25 août 2015

Un petit tas.

Dans les périodes de disette, sans Grands Moments, on peut se rattacher à ces petites secondes qui ne changent rien au fond mais qui font basculer l’instant, celui qui arrive, qui font la vie plus douce et le moment plus émouvant :

Quand on sort d’un supermarché et que, comme d’habitude, on a oublié de prendre un sac pour y mettre ce qu’on a acheté, que dans le berceau de nos bras tout tient en équilibre précaire, l’instant où tout va s’écrouler sur le parking et qu’on réussit en un geste à tout rattraper… Et même si on sait bien que dans les secondes qui suivent, on va arriver  à la voiture, et qu’alors il faudra bien en trouver les clefs, enfouies au plus profond d’une de nos poches. Laquelle ?…
Quand dans un train de nuit, on se réveille  dans une gare inconnue, qu’on écarte légèrement le rideau du compartiment, juste pour voir où on en est du voyage…
Quand on a acheté au petit bonheur la chance une housse de couette, qu’on l’installe et qu’elle s’adapte pile poil exactement, ce qui est assez rare, à la couette…
Quand, dans le noir, on tente de glisser au jugé, une clé  dans une serrure et qu’elle y rentre, droit, sans se rebeller…
Quand dans une queue de supermarché on croise le regard d’un nourrisson jovial, bouddha définitif et qu’il t'envoie un sourire à décrocher la mâchoire des galaxies…
Quand, dans un matin de brumes, on laisse tomber le tube dentifrice au sol ET qu’on ne pose  aucun pied dessus…
L’instant où l’on  se glisse dans des draps propres suivi de celui où on se défait de ses lunettes et qu’on éteint la lumière…
Quand sur le  quai d’une gare, on vient chercher un être cher, les secondes où le train est annoncé, puis entre en gare, jusqu’au moment où il s’arrête… L’attendu est là, quelque part dans la foule qui sort des voitures…
Le dernier passage d’une lame de rasoir neuve sur une joue désormais douce…
Quand après une longue balade en montagne où l’on a pas mal souffert à cause de la raideur de la pente et de toutes ces cigarettes qu’on n'aurait pas dû fumer, l’instant où l’on s’arrête et pose son sac dans le vert de l'herbe humide…
Les secondes où l’on se réveille dans la nuit, qu’on regarde l’heure et qu’il en reste cinq à dormir…
Quand on sort d’un restaurant bruyant où l’on a passé trop de temps, les premières secondes de silence sur le trottoir désert avant de se mettre en route pour rentrer chez soi…
Après le dernier bain de l’année, le moment où l’on se sèche, quand on sait que le prochain sera au mieux dans une année presque entière…
À l’ouverture d’une bouteille de vin, le moment où l’on sent que le bouchon va céder voire se briser en deux puis finalement décide de sortir entièrement avec un joli bruit en prime...
Quand dans le noir d’une salle de cinéma on sent les larmes monter et qu’on les laisse filer sur sa joue, certain de n’être vu de personne d’autre que soi…
Quand on vient de courir trois heures dans une banlieue moche à la recherche d’un sac aspirateur introuvable, qu’on en ramène un paquet, l’installe, appuie sur l’interrupteur de l’engin, pose l’embout sur une poussière et qu’elle DISPARAIT, avalée goulûment…
Après une brûlante journée d’été, lorsqu’un orage éclate, les premières bouffées d’odeurs tièdes qui montent du sol…
Ces secondes où l’on consulte son compte bancaire en début de mois et que le solde est ENCORE positif.
Décacheter une lettre reçue le matin en lire les premiers mots quand est écrit : « Mon bel amour ». Il faudrait se contenter de ça, il arrive que cela se gâte après.
Prendre une saison chaude, une fin de belle journée, une plage des Landes, une compagnie souhaitée, une paire de doigts, un poulet grillé, une bouteille de bon vin, deux verres ballons, attendre l’heure du coucher du soleil, se sécher du dernier bain, changer de maillot (pour ne pas garder l’humide sur soi) enfiler un vieux pull de coton, s’installer sur le sable… Manger et boire en regardant le ciel… L’autre à son côté.
Se réveiller le matin et s’apercevoir qu’on n’a mal nulle part. 
Sortir d’un vilain cauchemar et se rendre compte que c’en était un…
Les toutes premières caresses où notre main se pose sur une peau encore inconnue et les vibrations qu’elle y sent, qui nous font chavirer, tout entier…
Ce moment dans le cabinet d'un médecin où l’on entend l’adjectif : banal.
Voir une araignée repoussante dans la maison, passer au-delà de sa peur, l’attraper, la mettre dehors et la regarder s’enfuir. 
Quand, un peu après l'histoire une petite voix vous appelle de la chambre réclamant un câlin...
Entendre en mars les dialogues amoureux des crapauds habiter les soirées, enfin entièdies.
Vivre la dernière centaine  de mètres d’une sortie difficile où l’on a maltraité ses mollets, son souffle, son cœur, ses fesses, ses cuisses et savoir que, dans quelques secondes, toute cette souffrance va s’arrêter.
Ces secondes où les pleurs d’un enfant s’apaisent au creux de vos bras, que le sommeil s’en empare et que sa peine s’enfuit.
L’instant précis où, dans un livre, on tombe sur une phrase qui exprime exactement ce qu’on sent vrai depuis longtemps mais qu’on n'arrivait pas à dire. Précisément.

Quand on vient d’écrire une page à propos des petites secondes, qu’on en arrive à poser le dernier des trois points de suspension… 
Mais on sait bien qu’il y en a des milliers d’autres à attrapper… De petites secondes…





9 commentaires:

Tilia a dit…

Cinq bonnes minutes pour déguster en douceur vos petites secondes (sauf le rasoir sur la joue poilue :-)) merci Chri !

PS : si ce papillon a été photographié en France, il est sans doute arrivé par avion sous une forme ou une autre...

chri a dit…

@ Tilia J'espère pour vous (le rasoir sur la joue...) Oui il a été photographié à Velleron (mais dans une ferme à papillons)

M a dit…

Quand les p'tits de l'un font le grand des autres !

chri a dit…

@ M Oh Merci, M...

Brigitte a dit…

Tous ces p'tits bonheurs réunis qui font que la vie peut être belle.
Un texte que j'apprécie ,merci, car parfois on les oublie ces petites secondes (c'est vrai elle passe si vite !)

Brigitte a dit…

Elles passent si vite( zut quoi)

chri a dit…

@ Brigitte Merci pour lui. Vrai que la vie qui est faite de secondes passe vite... :-)

véronique a dit…

vos petites secondes ressemblent aux miennes, à celles de beaucoup d'autres sans doute !
vous l'avez écrit pour moi, c'est pratique !

chri a dit…

@ Véronique OH... Merci Véronique...

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