02 septembre 2015

La séparation.

Nous avions, obligés par le temps, décidé de lever le pouce. De mettre le holà, d’arrêter ce qui avait fini par nous procurer plus de déplaisir que de bonheur. Nous avions mis du temps à accepter cette décision parce que nous avions fait comme les autres, comme tous les autres, depuis tout le temps : nous avions tenté de faire durer, encore, un peu. Nous nous étions échinés à nous raccrocher aux branches, du moins à celles qui dépassaient. C'est-à-dire que nous avions fini par vivre dans le passé, dans le temps des « Tu t’rappelles » et des « tu t’souviens », dans celui des premières semaines où tout glissait où rien ne faisait accroc où le temps lui-même n’était pas compté. Chacun pour soi, chacun dans sa bulle, chacun dans sa mémoire. Désormais, nous ne partagions plus rien, pas même les souvenirs. Les siens n’étaient pas les miens. Et quand on commence ainsi à ne plus se souvenir des mêmes choses c’est que le silice a grippé la machine. Nous ne savions pas comment ça avait commencé à merdouiller gentiment, mais le fait était là. Et nos épaules n’étaient plus assez larges pour supporter le poids de tout cet ennui naissant, ni de la crainte de ce qui nous attendait.
Oh, bien sur qu’on en était désolés, bien sur qu’on aurait préféré le contraire mais il nous avait fallu nous rendre à cette terrible évidence : plus grand-chose ne nous attachait l’un à l’autre. Nous nous étions lassés, fatigués, épuisés, englués.
Parfois, il nous était arrivé d’échanger à ce propos pour essayer de comprendre comment cela avait pu nous arriver. A nous. Nous pensions tellement que nous n’étions pas comme les autres, nous nous croyions tellement plus forts, tellement plus liés, tellement plus solides. Nous avions tort.
Tout ce gâchis…
Nos débuts avaient été si prometteurs… Ces toutes premières semaines à perdre la notion de l’heure, puis du jour puis des semaines… Ces longues soirées passées à ne rien nous dire, allongés sur un hamac à même le frais de la nuit… Tu te souviens c’est toi qui a proposé de dormir dehors… Ah mais non, j’ai suivi ton idée qui n’en n’était pas une bonne, du reste. Ce sont les moustiques qui, eux, s’en sont donnés à cœur joie… Ces matinées, volets grands ouverts pour laisser le chaud nous éblouir, ces siestes d’après petit déjeuner où le sommeil remettait le couvert… Ces bains au Partage dans la fraîcheur des perles… Ces fins d’après-midi à guetter l’heure du premier verre d'alcool… Ces pans entiers de journées passés à vivre, juste vivre, lire, manger, dormir, s’aimer, sentir, voir, écrire, photographier, marcher, se baigner… Ces jours complets à chercher l’ombre et le sombre… Ces heures passées à être. À être soi et plus ce personnage du centre de l’écran. Nous allions, la séparation effective nous retrouver à nouveau dans la lumière et le bruit, dans les rôles et la fatigue… Le cirque allait reprendre. Dans quelques jours, quelques heures, le décompte était amorcé. Je n'arrivais pas à en trouver un ou une que cela ravisse, qui soit heureux de ça, qui envisage cette échéance avec plaisir, envie, attente heureuse... Tous ceux ou presque que je croisais étaient à peu de choses près dans le même état et espéraient un évènement particulier qui nous sortirait de là, qui empêcherait que cela arrive, ou bien qui repousserait un peu la date. Mais ils savaient bien, et moi avec, qu’il n’y avait rien d’autre à faire qu’à le vivre le moins mal possible. Et pourtant, secrètement nous nous disions : On ne sait jamais… Si cette année, pour une fois, juste une fois… Juste un septembre à Ré, quatre petites semaines de rien dans cette île encore tiède de l’été, revenue au calme de jours plus courts, évidemment mais d’une telle sérénité… Ses aubes tranquilles et ses douces après-midi… Juste ça. Une fois, dans notre vie…
Au lieu de ça, nous allions devoir remettre nos montres à l'heure et aux poignets, enfiler nos costumes gris de fonction, faire attention à notre rasage, être à nouveau tenus, serrés, engoncés, rigides... Nous allions devoir donner, donner encore, pressés comme des agrumes... Nous allions devoir nous surveiller, nous contraindre, nous gendarmer, nous battre...
Ainsi, donc, nous en étions arrivés là nous deux: Nous allions nous séparer. 

Nous allions devoir rentrer. Les vacances et moi, c’était terminé, rincé, fini. 




6 commentaires:

M a dit…

Alors là si tu crois que je vais sourire, tu as raison ! Bonne rentrée à toi :-)

chri a dit…

@ M Pour l'instant ça se passe bien, je ne suis pas affecté... Au propre et au figuré...

Tilia a dit…

Et les grandes vacances définitives ? la retraite, c'est pour quand ?

chri a dit…

@ Tilia Les définitives? Le plus tard possible. La retraite Pfoula j'en suis loin encore c'est que je suis si jeune...

Pastelle a dit…

Tu m'as bien eue, bravo, j'y ai cru jusqu'au bout. :)

chri a dit…

@ Pastelle Chui ben content que ça marche!

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