sans doute en cachemire vu l'allure générale et la beauté du tombé du tissu. Elle me souriait, lumineuse, tranquille. Elle a tourné la tête vers le pare-brise et d’une voix très calme, comme on attend une baguette chez le boulanger, elle a dit :
___ Alors qu’avais-tu de si important à me dire ?
J’ai eu peur de la réaction du ciel et j’ai juste pu répondre :
___ Rien rien, rentrons, j’ai un peu froid, maintenant. Une autre fois peut-être...

J’ai démarré en trombe, projetant des perles de boue sur presque toutes les  feuilles des branches des arbres du chemin…





14 commentaires:

Véronique a dit…

Vous auriez du ... lui dire ces choses importantes. c'était un bon moment pourtant, pour se souvenir de ce jour là !
(j'ai cru comprendre que la pluie tombait drue dans votre sud Christian, tout va bien ? vous êtes au sec ? )

chri a dit…

@ Véronique Encore eût-il fallu que quelqu'un soit dans la voiture...
À l'intérieur... tout va bien mais dehors... Les sorgues débordent, les champs sont détrempés, les canards se noient, les hérons ont mal aux pattes bref il pleut comme vache...

M a dit…

Du ploc-ploc-splooooouch au Flop sans commentaire !

chri a dit…

@ M Merci du comment taire...

Laurence Chellali a dit…

pfffff ... mais pourquoi n'avoir rien dit ? les occasions de parler, vraiment, sans distractions, sont si rares !!

Sinon, ça vente et ca cogne aussi par chez toi ? Tout va bien ?

chri a dit…

@ Laurence C'est fiction, Laurence, c'est fiction! En revanche ça crache comme on dit dans le nord! Et pas qu'un peu. Aujourd'hui il a plu TOUTE la journée Et chez vous?

Nathalie H.D. a dit…

@ Chri - mais comment as-tu fait pour retrouver cette chanson 'le cabanon'? C'est ahurissant !

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Les grandes douleurs sont muettes, dit-on, probablement que les instants de bonheur le sont aussi, parfois.
Belle soirée.
Amicalement.

Roger

chri a dit…

@ Nathalie Je la connaissais! Mes grands parents à Antibes habitaient un cabanon...

chri a dit…

@ Roger Là il s'agissait plutôt de laisser le lecteur se dire: mais qu'avait-il à lui dire?

Brigitte a dit…

il avait des choses a dire et ne les a pas dites, sans doute qu'au final, il n'en avait plus envie !!!
le déchainement des éléments naturels a suffi pour lui couper le sifflet .C'est paut-être dommage ou mieux ainsi c'est selon ...
Bonne fin de semaine

Tilia a dit…

Un récit qui me rappelle l'orage de grêle que nous avons subi réfugié dans notre voiture cet été, en moins catastrophique tout de même (pas de torrent de boue) mais des grêlons gros comme des calots (j'en parle ici).

Parait-il que la pluie en ce moment, chez vous, ce n'est pas rien !...
Je vous souhaite du beau temps pour cette fin de semaine.

chri a dit…

@ Tilia Je me souviens de votre orage de frelons! Oui il crache pas mal en ce moment dans le coin! Les rivières sont hautes, les champs gaujés, les nappes pleines et le ciel humide... Ca lui passera.

chri a dit…

Ouah l'autre il ne connait même pas les grelons! Je parle au correcteur orthographique. Bécile.

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