14 décembre 2014

Sa main.

Lui, menaçant:
Ma main! Dis, ma main, petit morveux, tu la veux, ma main?
J’avais pas vraiment envie de répondre à cette question, je ne voulais pas lui faire plaisir, voilà tout. Et y répondre c’était lui offrir ce plaisir dégueulasse. Par dessus tout, j'étais perdant d'avance, comme d'habitude, comme toujours. Soit je disais non et il était conforté, alors, j’y avais droit. Soit j’envoyais oui et je me la prenais. En plein. Aller ET aller. J’ai choisi de me taire. Evidemment, il n’a pas aimé mon silence. Il y a entendu du mépris. Bien sur que j’en avais mis mais je l’avais caché putain bien! Il l’a débusqué ce teigneux et sblam, sblam deux beignes. Du même geste. Le tarif minimum. Aucune autre n’a suivi, pour cette fois. Parce qu’il avait frappé trop fort sur la deuxième? Qu'il s'en était rendu compte? Qu'il s'était fait un peu  peur? Non, non, c’était comme les autres, mais après le retour, d'un coup, il s’était reculé. Une preuve qu’il n’était pas encore tout à fait entré en colère. Il ne fallait pas qu’il y arrive. Ne pas pleurer, surtout, ça c’est ce qui le fâchait direct, ne pas pleurer. Je savais par habitude de quoi il était capable quand il atteignait cette marche là, celle de la rogne. Il s’emportait et c’était plus fort que lui qui était déjà costaud.
Et voilà, on risquait ça souvent. Ce qui s’était annoncé comme une gentille après-midi tranquille, entre nous, on ne peut guère faire plus peinard, allait se transformer, comme souvent en tornade tumultueuse. Les éléments, enfin ses deux bras, allaient se déchaîner. Eviter ça, le faire redescendre. Je me suis approché de lui et je lui ai pris une main, une des deux, celle qui pendait, celle qui n’avait pas encore frappé. Et je l’ai serrée. Il a bien essayé de l’enlever, mais il n’a pas pu. Je la tenais trop fermement. Alors, j’ai pu m’approcher de lui comme un des frères Bouglione, celui des lions. Il s’est tourné vite fait mais j’ai vu une larme couler d’un de ses yeux. Je l’ai vue.
On y retourne? J’ai dit, mine de rien.
Il a grogné un truc que j’ai pas très compris mais ça voulait dire: Brandon, on rentre, t'as des trucs à faire pour ces cons de l'école...
J’ai fait : Oui, on rentre, d’accord. J’ai un peu froid. Je savais qu'il avait soif à nouveau, mais j'ai pas voulu lui parler de ça. Pas maintenant.
Ce que je me demandais en roulant c’est s’il avait vu que je l’avais vue, sa larme. Je préférais que non. C’est pour ça que j’ai été si vite d’accord pour rentrer. Ne pas le fâcher. Faire que l’armistice dure un peu. Toute la soirée? Ne pas non plus exagérer. Sans qu’on sache vraiment d’où, ça revient vite la colère chez ces gens là et lui, je le connaissais depuis douze ans. Faut dire, à sa décharge que je ne suis pas facile, que j'en fais des conneries, mais onze ans de gifles sur douze, ça commence à faire un bail quand va fêter les treize.
Je suis remonté sur mon biclou et j’ai foncé devant lui, je lui ai ouvert la voie.
En pédalant comme un forcené, une rage dans chaque mollet, en serrant les dents, je me disais: Bien sûr, qu’il m’aime, mon père! Bien sûr ! À sa façon, mais il m’aime, je le sais, j’en mettrai...

Sa putain de grosse main au feu.



4 commentaires:

Laurence Chellali a dit…

Il n'y a pas de récit qui me rende plus triste que celui où un enfant est maltraité. Je voudrais prendre toutes les beignes du monde à leur place. Brrrr

chri a dit…

@ Laurence Je suis désolé de te faire de la peine! :-)

Pastelle a dit…

C'est magnifiquement écrit, car il n'y a que 30 lignes mais on lit tout un monde là dedans...

chri a dit…

@ Pastelle Merci, merci...

Publications les plus consultées