04 septembre 2015

Ça te tue, toi?

Tu arrives vers la maison que tu habites dans ce village tranquille, on est en fin de journée, tu es fatigué. Ils t’ont presque tout pris. Comme tu n’as plus guère de forces pour t’énerver à cause d’elles, tu commences à chercher les clés de chez toi au fond de ton sac tout en roulant. Elles, elles ont plongé au fin  profond du cartable. Tu as intérêt à les trouver parce qu’une fois arrivé, posé devant la porte, si tu ne les as pas en main, tu auras beau frapper, tu sais que personne ne t’ouvrira.
Tu aimerais bien, parfois, que quelqu’une soit déjà là, à l’intérieur, quelqu’une qui en entendant ta voiture se ranger dans la cour, sortirait son sourire de la maison et viendrait avec lui à ta rencontre en t’adressant des mots d’accueil gentils, prévenants, chaleureux, agréables à entendre.
Au moins, tu es certain que personne ne te fait ni de reproche ni de remarque puisque personne ne te dit rien. Bien sûr, le chat qui a passé la journée dehors s’exprime, lui, mais à sa manière et tu sais bien, toi, ce qu’il attend vraiment : Que ta main plonge dans un sachet de croquettes comme un chalutier à doigts et en ramène une poignée qu’elle jettera dans sa coupelle. Tu ne lui en veux pas, ce n’est qu’un chat, finalement… Il ne sait pas, lui ce qui t’anime. Il ne peut pas savoir ce qui accélère les battements de ton coeur, ce qui t'émeut et te touche et qui te laisse sans le  souffle. Il se moque un peu de toi, lui, puisqu’un autre que toi ferait l'affaire du moment que sa main plonge. Pour lui, tu n'es rien qu'un fichu distributeur de croquettes. Mais le sais tu vraiment, toi, ce qui t’animes ?
Une fois dans le silence de l’intérieur, vite tu pousses le bouton d’une radio pour l’habiter d’une présence. Une présence virtuelle ou factice dont tu n’es pas dupe, tu sais bien qu’elle ne vit pas là, mais une présence quand même. Elle s’installe parce que tu en as un à chaque étage des appareils à créer de la présence et que tu les allumes tous. En même temps. Tu remplis ainsi la maison de voix qui sont devenues amies même si elles ne te connaissent pas. Toi, tu les connais bien, aux intonations,  tu peux reconnaître leurs humeurs, leurs états de forme, leurs états d’âme et les plaindre ou les encourager, les soutenir ou penser qu’elles devraient prendre de la distance ou du repos.
Encore ce soir là, tu ne cuisineras pas. A quoi bon? Pour qui? Comme pour l'autre miauleur, tu ouvriras un truc presque déjà prêt.
Souvent tu te demandes qui te rendra quoi? Mais tu sais combien cette question est vaine. Et puis, surtout, surtout, tu évites ainsi de croiser l’absence. Tu te préserves de celle qui emplis ta maison et s’empare de chaque pièce, de chaque mètre carré. Tu dois te battre contre celle qui te ronge, te glace, te mine et, au final, te durcit. Tu dois faire avec ou plutôt sans.
Et puis, tu repenses à ceux qui n'ont même pas de clés, à ceux qui sont sans toit et tu te dis que, au moins, tu en as un toi, de toit.
Ce que tu n’as pas, c'est de tu à dire, à prononcer, à adresser, à personne.

Et, certains soirs, c’est cette absence là qui, toi te tue... 


11 commentaires:

Pastelle a dit…

Quand on raconte aussi bien, on est moins seul...

chri a dit…

@ Pastelle Merci!

Véronique a dit…

Ça fout un coup au moral votre histoire Christian... Mais bon c'est de la fiction !

Véronique a dit…

A ce propos, avez vous lu le dernier livre de Delphine de vigan" d'après une histoire vraie" ? Si non, et bien foncez ! Fort , très fort . Si oui, vous me direz, curieuse de savoir ce que vous en aurez, avez pensé.

chri a dit…

@ Véronique Chui désolé de vous bourdonner le cafard! Non, je n'ai pas lu mais je vais. Et je vous dis.

M a dit…

Ya pas il chante bien Pierrot ! Il y a aussi un peu de Polnareff et de ses violons de septembre ... Faut toujours se raccrocher aux "autres" frissons (les musicaux font partie des baumes)
On te dirais légèrement... affecté cette fois non ?

chri a dit…

@ Ah ça pour vrai y chante ben ben lui! Mais c'est triste. très.
Toujours pas.

M a dit…

Rhôooooo, le S, le vilain ! Honte bue !!

chri a dit…

@ M Ah oui et impossible de corriger ou alors il faut réécrire le com et effacer le premier...

Tilia a dit…

Un texte qui sonne juste.
C'est bien ça, être seul.
J'ai un peu expérimenté la chose quand mon cher et tendre a dû séjourner une douzaine de jours auprès de sa grande sœur pour lui servir de garde-malade cet été.
Sauf que chez moi ça va faire bientôt vingt ans qu'il n'y a plus de chat. Celui qui a partagé notre vie durant près de vingt autres années (avant les vingt dernières) demeure irremplaçable. Il faut dire que ce n'était pas qu'un simple bouffeur de croquettes, (d'ailleurs il préférait la pâtée) grâce à son ronronnement, il était aussi le meilleur des somnifères.
Quant à la radio, si je l'allume dès le matin en arrivant dans la cuisine, c'est autant parce que je suis avide d'infos que pour combler le vide laissé par l'absence de ma moitié.

chri a dit…

@ Tilia Merci pour "juste"! :-)

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